MondeLe - 2019-08-15

(vip2019) #1
12 |économie & entreprise JEUDI 15 AOÛT 2019

La chute paradoxale du cours du cobalt

Entre janvier et juin, le prix du métal, essentiel à la fabrication des batteries, a décroché de 58 %

johannesburg -
correspondant régional

Q


u’est-il arrivé au co-
balt, le plus promet-
teur des métaux de la
planète? La hausse de
ses cours (environ
300 % en deux ans) semblait liée à
l’inéluctable essor de l’industrie
des batteries lithium-ion, dont il
est l’un des composants les plus
importants, alors que le secteur
automobile se convertit progressi-
vement à la propulsion électrique.
Partie de 11 dollars en 2016, la li-
vre de ce minerai s’échangeait à
un peu plus de 40 dollars à la mi-


  1. En pleine ruée vers le cobalt,
    les groupes miniers se dispu-
    taient alors les gisements de la
    République démocratique du
    Congo (RDC), le pays qui concen-
    tre la plus grande partie des réser-
    ves (65 % de la production mon-
    diale, selon le courtier londonien
    Darton Commodities).
    Cette envolée paraissait n’être
    qu’un début : les projections de la
    demande de cobalt, fondées sur
    l’utilisation des batteries électri-
    ques, à la fois dans l’automobile
    et pour de nombreux autres
    outils et objets, devaient excéder
    la capacité de production minière
    dans un avenir proche.
    Avant d’en arriver là, les cours se
    sont infléchis dès la mi-2018.
    Cette tendance s’est confirmée, et
    même accélérée, au premier se-
    mestre 2019. Au London Metal
    Exchange (où s’échangent 80 %
    des métaux non ferreux du
    globe), la livre de minerai ne
    trouve désormais acquéreur qu’à
    environ 12 dollars (11 euros).
    Entre janvier et juin, l’ancien
    métal vedette a décroché de 58 %.
    Il a entraîné dans sa chute les ré-
    sultats d’exploitation de Glen-
    core, le groupe de trading devenu
    également minier, qui exploite
    deux sites d’extraction, dont le
    plus important du monde pour
    cette matière première, en RDC.
    La mine de Mutanda était le
    joyau de l’entreprise anglo-suisse
    et produisait 27 000 tonnes de co-


balt (sur une production mon-
diale de 135 000 tonnes), ainsi que
du cuivre. Le cobalt est un sous-
produit, dans 90 % des cas, de l’ex-
ploitation d’autres minerais, es-
sentiellement du cuivre et du nic-
kel, dont les prix ont également
décru, quoique dans de moindres
proportions.
Pour faire face à l’impact de la
chute des cours sur ses revenus,
Glencore a annoncé avoir pro-
cédé à des changements dans ses
équipes, et prévoit de mettre en
veille Mutanda fin 2019, pour
deux ans. Une forme de traite-
ment de choc pour tenter de re-
mettre à l’heure la grande pen-
dule du cobalt. Car, alors que cette
ressource ne sera pas – à en croire
toutes les prévisions – disponible
en quantité suffisante pour faire
face à la demande de l’industrie
des batteries, pourquoi son cours
s’est-il effondré?
La réponse tient en priorité au
passage plus lent que prévu au
tout-électrique dans l’automo-
bile. Une transformation retar-
dée, mais dont le principe de-
meure acquis. Pour expliquer la
baisse, il faut prendre en compte
d’autres facteurs, qui, conjugués,
ont fini par constituer une combi-
naison explosive.

Un cadre incertain
D’abord, de nombreux acteurs du
secteur avaient stocké du métal,
en spéculant sur la hausse des
cours. Ensuite, le retard à l’allu-
mage du tout-électrique a re-
poussé les perspectives de pénu-
rie. Enfin, le fait que la Chine ait
mis un terme aux subventions
d’Etat à l’achat de véhicules électri-
ques menace de ralentir la de-
mande. C’est pour tenter de corri-
ger cela que Glencore a pris la déci-
sion de suspendre les activités de
Mutanda, déclenchant un léger re-
bond des cours.
Le cobalt va-t-il reprendre sa
folle progression? Pas si sûr. Cer-
tes, d’après une note du cabinet
de consulting McKinsey, la transi-
tion vers l’électrique aura bien
lieu, et devrait concerner entre

22 % et 30 % du parc automobile
d’ici à 2030. Mais les rédacteurs de
la note « Lithium and cobalt : A
tale of two commodities » avertis-
saient, dès 2018, que, parmi les
matières premières indispensa-
bles à la fabrication d’un nombre
exponentiel de batteries, il en
était une qui, en particulier, po-
sait problème à l’industrie : « Clai-
rement, le cobalt représente la plus
grande source de préoccupation,
et les utilisateurs devront investir
sérieusement dans la recherche et
le développement [R&D] pour
identifier des technologies de di-
versification afin d’éviter les pro-
blèmes d’approvisionnement en
matières premières. »
Dit autrement, cela désigne,
sans la nommer, la dépendance
de la planète aux ressources de

Kinshasa. A la suite de la réforme
du code minier, la redevance sur
le cobalt est passée de 2 % à 10 %
en décembre 2018. Cela s’inscrit
dans un cadre incertain qui in-
quiète le secteur, en passe de de-
venir colossal. Celui-ci peine à
s’accommoder d’un trop grand
nombre d’inconnues concen-

trées en RDC, avec, fatalement,
des conséquences sur les coûts
d’exploitation (alors que l’indus-
trie des batteries repose sur des
marges très faibles).
CATL, le plus grand fabriquant
de batteries au monde, a déjà pris
les devants. Contemporary Am-
perex Technology Ltd est une an-
cienne entreprise de vêtements
installée dans le Fujian (sud-est)
de la Chine, un pays qui produit
73 % des batteries lithium-ion de
la planète. Au dire d’une source
bien informée, l’investissement
de la compagnie dans la R&D y re-
présenterait 5 % des revenus.
Parmi les avancées menées par
son laboratoire, une révolution
discrète a eu lieu.
Considérant que les cours du co-
balt sont à la fois trop élevés pour

eux et trop fluctuants, les ingé-
nieurs chinois s’efforcent de ré-
duire la dépendance à ce métal,
en abaissant son taux dans leurs
batteries. Celui-ci est sur le point
d’être ramené de 20 % à 12 %. Se-
lon la même source, il devrait
même chuter à 7 % d’ici à 2021.
Ces résultats ne sont pas pu-
blics, mais l’information circule,
sachant que la domination dans
ce secteur-clé de l’économie inter-
nationale « ne peut être dictée par
des incertitudes au Congo » ,
euphémise un acteur important.
La production de batteries repré-
sente 316 gigawatts-heure (GWh).
D’après l’agence Bloomberg New
Energy Finance (NEF), la demande
mondiale, en 2030, devrait attein-
dre 1 400 GWh.p
jean-philippe rémy

Tsunami politico-financier en Argentine

Un possible retour au pouvoir des péronistes inquiète les marchés et fait chuter le peso

buenos aires - correspondante

U

n véritable tsunami a
déferlé sur l’Argentine,
sur la scène politique
mais également sur les marchés,
au lendemain des élections
primaires ouvertes, simultanées
et obligatoires (PASO), organisées
dimanche 11 août. La coalition pé-
roniste, conduite par Alberto Fer-
nandez et l’ancienne présidente
Cristina Fernandez de Kirchner
(2007-2015), l’a largement em-
porté avec 47 % des suffrages,
contre 32 % pour la coalition de
centre-droite du président Mauri-
cio Macri, qui brigue sa réélection.
Après cette lourde défaite de
M. Macri, les dés semblent jetés.
Les PASO sont considérées
comme une répétition générale
des prochaines élections prési-
dentielle et législatives du 27 octo-
bre. Si le résultat du 11 août se re-
produisait en octobre, Alberto
Fernandez serait proclamé vain-
queur dès le premier tour. Selon
la loi électorale argentine, pour
être élu, il faut obtenir au moins
45 % des suffrages, ou bien 40 % et
une avance de dix points sur le
candidat arrivé deuxième.
Face à ce résultat, qu’aucune en-
quête d’opinion n’avait prévu, un
vent de panique s’est emparé des
marchés : lundi 12 août, le peso a
perdu près de 19 % et les valeurs
boursières de la troisième écono-

mie d’Amérique latine ont dégrin-
golé de 60 % avant que la Bourse
ne se reprenne. Mardi 13 août, le
« risque pays », qui mesure la dif-
ficulté d’un Etat à honorer ses det-
tes, a atteint 1 600 points. Dans les
commerces, les Argentins scru-
tent désormais les étiquettes avec
angoisse, craignant une nouvelle
et probable flambée des prix. L’in-
flation est déjà de 55 % cette an-
née et devrait atteindre 250 % sur
toute la période de gouverne-
ment du président Macri. Faute
de pouvoir garantir leurs prix, les
concessionnaires automobiles
ont suspendu leurs ventes pour
une durée indéterminée.
Pour le président Macri, ce
tremblement de terre s’explique
par la peur d’un retour du péro-
nisme, et en particulier de Cris-
tina Kirchner, qui pourrait ouvrir
la voie à un populisme de gauche
et à une politique économique
interventionniste. Pendant sa
présidence, Mme Kirchner avait
imposé de stricts contrôles des
changes qui avaient freiné les
investissements, tout en partant
en guerre contre le monde agri-
cole, principale richesse du pays, à
propos des taxes à l’exportation.
L’ex-présidente est, par ailleurs,
mise en examen dans onze affai-
res de corruption.
Et pourtant, la peur d’un « retour
au passé » et les promesses d’ « un
futur meilleur » brandies par le

président Macri n’ont pas
convaincu les électeurs. Ils ont
voté au présent : les salaires ont
perdu 17 % de leur valeur, les haus-
ses des tarifs des services publics
dépassent les 1 000 % et le chô-
mage a grimpé à plus de 10 %.
A son arrivée au pouvoir en dé-
cembre 2015, M. Macri avait pro-
mis une « pauvreté zéro ». Au-
jourd’hui, plus d’un tiers des Ar-
gentins vivent dans la pauvreté.
La croissance promise n’est pas
arrivée, pas plus que les investis-
sements étrangers. La fuite des
capitaux est estimée à quelque
72 milliards de dollars (64,5 mil-
liards d’euros). Submergé par
deux crises monétaires en 2018, le
gouvernement a fait appel au
Fonds monétaire international
(FMI) mais le prêt colossal obtenu,
de 57 milliards de dollars, s’est tra-
duit au quotidien par de doulou-
reuses mesures d’austérité pour
les citoyens.

Aucune mesure concrète
Alberto Fernandez a été, entre
2003 et 2008, le chef du gouverne-
ment de Nestor puis de Cristina
Kirchner. Il avait pris ses distances
avec Mme Kirchner en critiquant
durement sa façon de gouverner,
et il se présente aujourd’hui
comme un kirchnériste modéré.
Il s’est empressé d’affirmer que,
s’il était élu, l’Argentine honore-
rait sa dette vis-à-vis du FMI. « Je

ne veux d’aucune façon tomber
dans un défaut de paiement de la
dette », a-t-il assuré. Pour lui, le
seul responsable de la méfiance
des marchés est le président
Macri. « Les marchés réagissent
mal quand ils se rendent compte
qu’ils ont été arnaqués, a-t-il dé-
claré. Et le gouvernement ne
donne pas de réponse à la crise
économique. » M. Fernandez a
également précisé qu’il souhaitait
que le président Macri termine
son mandat le 10 décembre. Une
façon de chasser les fantasmes
d’un départ précipité du chef de
l’Etat, dans un pays où aucun pré-
sident non péroniste n’a pu ter-
miner son mandat normalement.
Pour l’instant, le président ar-
gentin n’a annoncé aucune me-
sure concrète visant à tranquilli-
ser les marchés. Il n’a pas non plus
évoqué la possibilité d’une con-
certation avec l’opposition, et en
particulier avec son principal ad-
versaire, Alberto Fernandez. « S’il
n’y a pas un accord entre Fernan-
dez et Macri, il va être très difficile
de construire la confiance », a mis
en garde l’analyste politique Ro-
sendo Fraga. Les Argentins sem-
blent condamnés à vivre dans un
angoissant climat d’incertitude
alors qu’il reste de longues semai-
nes avant la présidentielle et une
éventuelle passation de pouvoir,
prévue le 10 décembre.p
christine legrand

Dans la mine
à ciel ouvert
de cobalt
et de cuivre
de Mutanda,
en République
démocratique
du Congo,
en août 2012.
BLOOMBERG/
BLOOMBERG VIA
GETTY IMAGES

La République
démocratique
du Congo
représente 65 %
de la production
mondiale
du minerai

+ 1,44 %
C’est la progression enregistrée, mardi 13 août, par l’indice Dow
Jones, qui a gagné 372,54 points (à 26 279,91 points), à la Bourse
de New York, après l’annonce, par l’administration Trump, d’un report
au 15 décembre de la hausse de 10 % des taxes qui devaient cibler
notamment les produits électroniques chinois à partir du 1er septem-
bre. Le S&P 500 a pris 42,57 points (+ 1,48 %, à 2 926,32 points), tandis
que le Nasdaq Composite, à forte pondération technologique, s’est
apprécié de 152,95 points (+ 1,95%, à 8 016,36 points). Après une
ouverture en repli, les trois grands indices ont bondi à l’annonce
du report des droits de douane.

T R A N S P O R T A É R I E N
Boeing enregistre
une forte chute de
ses livraisons d’avions
Boeing a annoncé, mardi
13 août, une chute de 38 % de
ses livraisons d’avions sur les
sept premiers mois de l’an-
née, en raison de l’immobili-
sation au sol du 737 MAX, en
mars, après deux accidents
mortels. L’avionneur a livré
258 appareils, contre 417 il y a
un an, tandis qu’Airbus en a
fourni 458 au cours de la
même période. – (Reuters.)

Norwegian suspend
ses vols transatlantiques
depuis l’Irlande
La compagnie à bas coût
Norwegian a annoncé, mardi
13 août, la suspension de tous
ses vols transatlantiques de-
puis l’Irlande, invoquant les
déboires du Boeing 737 MAX.
La décision, effective à comp-
ter du 15 septembre, affectera
six routes aériennes exploi-

tées depuis Dublin, Cork et
Shannon vers les Etats-Unis
et le Canada. – (AFP.)

C O N J O N C T U R E
Net ralentissement
de la production
industrielle chinoise
Selon les chiffres officiels pu-
bliés mercredi 15 août, la pro-
duction industrielle de la
Chine a ralenti, en juillet, à
4,8 % sur un an (contre 6,3 %
en juin). Ce niveau, le plus
faible enregistré depuis
dix-sept ans, souligne
les difficultés croissantes de
l’économie chinoise dans
un contexte d’escalade des
tensions commerciales avec
les Etats-Unis. Malgré les me-
sures de soutien à l’écono-
mie, instaurées par Pékin
depuis plus d’un an, la
demande intérieure est
elle aussi morose : les ventes
au détail ont moins pro-
gressé que prévu en juillet
(+ 7,6 % sur un an).
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