Temps - 2019-08-09

(ff) #1
VENDREDI 9 AOÛT 2019 LE TEMPS

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«Dans ma culture, de manière générale,

on ne peut pas casser la lignée. On ne peut pas

se marier avec une autre femme qu’une Albanaise.

Pour ma famille, il n’y aura jamais mieux

qu’une femme albanaise pour un homme albanais»

LES CHIFFRES

DE LA MIXITÉ

En Suisse, le nombre de ma-
riages mixtes augmente d’année
en année. En 2016, ils représen-
taient plus d’un tiers des unions
(15 100). Suisses ou Suissesses
choisissent avant tout des par-
tenaires européens: Allemands,
Italiens, Kosovars ou encore
Français.
D’après l’Office fédéral de la
statistique, le taux de personnes
mariées vivant dans un couple –
ou une famille – mixte est d’envi-
ron 10%. Près de 5% des Suisses
nés sur le territoire helvétique
sont mariés avec une personne
de nationalité étrangère.
Les Suisses nés à l’étranger
se sont mariés deux fois plus sou-
vent avec quelqu’un de nationa-
lité étrangère que les Suisses nés
en Suisse (58% contre 23%). ■

de réputation, comme si je déshonorais
la famille. Je pense que si j’avais trois
frères, mes parents accorderaient moins
d’importance à tout ça.
Isabella me reproche toujours de ne
rien faire pour changer les choses, mais
j’ai l’impression que je n’aurais pas vrai-
ment d’influence. Je ne peux pas changer
mon père du jour au lendemain, c’est
impossible. Il est vraiment têtu et il a
toujours été comme ça, carré, il sait ce
qu’il veut, il sait où il va.


I: La situation fait beaucoup de peine à mes
parents. Ma mère se dit souvent: «Ma fille
a tout ce qu’il faut et elle ne se fait pas accep-
ter.» Elle a déjà essayé de parler avec Granit
en lui suggérant d’organiser un repas afin
que nos familles se rencontrent. Mais une
telle situation me paraît inimaginable.

G: J’ai déjà essayé de parler avec mes
parents, surtout avec mon père, mais la
situation n’a pas plus évolué que ça. Je ne
lâche quand même pas l’affaire. Ce que je

répète souvent à Isabella, c’est qu’il ne faut
pas qu’elle s’attende du jour au lendemain
à venir manger tranquillement chez moi.
Ce n’est pas facile, car si mes parents
considèrent que j’ai échoué à un moment
donné dans ma vie, tout retombera sur
notre histoire d’amour, comme quand j’ai
renoncé à faire l’armée.  Dans notre
culture, c’est ce qui fait de toi un homme.
Je n’avais pas envie d’y aller et j’entamais
ma relation avec Isabella. J’ai donc déserté
au bout de quelques jours...

I: Et il est venu habiter chez moi en
cachette!

G: Mes parents ont fini par le découvrir.
Bien entendu, la faute est retombée sur
elle. C’était à cause d’elle que j’avais fait
ce terrible affront, à cause d’elle que
j’avais changé. Mes parents m’ont alors
formellement interdit de la voir. J’ai fini
par craquer, et par la quitter.

I: A ce moment-là, j’ai hésité à aller sonner
chez eux pour leur parler, puis j’ai
renoncé. J’ai l’impression qu’ils ne me
prennent pas au sérieux, de toute façon.
Etant donné que je ne suis pas à l’aise avec
eux, je passe, au mieux, pour la fille très
timide qui ne parle jamais. Pendant une
certaine période, j’ai même songé à
apprendre l’albanais pour me rapprocher
d’eux.

G: ( Rires. ) C’est vrai que si tu parlais
albanais, ça aurait tout changé. Ils
auraient perçu ça comme un signe de
respect et d’intégrité.

I: D’accord, mais apprends l’arabe toi
aussi! Il faudrait que toutes les cultures

sur cette terre s’adaptent aux exigences
des Kosovars et des Albanais alors qu’eux
ne font aucun effort! ( Rires. )

G: Dans la culture albanaise, lorsqu’une
femme se marie à un homme, c’est lui qui
devient le chef de la famille. C’est un peu
dingue de réfléchir comme ça. Admet-
tons que je change quelque chose pour
elle ou que je me mette à apprendre sa
langue, même si mes parents l’accep-
taient, il suffirait qu’un autre membre de
la famille critique cela et tout serait remis
en question. Tout est une affaire d’hon-
neur et de réputation.

I: Mais si tu n’as jamais l’approbation de
tes parents, tu ne te marieras pas avec moi?

G: Si! Je garde l’espoir qu’ils changent
d’avis. Je sais que c’est avec elle que je
veux continuer ma vie. Mais je sais
aussi que je ne tournerai jamais le dos
à ma famille. ■

*Les prénoms ont été modifiés.

La semaine prochaine: Berlin,
30 ans sans Mur

(KIM ROSELIER POUR LE TEMPS)
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