Marseillaise - BouchesRhoneVar - 2019-08-14-15

(Ron) #1

LIBÉRATION DE LA PROVENCE LIBÉRATION DE LA PROVENCE


mercredi 14 et jeudi 15 août 2019 / La Marseillaise IX


Débarquement de Provence : le deuxième jour le plus long


Le 15 août 1944,
le débarquement
allié sur les côtes
de la Méditerranée
française allait
commencer, plus
de deux mois après
les opérations en
Normandie. PHOTO DR

D


ans une tribune publiée dans
le quotidien Le Monde du
5 juillet dernier, un collectif dé-
plore que « les commémorations
prévues ne soient pas à la hau-
teur de l’enjeu mémoriel de ces
combats qui ont contribué à faire
de la France une nation diverse ».
La polémique sur l’absence de re-
connaissance de l’action des sol-
dats coloniaux lors du débarque-
ment de Provence n’est pas nouvelle.
Elle avait déjà eu lieu lors de la sor-
tie du film Indigènes de Rachid
Bouchareb en 2006.
L’ar mée française qui se jette
dans la bataille de la libération de la
Provence est beaucoup plus pré-
sente qu’en Normandie dans le con-
tingent allié.
Déjà aguerrie, elle a fait ses preu-
ves en Tunisie et en Italie et est com-
posée d’engagés volontaires qui po-
sent la plupart du temps pour la pre-
mière fois le pied sur le sol métro-
politain.
L’armée B, qui deviendra par la
suite Rhin et Danube au terme de
sa progression qui la mènera jus-
qu’en Autriche, est composée d’hom-
mes venus des cinq continents et de
l’ensemble de l’empire colonial fran-
çais. Seuls les Indochinois ne sont
représentés que par quelques cas
individuels.
Coude à coude, des Européens
d’Algérie, des antifranquistes es-
pagnols, des Corses récemment libé-
rés, des tabors marocains, des spa-
his algériens, des zouaves tunisiens,
des Calédoniens, des Tahitiens, des
Indiens, des Africains de l’AOF et
de l’AEF, des Syriens, des Antillais
ou des Réunionnais vont prendre
part aux combats pour la libération
du territoire national. Avec pour
premières victoires, les libérations
de Toulon et de Marseille.

« Les engagements sont
une échappatoire à la misère »
« C’est une armée française impé-
riale, qui mêle citoyens français et
sujets français. Les enrôlements sont
influencés par une théorie des races
guerrières selon laquelle certains
peuples sont plus aptes à donner de
bons soldats que d’autres. Les recru-
teurs battent de préférence les campa-
gnes maliennes plutôt que les villes
de Casamance. Dans la réalité, les
engagements sont une échappatoire
à la misère. Ils sont beaucoup plus
fréquents dans les régions pauvres
de l’Empire : ainsi, au Burkina Faso
parmi les Mossis plutôt que sur les
côtes atlantiques de Côte d’Ivoire ou
du Sénégal ; ou bien parmi les tribus
berbères dans les montagnes de l’Atlas
plutôt que dans les villes arabes des
plaines marocaines », commente
Grégoire Georges-Picot, historien
membre de l’association Le groupe
Marat qui a mené de nombreux tra-

vaux sur cette pé-
riode. « À Toulon, la majorité des
soldats qui entrent dans la ville et en
chassent les Allemands sont des ti-
railleurs. Ce sont d’ailleurs eux qui
subiront les plus lourdes pertes. Pour
Marseille, c’est la 3
e
division d’infan-
terie algérienne qui réunit des Arabes,
des Kabyles et des pieds noirs. Elle
reçoit le renfort de trois groupes de
tabors marocains engagés dans les
combats les plus meurtriers aux pé-
riphéries de la ville. »
L’armée impériale est une insti-
tution coloniale avec ses discrimi-
nations, mais, dans les combats,
face à la mort, une égalité se construit
entre soldats, quelles que soient les
origines. Elle ne se retrouvera pas
après guerre dans la vie civile où
l’administration coloniale reprend
ses droits, suscitant des rancœurs
puis des révoltes qui mèneront aux
indépendances.

Ils pensaient être Français...
« Quand la guerre a été déclarée,
c’était en août, j’étais dans les champs.
On entendait que la France était en
danger et que les Français entraient en
guerre », témoignait ainsi en 2002 le
tirailleur sénégalais Issa Cissé, en-
gagé volontaire en 1942 qui avait dé-
barqué à l’île d’Elbe et en Provence,
participant à la bataille de France
jusqu’à Belfort. « Nous, nous pensions
que nous étions français... alors que
nous ne l’étions pas... véritablement...
nous l’avons compris plus tard, nous
n’étions pas des citoyens français. »
Engagé volontaire lui aussi dès
ses 18 ans, le martiniquais Frantz
Fanon forgera dans la bataille sa con-
science tiers-mondiste. Cité à l’or-
dre de la brigade par le colonel Salan,
il écrit le 12 avril 1945 une lettre à ses
parents avant une mission périlleuse
où il est persuadé de mourir dans la-
quelle il exprime son désarroi : « Un
an que j’ai laissé Fort-de-France.
Pourquoi? Pour défendre un idéal
obsolète (...) Si je ne retournais pas,
si vous appreniez un jour ma mort
face à l’ennemi, consolez-vous, mais
ne dites jamais : il est mort pour la
belle cause. Dites : « Dieu l’a rappe-
lé à lui », car cette fausse idéologie,
bouclier des laïciens et des politi-
ciens imbéciles ne à plus nous illumi-
ner. Je me suis trompé! Rien ici, rien
qui justifie cette subite décision de
me faire le défenseur des intérêts du
fermier quand lui-même s’en fout ».
M.B.

Des soldats venus


des cinq continents


t i c i p é à l a l i b é ra t i o n
d’Hyères, assurant seule celle
de la presqu’île de Giens. »
« Partout, avec les moyens qui sont les
leurs, les FFI font le coup de feu avant
l’arrivée des troupes régulières et avec el-
les. Saint-Tropez, le 15 août, est libérée
par la très active résistance locale avec
le renfort de parachutistes largués là par
erreur. La commune voisine, Cogolin, est
occupée, dès le matin du 15, par les ma-
quisards FTP qui sont parvenus à réduire
une batterie tenue par des Azéris. (...) Du
Ventoux ou du Lubéron, des montagnes de
l’arrière-pays niçois, les maquisards des-
cendent contrôler les localités voisines et
“accrochent” les éléments ennemis en re-
pli », reprend l’historien. « La Résistance,
sous des formes et avec des possibilités di-
verses, est partout et, avec elle, une par-
tie de la population qui se reconnaît dans
ce qu’elle représente. Les deux sont indis-
sociables et ce n’est pas l’un des moindres
succès de la Résistance tout entière, inté-
rieure et extérieure, que d’avoir entraîné
le pays derrière elle. » C’est l’apport es-
sentiel de la Résistance, d’être parvenue
à réaliser une passation des pouvoirs
pacifiques, grâce au soutien quasi una-
nime de la population.

Le rôle de la Résistance, « the hidden
ally » comme la sur nomment les
Américains, est aussi salué par l’histo-
rien Robert Mencherini, spécialiste de
la période. « L’action des troupes de libé-
ration -avec un fort contingent français-
a été déterminante. Mais celle des FFI est
loin d’être négligeable. La résistance in-
térieure a joué un rôle important. Dans
le département et dans toute la région,
elle a aidé et appuyé la progression des
troupes de Libération, et, avant leur ar-
rivée, elle a mené des combats contre
les occupants dans de multiples locali-
tés et porté l’insurrection urbaine de
Marseille. Elle a harcelé les troupes al-
lemandes qui se déplaçaient ou se re-
pliaient », écrit-il dans le volume 4 de
Midi rouge, ombres et lumières. « Compte
tenu du rapport de force, la Résistance
intérieure seule n’aurait pas pu venir
à bout des troupes d’occupation. Mais
la complémentarité établie entre les FFI
et l’armée de Libération dans le dépar-
tement et, plus largement, dans le Midi,
correspond assez bien aux modalités de
l’insurrection nationale telle que le gé-
néral de Gaulle a pu la définir à plusieurs
reprises ».
M.B.

.../...

Free download pdf