MondeLe - 2019-08-15

(vip2019) #1
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FRANCE

JEUDI 15 AOÛT 2019

En Provence, Macron en quête de hauteur

Le président de la République, qui commémore jeudi les 75 ans du débarquement, recevra Poutine lundi

U


n président n’est pas là
pour se contenter
d’ « inaugurer les chry-
santhèmes », dirait
Charles de Gaulle. Mais « faire pré-
sident » – selon la formule de Nico-
las Sarkozy – consiste aussi à in-
carner la République lors de com-
mémorations. A célébrer « cette
histoire commune qui nous fait
français » , comme le souligne l’en-
tourage d’Emmanuel Macron.
François Hollande, dont le quin-
quennat coïncidait avec le cente-
naire de la première guerre mon-
diale, avait parfois été raillé pour
sa propension à multiplier ce
genre de rendez-vous, comme
pour échapper aux supplices du
quotidien.
L’actuel chef de l’Etat, lui, a choisi
d’y avoir recours avec plus de par-
cimonie. Ce qui ne l’a pas empê-
ché de marcher sur les traces des
poilus lors d’une « itinérance mé-
morielle » , en novembre 2018, ou
de recevoir, en juin, les grands de
ce monde à l’occasion des 75 ans
du débarquement de Normandie.
Utile pour se placer en surplomb
de l’actualité et de ses contraintes.
En particulier aujourd’hui, dans
une période où le locataire de
l’Elysée a décidé de laisser plus de
place à son premier ministre,
Edouard Philippe.

« Destins croisés »
C’est à un autre soixante-quin-
zième anniversaire qu’Emmanuel
Macron va se consacrer, jeudi
15 août : celui du débarquement
allié en Provence, qui contribua,
en 1944, comme celui de Norman-
die, à libérer la France de l’occupa-
tion allemande lors de la seconde
guerre mondiale. La cérémonie
doit se dérouler à la nécropole de
Boulouris, sur la commune de
Saint-Raphaël, dans le Var, où re-
posent les corps de 464 combat-
tants de la Ire armée française.
C’est la première fois que le chef de
l’Etat va participer aux cérémo-
nies sur place.
Il avait annoncé sa venue, le
11 juillet, à l’occasion de la récep-
tion à l’Elysée de représentants de
la diaspora africaine. M. Macron a,
en effet, décidé de profiter de cet
anniversaire pour souligner le rôle
dans le conflit des combattants is-
sus des anciennes colonies fran-
çaises. « Les soldats coloniaux ont
été essentiels [en août 1944], une
véritable colonne vertébrale. Près
de 70 % des soldats français étaient
originaires d’outre-mer, que ce soit
d’Afrique ou du Pacifique. C’est qua-
siment l’empire qui débarquait en

Provence » , rappelle l’historien
Julien Fargettas, qui a publié un
ouvrage sur Les Tirailleurs sénéga-
lais (Tallandier, 2012).
Le président guinéen, Alpha
Condé, et celui de Côte d’Ivoire,
Alassane Ouattara, seront pré-
sents pour l’occasion. Le premier
doit prononcer un discours, tout
comme le romancier David Diop,
auteur de Frère d’âme (Babelio,
2018), récit des souffrances d’un
tirailleur sénégalais pendant la
première guerre mondiale. « Je
vais rappeler que ces hommages
sont importants pour notre so-
ciété actuelle » , souligne M. Diop,
qui s’était vu remettre le prix
Goncourt des lycéens à l’Elysée,
en novembre 2018.
« Il y a une forme de symétrie
dans la manière dont on a conçu la
cérémonie par rapport à celle de
Reims lors de l’itinérance mémo-
rielle » , explique-t-on à l’Elysée. En

novembre 2018, Emmanuel Ma-
cron avait reçu le président
malien Ibrahim Boubacar Keïta
pour saluer la mémoire des
200 000 combattants africains
de la Grande Guerre. Une manière
de souligner l’ « histoire com-
mune » et les « destins croisés » qui
unissent la France et l’Afrique.

Séquence mémorielle
Cette initiative n’est pas nouvelle.
En 2014, déjà, à l’occasion des
70 ans du débarquement de
Provence célébrés par François
Hollande, les représentants de
vingt pays africains avaient fait le
déplacement dans le Var.
« On s’inscrit dans la continuité
des précédentes commémora-
tions » , reconnaît-on dans l’en-
tourage d’Emmanuel Macron.
L’aveu n’est pas si courant de la
part d’un chef de l’Etat qui se
montre soucieux, depuis deux

ans, de prendre le contre-pied de
son prédécesseur.
Invité à participer à l’événement


  • comme tous les anciens prési-
    dents –, M. Hollande n’a pas
    donné suite. Au contraire de Nico-
    las Sarkozy, qui entretient des
    relations plus chaleureuses avec
    l’actuel président.
    La séquence mémorielle ne s’ar-
    rêtera pas là. M. Macron est at-
    tendu, deux jours plus tard, à Bor-
    mes-les-Mimosas, à l’occasion des
    75 ans de la libération de cette pe-
    tite cité du Var. Un rendez-vous à la
    connotation plus personnelle
    pour le chef de l’Etat, qui apprécie
    tout particulièrement ce village si-
    tué à un jet de pierre du fort de
    Brégançon, où le couple présiden-
    tiel passe ses vacances. Il avait
    d’ailleurs déjà participé aux céré-
    monies organisées il y a un an.
    Le rendez-vous de Bormes-les-
    Mimosas va marquer en quelque


sorte la fin de la trêve estivale
pour le chef de l’Etat, qui se sera
fait plutôt discret pendant trois
semaines. « Il a continué de suivre
les dossiers nationaux, mais c’est
un temps qui permet de prendre
du recul, de préparer la rentrée et
les échéances internationales » ,
convient-on à l’Elysée.
Lundi 19 août, il recevra à Bré-
gançon le président russe, Vladi-
mir Poutine, à quelques jours du

Le président entretient la flamme avec Nicolas Sarkozy

Sympathie mutuelle ou calcul politique? La relation entre l’ex-chef de l’Etat et Macron, qui s’afficheront ensemble le 15 août, ne faiblit pas

P

our comprendre la nature
du lien qui unit Emma-
nuel Macron et Nicolas
Sarkozy, il faut lire Passions (édi-
tions de l’Observatoire), le best-
seller de l’été signé de l’ancien
président de la République.
Page 36, d’abord, où il évoque les
funérailles de sa mère, Andrée, en
décembre 2017. « En arrivant avec
Carla pour chercher son cercueil et
l’amener à l’église, j’eus la surprise
de trouver deux motards de la
police pour accompagner sa dé-
pouille , écrit Nicolas Sarkozy.
C’était une attention du président
Macron, qui m’a touché. »
Page 40, ensuite, où l’« ex » se fé-
licite de la « cordialité » du dîner
privé auquel il a été convié par le
couple Macron à l’Elysée, en
juillet 2017. « Le dîner fut d’autant
plus agréable qu’il commença par
une déclaration de Brigitte Macron
précisant : “J’ai toujours eu de la

sympathie pour vous et je ne le re-
grette pas.” J’ai été sensible à la sin-
cérité et la simplicité de Brigitte Ma-
cron. C’est une femme de qualité. »
Dans le même livre, l’intéressé re-
connaît, aussi, avoir toujours été
trop sensible à la flatterie...

Tango
Sincère ou calculée, l’intensité de
la relation entre Nicolas Sarkozy,
64 ans, et Emmanuel Macron,
41 ans, ne faiblit pas depuis le dé-
but du quinquennat. Jeudi
15 août, ils vont se retrouver pour
un nouvel épisode de cette « love
affair » à Saint-Raphaël (Var), cette
fois pour célébrer ensemble les
75 ans du débarquement allié en
Provence. En mars, ils parta-
geaient déjà bain de foule et es-
trade le temps d’une cérémonie
au plateau des Glières (Haute-Sa-
voie), haut lieu de la résistance...
et du quinquennat Sarkozy.

Les deux hommes se sont aussi
retrouvés en tête à tête. En décem-
bre 2018, d’abord, pour discuter
sortie de crise des « gilets jaunes »
lors d’un déjeuner à l’Elysée. L’oc-
casion pour l’ancien locataire des
lieux de souffler au nouveau l’idée
de réintroduire les heures supplé-
mentaires défiscalisées, une me-
sure phare de son mandat que
François Hollande avait eu le mau-
vais goût de supprimer. Emma-

nuel Macron les rétablira quelques
jours plus tard. En juillet 2018, en-
fin, MM. Macron et Sarkozy eurent
tout le loisir de refaire le monde le
temps d’un vol Moscou-Paris dans
l’avion présidentiel, sur le chemin
du retour de la finale de la Coupe
du monde de football.
Des deux côtés, cet affichage très
politique est habillé des atours
d’une simple « relation institution-
nelle ». Une justification com-
mode, qui ne passe pas toujours
dans leurs familles respectives,
prêtes à rejouer la guerre des Capu-
let et des Montaigu. Rachida Dati a
prévenu Nicolas Sarkozy : « Vous
pensez qu’il vous aime, mais il vous
neutralise. » De fait, les proches
d’Emmanuel Macron ne cachent
pas que cette proximité leur sert à
s’arroger les faveurs de l’électorat
de droite. Dixit un député LR, l’ex-
président du parti reste pour eux
« le dernier grand monument de-

bout ». En face, un élu influent de la
majorité observe ce tango avec
suspicion : « Sarkozy a besoin
d’éteindre ses affaires judiciaires. »
Un autre, pour sa part, devine que
l’ancien président, « drogué » à la
politique, n’aurait pas renoncé à
l’idée de repartir à la conquête du
pouvoir. Cette relation lui permet-
trait de rester dans le jeu, en atten-
dant mieux. L’idée fait florès,
jusqu’à ce sarkozyste, persuadé de
l’imminence de la chute du chef de
l’Etat, pour qui « Sarkozy visite un
malade, il le regarde mourir ».
Animés par une même énergie
et une volonté de transgresser les
codes, les deux hommes ont en
commun une certaine défiance
vis-à-vis de François Hollande.
L’un garde de la rancœur envers
celui qui lui a succédé, quand
l’autre cherche à faire oublier
celui qui l’a précédé (et lancé en
politique). Tous deux ont donc

intérêt à enjamber cet intermède
socialiste. En passant, un proche
de Nicolas Sarkozy relève que les
policiers chargés de la sécurité de
l’ex-chef de l’Etat auraient reçu
une promotion ces derniers mois,
là où leurs carrières stagnaient
durant le quinquennat de Fran-
çois Hollande...
En privé, ce dernier relativise
l’étau dans lequel il se trouve en-
serré. « C’est compliqué d’avoir des
rapports avec son prédécesseur
pour des conseils. Nicolas Sarkozy
n’entretenait pas de rapports avec
Jacques Chirac, je peux comprendre
ça » , grinçait M. Hollande devant
un visiteur ces dernières semai-
nes. Lui gardait le contact avec
Jacques Chirac et ses proches. Si
l’on suit cette logique, le socialiste
peut s’attendre à recevoir à l’ave-
nir un coup de téléphone du suc-
cesseur d’Emmanuel Macron.p
o. f.

Emmanuel Macron à Bormes-les-Mimosas (Var), le 27 juillet. GÉRARD JULIEN / AFP


Macron a décidé
de souligner
le rôle des
combattants
issus des
anciennes
colonies

G7, qui se tient à Biarritz (Pyrénées-
Atlantiques) du 24 au 26 août.
« Une visite de travail sur le lieu de
travail du président de la Républi-
que » , tient à souligner un con-
seiller, comme pour signifier que
le rendez-vous n’a rien d’un mo-
ment de détente.
Le conseil des ministres de
rentrée se tiendra, lui, mercredi
21 août. Mais Emmanuel Macron
sera avant tout happé par l’agenda
international, laissant le soin à
Edouard Philippe de monter en
première ligne sur la politique in-
térieure. « Dans la deuxième partie
du quinquennat, on va retrouver
notre fonctionnement institution-
nel normal, avec un premier minis-
tre qui dirige et un président qui
préside » , veut croire Bruno Fuchs,
député (MoDem) du Haut-Rhin.
Et qui inaugure aussi, parfois,
quelques chrysanthèmes.p
olivier faye

Rachida Dati
a prévenu
Nicolas Sarkozy :
« Vous pensez
qu’il vous aime,
mais il vous
neutralise »
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