L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

En replay sur Canal+


“POSE” LA SÉRIE


QUI FAIT “VOGUER”


PARI DUKOVIC/FX NETWORKS



RIES

D’
ÉTÉ

6


V


3


L’HEBDO DESMÉDIAS

L’actrice et militante transgenre Angelica Ross. L’acteur, danseur et activiste gay Ryan Jamaal Swain.

oguer » et danser pour dire merde à la
mort et au sida ; « voguer » et danser
en tenue de lumière alors qu’on dort
dans la rue ; « voguer » et danser pour faire
semblant d’être comme les bourgeois wasp
en costume-cravate qui travaillent dans la
Trump Tower même si on est noir, latino et
pauvre ; « voguer » et danser comme affi r-
mative action. Brillante, électrisante, émou-
vante, « Pose » évoque fortement « 120 Batte-
ments par minute » (Robin Campillo) grâce à
ce mélange réussi de comédie et de tragédie,
grâce aussi à la précision quasi documen-
taire dans l’évocation de la communauté
LGBT de la fi n des années 1980.
Dans le premier épisode – saisissant – de la
saison 2, Blanca et Pray Tell, deux des héros,
rendent hommage à l’un des leurs, mort du
sida, à Hart Island, une île au large de New
York, où étaient jadis enterrés les tubercu-
leux et les SDF, bref, tous ceux rejetés aux
marges de la société. Au plus fort de l’épi-
démie, c’est là qu’on envoyait les malades
morts du sida dont les familles refusaient
de payer les obsèques. Cette île, les cercueils
en pin numérotés, les tombes collectives,

Plongée dans l’univers fl amboyant des « ballrooms » et de la communauté
LGBT dans le New York des années 1980 ravagé par le sida. Brillant, électrisant,
émouvant. Par Doan Bui

tout cela pourrait être inventé, mais non :
Hart Island existe bel et bien. C’est le grand
mérite de « Pose » que d’exhumer ces frag-
ments d’un passé si proche pour qu’enfi n
cette mémoire soit reconnue, voire ensei-
gnée. (On vous conseille aussi, sur les an-
nées sida à New York et les débuts d’Act
Up, le formidable roman de Tim Murphy,
« l’Immeuble Christodora ».)
Il en fallait du culot pour raconter la
culture des ballrooms, ces défi lés under-
ground fl amboyants de la communauté
LGBT popularisés par le clip « Vogue » de
Madonna et par le déchirant documentaire
« Paris is Burning », de Jennie Livingston,
qui nous plongeait dans ces vies d’ombre
et de lumière. On découvrait ces fi lles et ces
garçons souvent exclus de leurs familles,
contraints de s’inventer la leur, se plaçant
sous la protection d’une « mère » et d’un clan
aux noms fabuleux (Xtravangaza, Allure...),
dans ce New York qui commençait à être
ravagé par le sida. « Paris is Burning » alter-
nait les images pleines de joie et d’énergie
des bals et les interviews poignantes des
participantes qui confessaient le tapin, la

rue, cette saleté de virus qu’on s’obstinait
à ignorer, et puis les rêves, quand même.
Comment rendre justice au réel? Aux dis-
parus? « Pose » réussit haut la main ce pari.
Peut-être parce que ceux qui l’ont écrite et
interprétée la connaissent intimement,
cette histoire. « Les “ballrooms” m’ont sauvé
la vie. A l’époque, j’avais été exclu de ma fa-
mille, de mon église, j’avais l’impression de
n’être plus rien. Et quand j’ai commencé sur
cette scène des bals, c’était le seul moment où
je pouvais me dire : “je compte” », expliquait
Twiggy Pucci Garcon, un des chorégraphes,
au « Washington Post ».
Dominique Jackson, originaire de Trinité-
et-Tobago, actrice trans qui interprète le
rôle de la fl amboyante Elektra Abun-
dance, « mère » redoutable d’une maison
célèbre, vient elle aussi de cet univers et a
été membre de plusieurs « maisons » : « Cer-
taines des choses qu’Elektra dit dans la sé-
rie, ce sont des choses que mes “mères” m’ont
dites. Il faut bien comprendre ce que ça repré-
sentait pour nous, ces bals. Et notamment la
catégorie “Realness” qui consiste à paraître
le plus “fi lle” possible. Paraître “réelle”, ce
n’était pas qu’une question de défi lé mais
une question de vie ou de mort. En tant que
trans, si on ne “passait” pas assez pour une
fi lle, dans la rue, on pouvait se faire tabas-
ser... » Dans la série, Elektra se retrouve à
un moment sans logement et doit retourner
au Show World, un peep-show où elle se
dénude intégralement. Dominique Jackson
a avoué son trouble à jouer ces scènes, qui
semblaient sorties de sa vie.
Tout dans la genèse de « Pose » relève d’un
petit miracle. Steve Canals, latino, noir et
queer du Bronx, en avait eu l’idée dès 2014, à

«

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