LOS! Hors Série N°21 – Septembre-Octobre 2019

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INTRODUCTION


En 1944 en Europe, la seule existence du
Tirpitz, jumeau du mythique Bismarck, tapi
au fond d’un fjord norvégien, est une menace
tellement prise au sérieux que la RAF multiplie
les raids pour le couler, jusqu’à utiliser de
monstrueuses bombes sismiques de plusieurs
tonnes. De même, en 1945, les quelques
cuirassés japonais survivants dont le puissant
Yamato sont systématiquement traqués et
pilonnés par l’aéronavale américaine. Jusqu’à
la fin, ces monstres des mers auront donc
encore leur mot à dire, et on les verra tout
au long du conflit cracher des déluges de
feu sur les côtes d’Afrique du Nord, d’Italie,
de Normandie, de Provence ou des îles du
Pacifique jusqu’à Iwo Jima et d’Okinawa ; on
les verra jusqu’à la fin tenter de débusquer
des cibles à détruire ou dresser des barrages
de feu contre les nuées d’avions assaillant
les flottes.


UN GUIDE DES « CUIRASSÉS »


Sont présentés ici les caractéristiques et un
bref historique de tous les navires de bataille
cuirassés ayant servi dans le monde, et sou-
vent combattu, au cours de la Seconde Guerre
mondiale. Mais qu’est qu’un « cuirassé »?
Cette dénomination spécifiquement française
peut parfois tromper, et faire confondre un
vieux « croiseur-cuirassé » (Armored Cruiser),
un « croiseur protégé » ou un simple « cui-
rassé garde-côte » avec un authentique
navire de bataille. Au cours du conflit, les
Allemands distinguent les Panzerschiffe
(« navires blindés » type Graf Spee) et les
Schlachtschiffe (« navires de bataille », type
Scharnhorst ou Bismarck) des simples Kreuzer
(« croiseurs » même blindés, type Blücher)
comme les Anglo-saxons, maîtres des
océans, distinguent les Battleships (les plus
puissants) des Battlecruisers (« croiseurs de
bataille », les plus rapides). Les plus modernes
de ces navires, alliant puissance, protection
et vitesse, sont dits Fast Battleships. Une
autre distinction pouvant induire en erreur a
trait à la génération : les « dreadnoughts »
désignent les navires cuirassés construits
d’après le modèle du révolutionnaire bâti-
ment britannique éponyme lancé en 1906,
avec pour caractéristique essentielle la
concentration de l’armement en quelques
tourelles du plus gros calibre possible. Les
dreadnoughts et « super-dreadnoughts »
(ces derniers qualifiant généralement un
calibre d’artillerie de 356 mm et plus) sont
distingués des « pré-dreadnoughts », rares
survivants obsolètes des flottes du tournant
du XXe siècle mais parfois encore en service
au cours de la Seconde Guerre mondiale. En
1939 toutefois, ces dreadnoughts, encore
majoritaires, sont eux-mêmes considérés
comme des bâtiments anciens, plus ou
moins bien modernisés, mais dépassés par
la nouvelle génération de cuirassés mise en
chantier à partir du milieu des années 1930
et alliant généralement puissance, protection,
et vitesse. Faute de caractéristiques toujours


comparables, tous ces navires ont pour point
commun d’être les héritiers symboliques à la
fois des grands navire de ligne « deux-ponts »
ou « trois-ponts » de la marine à voile, ainsi
que des Ironclads, ces premiers cuirassés de
la fin du XIXe siècle, cœurs des flottes dont la
fonction a de tout temps été de combattre en
masse et en ligne de file leurs pairs à coups
de lourdes bordées d’artillerie.
Quels sont les critères retenus pour désigner
un cuirassé? Le choix n’est pas toujours
évident. Quoi de commun entre le vieux
Schleswig-Holstein, croiseur-cuirassé alle-
mand de 13 000 t, obsolète mais néanmoins
encore utile en Baltique et tirant même les
premiers coups de canon du conflit de
ses lourdes pièces de 280 mm, et le fier
Bismarck, éphémère terreur de la Royal Navy
et exécuteur du Hood en 1941? Quoi entre
les vieux cuirassés Courbet français toujours
en ligne en 1939-1940, bien qu’irrémédia-
blement dépassés sur tous les plans, et le
puissant Richelieu rescapé du désastre de
1940 et participant, modernisés, aux der-
nières campagnes du Pacifique? Quoi entre
les dreadnoughts de 20 000 t hérités de
la guerre précédente, même plus ou moins
bien modernisés, et les Fast Battleships
hérissés de radars de la fin de la guerre, ou

le gigantesque Yamato de 65 000 t dont
chacune des trois énormes tourelles triples
de 46 cm protégée par 65 cm d’acier (soit
plusieurs fois la protection du plus lourd des
chars de la guerre, six fois celle du mythique
char allemand Tiger) peut envoyer en deux
minutes plus de 13 t d’acier à 40 km de
distance? En cas de doute sur la classifi-
cation des navires, les principaux critères
retenus sont le calibre de l’armement princi-
pal, au moins 280 mm, qui différencie ces
« Big Guns » plus qu’aucun autre critère,
ainsi que le tonnage supérieur à la limite de
10 000 t [2] définissant les croiseurs dans les
traités internationaux. Rares sont les « cui-
rassés » méritant ce titre et jaugeant moins
de 20 000 t, les plus modernes dépassant
les 30 000 voire les 40 000 t. Exit donc
les navires de catégories inférieures, type
croiseurs, « cuirassés garde-côtes » et autres
« monitors » de certaines flottes, ne présen-
tant pas ces deux caractéristiques de base. 

[2] Tonnage dit standard, ne comptabilisant
ni les munitions ni le carburant, et servant
de référence dans les traités internationaux
comme dans cet ouvrage. Un bâtiment en
ordre de combat présente un déplacement
augmenté de plusieurs milliers de tonnes.
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