LIBÉRATION DE LA PROVENCE LIBÉRATION DE LA PROVENCE
VIII La Marseillaise / mercredi 14 et jeudi 15 août 2019
N
ancy a le torticolis ». Le 15 août
1944, la BBC délivre le message co-
dé que toute la Résistance de
Provence attendait. Le débarquement
allié sur les côtes de la Méditerranée
française allait commencer, plus de
deux mois après le jour le plus long et les
opérations en Normandie. Cette opéra-
tion d’abord nommée « Anvil » a été dé-
cidée par les seuls Américains, contre
l’avis de Churchill. Le Premier minis-
tre britannique aurait préféré l’Italie
comme champs d’opération, pour en-
suite rejoindre l’Allemagne à travers
l’Europe centrale. Eisenhower, lui, est
surtout attentif à l’importance du port
de Marseille pour l’intendance de la fu-
ture armée de libération, se rendant
compte que Metz était plus près de
Marseille que de Brest! C’est LA rai-
son du débarquement : la nécessité de
posséder un grand port en eau profonde
qui ne soit pas exposé aux raids de l’avia-
tion allemande : Marseille, le premier
port français de Méditerranée, était la
meilleure solution d’autant que les in-
frastructures de transport de la vallée
du Rhône (oléoducs, voies ferrées, rou-
tes) favoriseraient l’acheminement du
matériel vers les armées alliées qui pro-
gresseraient vers le nord.
Mais ce sont les Américains qui dé-
cident du débarquement et de son nom
définitif, Dragoon étant le terme militaire
pour le soldat à cheval qui tire les ca-
nons. Mais c’est aussi un verbe, « for-
cer quelqu’un à faire quelque chose »
et Churchill, qui devra s’incliner, en fe-
ra un jeu de mots.
Ce débarquement sera précédé par
l’infiltration de petits commandos char-
gés de prendre contact avec la Résistance
et de missions de reconnaissances aérien-
nes. Parti de corse, l’écrivain et pilote
Antoine de Saint-Exupéry sera abattu
au-dessus des calanques par un chas-
seur allemand lors d’une de ces mis-
sions le 31 juillet. Les Américains sont
rodés : ils en sont à leur 5e débarque-
ment en Europe (Sicile, deux en Italie,
Normandie, Provence). Ils ont tiré les le-
çons de l’échec d’Anzio. Le scénario de
Provence ressemble à celui de
Normandie, en trois temps, avec des
opérations commandos au milieu de la
nuit pour couvrir la zone du débarque-
ment par ses ailes, les Maures et l’Estérel,
puis l’opération aéroportée américa-
no-britannique de la Rugby force qui
commence avant l’aube avec pour ob-
jectif de prendre le contrôle de voies de
communication et de prendre à revers
les Allemands sur la côte et enfin le dé-
barquement des trois divisions améri-
caines (Alpha, Delta, Camel) au matin.
Le premier objectif est la conquête de la
tête de pont, acquise plus tôt que pré-
vu, le 16 au soir au lieu du 19.
Toulon et Marseille : les combats
les plus meurtriers
C’est donc finalement entre Cavalaire
et Saint-Raphaël, dans le Var, que pré-
cédés par les Commandos d’Afrique au
Lavandou et des parachutistes largués
dans la plaine du Muy, trois divisions
américaines prennent pied le premier
jour de l’opération, accueillies par les
résistants de la Brigade des Maures.
La défense allemande est beaucoup
moins farouche qu’en Normandie. Le
général américain Alexander Patch,
commandant de la 7
e
armée US, dirige
l’ensemble du front, appuyé à partir du
16 août par l’armée française du géné-
ral de de Lattre. Tandis que les Anglo-
Américains vont se diriger rapidement
vers la vallée du Rhône et les Alpes,
l’armée française va se diriger vers les
villes côtières, notamment Toulon et
Marseille où auront lieu les combats
les plus meurtriers. Elle applique éga-
lement le plan américain qui lui a dési-
gné ces objectifs.
Face aux 110 000 soldats anglo-saxons
et 50 000 Français engagés dans la ba-
taille de Provence, les Allemands dis-
posent de quatre divisions réparties en-
tre la vallée du Rhône et l’Italie, sans
compter la marine et l’aviation. Même
si le « mur de Méditerranée » prévu pour
la défense côtière n’est pas terminé,
l’occupant a renforcé ses défenses dans
Toulon et Marseille, mais aussi sur le
littoral varois.
La Motte, premier village
provençal libéré
Précédé par une opération de diver-
sion avec notamment le parachutage
de mannequins dans la baie de La Ciotat,
la première vague d’assaut composée
de commandos français, anglais et amé-
ricains, soutenue au large par le feu de
près de neuf cents navires anglo-amé-
ricains, la plus grande flotte jamais ras-
semblée en Méditerranée, et une tren-
taine de bateaux de la France Libre, dé-
barque de nuit, en occupant tout d’abord
les îles d’Hyères. Les soldats français
touchent le sol de la métropole sur la
plage de Miramar à Théoule-sur-Mer
et au Cap Nègre. À Théoule-sur-Mer, le
commando français « Rosie force » est
décimé par un champ de mine non rele-
vé sur les cartes. Au Lavandou, les
Français font face à des soldats armé-
niens de l’armée allemande, qui ont été
« travaillés » par la Résistance française
et qui en juillet ont tenté de déserter
massivement. Certains d’entre eux re-
joindront les troupes alliées ou la résis-
tance.
Pour le corps expéditionnaire, l’ob-
jectif est de débarquer hors de portée
de l’artillerie allemande basée à Toulon
et de se rapprocher de la RN7, liaison
essentielle avec les villes de la côte, mais
aussi les Alpes et la vallée du Rhône.
Toute la journée du 15, des milliers de
parachutistes suivis des planeurs an-
glo-américains de la 1
ère
Airborne Task
Force sont largués dans l’arrière-pays
varois derrière les lignes ennemies avec
l’objectif de contrôler Le Muy et d’em-
pêcher les renforts ennemis d’arriver.
Leur point d’arrivée, La Motte, est le
premier village provençal libéré. Dès
le lendemain et les têtes de pont éta-
blies, les soldats de Lattre vont débarquer
à leur tour. D’ici à la fin du mois de sep-
tembre, ce sont 250 000 militaires fran-
çais de la France Libre et des troupes
coloniales qui vont se lancer à l’assaut
des nazis depuis les plages varoises.
« L’avancée des troupes est rapide.
Draguignan est libérée par la Résistance
le 16 et ses états-majors sont pris le 17,
Brignoles le 19, date à laquelle les hom-
mes de l’Armée B du général de Lattre
de Tassigny, arrivés à partir du 16, as-
surent la relève des Américains sur la
“ligne bleue”, c’est-à-dire la basse vallée
du Gapeau entre Solliès-Pont et Les Salins
d’Hyères », raconte l’historien Jean-
Marie Guillon, Professeur des univer-
sités émérite. « Pendant que les uns pous-
sent sur l’axe central vers Aix et Avignon
(contrôlées le 21 et le 25), les autres doivent
s’emparer du camp de Toulon que les
Allemands mettent en défense (réoccu-
pation des forts, obstruction des passes,
etc.) et de cet autre gros morceau que
constitue Marseille ».
En réaction, les Allemands minent
les ports et détruisent des installations
comme le Pont Transbordeur de
Marseille, coulent plus de deux cents
navires et commencent à se retrancher
dans leurs places fortes.
Même si proportionnellement aux
troupes engagées, la campagne de
Provence est la plus meurtrière de toute
la Libération, l’avancée alliée est ex-
trêmement rapide. Les Bouches-du-
Rhône par exemple seront totalement
libérées avec quatre semaines d’avance
sur le calendrier prévu par l’État-ma-
jor. Marseille a été libéré à J+13 alors que
c’était J+40 qui était attendu.
Cette vitesse s’explique par le mou-
vement de repli des armées alleman-
des, mais aussi par l’action de la
Résistance locale. Dès avant le débarque-
ment, les voies de communication
étaient régulièrement sabotées et un
gros travail de renseignement a per-
mis aux alliés de préparer le débarque-
ment des troupes.
« Isolément ou en groupes, des ré-
sistants se joignent aux unités débar-
quées, les accompagnent, s’y incorpo-
rent éventuellement », poursuit Jean-
Marie Guillon. « C’est ainsi que la cin-
quantaine d’hommes du principal ma-
quis CFL du Var, dirigée par le lieute-
nant Sivirine, Vallier, après avoir fait
m o u v e m e n t d u H a u t - Va r v e rs l e s
Maures pour se trouv er aux avant-
postes le moment venu, est intégrée à la
1 ère Division Française
Libre avec qui elle a par-
Débarquement de Provence : le deuxième jour le plus long
L’action de la Résistance locale, avec le soutien
quasi unanime de la population, a joué un rôle
essentiel dans la Libération de la Provence.
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