MondeLe - 2019-08-15

(vip2019) #1
JEUDI 15 AOÛT 2019 france| 9

Catholiques : radiographie d’un vote en mutation

Traditionnellement ancrés à droite, les pratiquants ont délaissé Les Républicains au profit de Macron

D


eux ans après l’arrivée
d’Emmanuel Macron
à l’Elysée, le lien avec
les catholiques prati-
quants, qui s’apprêtent à célébrer
la fête de l’Assomption, semble
s’être sensiblement renforcé. C’est
l’un des principaux enseigne-
ments des élections européennes
du 26 mai. Selon un sondage IFOP
réalisé pour La Croix au lende-
main du scrutin, ces derniers ont
majoritairement voté (37 %) pour
la liste de la majorité (LRM-Mo-
Dem) portée par Nathalie Loiseau.
Un taux qui monte à 43 % chez les
pratiquants réguliers.
Le soutien de cet électorat expli-
que en partie le bon score obtenu
par la liste de la majorité, arrivée
en deuxième position au soir du
26 mai, mais à un point seule-
ment de la liste du Rassemble-
ment national (RN), menée par
Jordan Bardella. Selon le directeur
opinion et stratégie de l’IFOP,
Jérôme Fourquet, auteur de L’Ar-
chipel français. Naissance d’une
nation multiple et divisée (Seuil,
384 pages, 22 euros), les européen-
nes ont en effet été le théâtre d’un
« chassé-croisé ». D’un côté, un
certain nombre d’électeurs issus
de la gauche, qui avaient voté
pour Macron en 2017, sont repar-
tis vers des partis de gauche, no-
tamment les Verts. Mais cette
perte a été compensée par l’arri-
vée d’électeurs nouveaux qui ve-
naient de la droite, dont de nom-
breux catholiques pratiquants.
Dans certaines zones histori-
quement empreintes de catholi-
cisme et votant traditionnelle-
ment à droite, comme la
Mayenne, la Vendée, l’Aubrac, le
Pays basque ou le Haut-Doubs, on
observe ainsi une progression
nette de la liste Renaissance par
rapport au score obtenu par Em-
manuel Macron à la présiden-
tielle de 2017.
Depuis l’enquête des sociolo-

gues Guy Michelat et Michel Si-
mon ( Classe, religion et comporte-
ment politique , Presses de Scien-
ces Po), qui a démontré en 1977
que l’appartenance au catholi-
cisme était une variable explica-
tive des comportements électo-
raux, il est acquis que les catholi-
ques votent tendanciellement
plus à droite que le reste de la po-
pulation. A l’élection présiden-
tielle de 2012, les pratiquants ré-
guliers ont ainsi voté pour le can-
didat de l’UMP à 79 %, très au-des-
sus du score obtenu par Nicolas
Sarkozy (48 %) au second tour,
selon un sondage Harris-Interac-
tive réalisé pour l’hebdomadaire
La Vie le 6 mai 2012.

« Noyau dur »
En 2017, les catholiques prati-
quants, qui avaient très fortement
soutenu François Fillon lors de la
primaire de la droite et du centre,
l’ont encore en grande partie plé-
biscité au premier tour de la prési-
dentielle, en dépit des déboires du
candidat Les Républicains (LR).
Une illustration, selon Jérôme
Fourquet, « de l’ancrage réitéré à
droite des catholiques pratiquants,
attachés aux valeurs et à l’identité
française, au travail et à la mérito-
cratie ». De fait, François Fillon n’a
pas décroché par rapport au score
de premier tour de Nicolas
Sarkozy, cinq ans plus tôt, obte-
nant 46 % des voix des catholiques
pratiquants contre 45 % pour son
prédécesseur, alors qu’il cédait
7 points dans l’ensemble de l’élec-

torat en atteignant 20 % des voix
contre 27 % pour Sarkozy en 2012.
« Ce qui montre que le noyau dur
catholique avait tenu à l’époque »,
analyse Jérôme Fourquet.
Mais, aux européennes de 2019,
une partie des catholiques prati-
quants a délaissé le candidat LR,
François-Xavier Bellamy, qui a
réalisé le pire score de la droite à
un scrutin européen (8,5 %). Le
26 mai, le philosophe n’a obtenu
que 22 % des voix dans l’électorat
catholique pratiquant.
Adjoint au maire de Versailles
depuis 2008, engagé en faveur de
La Manif pour tous en 2012, pion-
nier de Sens commun (émana-
tion politique de La Manif pour
tous), François-Xavier Bellamy
semblait pourtant avoir le profil
idéal pour séduire les catholiques.
Or, ces derniers ont boudé LR jus-
que dans certains bastions em-
blématiques comme Versailles, le
16 e arrondissement de Paris ou
l’ancien fief de Nicolas Sarkozy,
Neuilly. Pour Jérôme Fourquet,
« tant que la droite ne sera pas re-
construite, cet électorat catholique
sera d’autant plus facilement cap-
table par LRM ». Et ce, d’autant
plus, ajoute le sondeur, que ces
électeurs ayant voté pour Macron
n’ont pas le sentiment d’avoir
trahi leur famille politique.
L’échec de François-Xavier Bel-
lamy s’inscrit dans le sillage de la
défaite de François Fillon et,
avant lui, celle de Nicolas Sarkozy.
Pour le maître de conférences en
science politique à l’université de
Bordeaux Yann Raison du Cleu-
ziou, auteur de Qui sont les cathos
aujourd’hui? Sociologie d’un
monde divisé (Desclée de
Brouwer, 2014), les catholiques
pratiquants se sont sentis « abu-
sés et discrédités » lors de la prési-
dentielle de 2017, entachée par
« l’affaire Fillon ». L’électorat ca-
tholique n’a, de plus, jamais fait
confiance à Laurent Wauquiez.

« Aux européennes, poursuit le so-
ciologue, Bellamy n’a pas réussi à
rétablir la confiance. Les catholi-
ques ont pensé qu’en votant pour
le philosophe, ils hériteraient du
vieux système LR dont ils ne veu-
lent plus. »
Le fait que les catholiques se
soient portés davantage sur la
liste de Nathalie Loiseau que sur
celle de François-Xavier Bellamy,
alors même que le gouvernement
prépare l’ouverture de la procréa-
tion médicalement assistée
(PMA) aux femmes seules et aux
couples de femmes, indique une
décrispation d’un certain nom-
bre d’entre eux sur les questions
de société. Le directeur du labora-
toire Groupe sociétés, religions,
laïcités du CNRS, Philippe Portier,
explique ainsi qu’ « une partie des
catholiques qui manifestaient des
préventions à l’égard du mariage
pour tous, et qui auraient pu être
hostiles à Macron, compte tenu de
son projet d’ouvrir la PMA aux cou-
ples de femmes, ont évolué ».

« Evolution culturelle »
Selon le politiste, ils seraient
même dans l’ensemble, « sauf une
minorité d’entre eux, acquis à
l’évolution culturelle ». « Les catho-
liques aujourd’hui sont bien plus
ouverts que dans les décennies
précédentes à la liberté en matière
de sexualité, poursuit M. Portier.
Ce qu’ils souhaitent, en revanche,
c’est qu’on les reconnaisse et qu’on
les considère. Et, de ce point de vue,
Emmanuel Macron a joué très ha-
bilement. Il réformera la PMA
mais aura à cœur de ne pas heur-
ter l’électorat catholique. »
Ces derniers mois, plusieurs élé-
ments ont par ailleurs favorisé
l’adhésion des catholiques prati-
quants à Emmanuel Macron, no-
tamment la crise des « gilets jau-
nes » à partir de la fin 2018. Dès le
déclenchement de cette crise
sociale, « on observe un soutien à

Macron qui se maintient ou qui se
renforce dans l’électorat catholi-
que, alors que la popularité du chef
de l’Etat baisse dans l’ensemble de
la population », analyse encore
Jérôme Fourquet. Souvent âgé,
l’électorat catholique pratiquant
se caractérise en effet par un atta-
chement aux institutions et un
rejet très fort de la violence. « Cela
a sans doute joué dans le fait
qu’une partie des catholiques ait
fait bloc derrière le président, au
moment où la France se déchirait » ,
poursuit le sondeur.
Depuis son élection, Emmanuel
Macron n’a en outre eu de cesse
d’adresser des messages en direc-
tion de cet électorat : son discours
au collège des Bernardins, le
9 avril 2018, où il a évoqué son
souhait de « réparer » le lien entre
l’Eglise et l’Etat qui « s’est abîmé »,
puis sa rencontre avec le pape
François en juin, et enfin, son atti-
tude très offensive au moment de
l’incendie de Notre-Dame de
Paris, le 15 avril. Selon l’IFOP, ces
trois événements ont à chaque
fois eu un effet sur la cote de po-
pularité du chef de l’Etat auprès
des catholiques pratiquants.
On note par ailleurs des proxi-
mités entre la sociologie des ca-
tholiques pratiquants et celle du
macronisme. Yann Raison du
Cleuziou souligne en effet que ces
derniers, plutôt urbains et appar-
tenant aux classes supérieures,
correspondent bien à l’électorat

Les catholiques
pratiquants
se distinguent
par la
perpétuation
d’une résistance
au RN (ex-FN)

de Macron. En outre, les catholi-
ques sont pro-européens. D’après
le sondage de l’IFOP pour La Croix ,
51 % des Français déclarent que la
construction européenne a été
déterminante dans leur choix
contre 65 % pour les catholiques
pratiquants. C’est cet « ADN
pro-européen des catholiques » qui
a aussi joué en faveur de la liste
LRM-MoDem, très clairement
pro-européenne, indique Jérôme
Fourquet.

Forte participation
Les catholiques pratiquants se dis-
tinguent en outre par la perpétua-
tion d’une résistance au RN. Au
premier tour de la présidentielle
de 2017, ils ne sont que 15 % à voter
pour la candidate du RN, un score
bien inférieur à la moyenne natio-
nale (21,3 %). Les régionales de 2015
sont une exception, les catholi-
ques ayant voté davantage pour
les listes FN (32 %) que l’ensemble
des Français (27,7 %), selon une
étude IFOP publiée au lendemain
du premier tour du scrutin de dé-
cembre 2015 par l’hebdomadaire
Le Pèlerin. Ce comportement n’a
toutefois pas été corroboré par les
européennes de 2019. Toujours
selon l’IFOP, le RN n’a pas fait re-
cette chez les catholiques le
26 mai, puisque la liste de Jordan
Bardella a attiré 14 % des catholi-
ques pratiquants contre 17 % ayant
voté pour Marine Le Pen en 2017.
Même si les catholiques prati-
quants sont moins nombreux que
par le passé (autour de 11 % de la
population), leurs voix sont
d’autant plus précieuses que cet
électorat est très mobilisé à cha-
que scrutin. Le 26 mai, 78 % des
catholiques pratiquants déclarent
avoir voté, soit près de 30 points de
plus que la participation globale.
Une proportion qui monte jusqu’à
84 % pour les catholiques prati-
quants réguliers.p
minh dréan

On note des
proximités entre
la sociologie
des catholiques
et celle du
macronisme
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