Temps - 2019-08-09

(ff) #1

I


ls s’appellent Michael, Peggy ou Catherine. Ils
n’ont pas vraiment d’expérience de journalisme,
mais ils parlent l’anglais et, surtout, ils sont
débrouillards. Sans eux, impossible de travailler
en Chine, un pays où la majorité de la population
ne parle que le mandarin, où tout passe par les
contacts informels et où les autorités apprécient
moyennement les médias. Petites mains du jour-
nalisme qui ne voient que rarement leur nom
apparaître au pied d’un papier, les fixeurs sont
devenus l’indispensable pièce maîtresse de mes
reportages en Chine et dans le reste de l’Asie. Il
convient donc de bien les choisir. Catherine, une
jeune femme basée à Shenyang et fraîchement
diplômée de l’université, a par exemple fait preuve
d’un impressionnant sang-froid lorsque la police
nous a interpellées durant plusieurs heures ou
qu’un soldat chinois a voulu effacer mes photos.

Vaste réseau
Peggy, une femme au foyer vivant à Shanghai qui
a, dans une autre vie, fait des études de journa-
lisme, fait régulièrement jouer son vaste réseau de
connaissances pour me dégoter des interlocuteurs.
Ces dernières années, elle m’a trouvé un radical
maoïste, un activiste environnemental vivant dans
un village à cancer et un critique gastronomique
qui n’avait pas sa langue dans sa poche. Leur
connaissance du terreau local est cruciale. Nat,
ma fixeuse thaïe, avait déjà assisté plusieurs jour-
nalistes enquêtant sur l’industrie de la crevette en
Asie du Sud-Est. Elle m’a donné rendez-vous à
l’aube dans un port poussiéreux au sud de Bangkok
et m’a aussitôt emmenée dans un hangar où
œuvraient des dizaines de travailleurs birmans
illégaux. Au nord-est de la Birmanie, sans Han
Ni, une guide touristique qui parle le shan et a
grandi dans la région, il m’aurait été impossible
de converser avec les villageois affectés par un
barrage construit par une entreprise suisse. Elle
a mis en confiance un chef de village bourru en
évoquant avec lui le restaurant tenu par ses
grands-parents dans la ville voisine, un établis-
sement connu loin à la ronde.

Cela ne se passe pas toujours aussi bien.
Michael, qui œuvre normalement pour des
hommes d’affaires occidentaux en visite dans
les usines du delta de la rivière des Perles, n’hé-
site pas à parsemer les questions que je lui
demande de traduire de ses propres observa-
tions et opinions. Ce qui rallonge sensiblement
le processus.

Mésentente
De même, il nous arrive de nous fâcher. Le ton
est rapidement monté lorsque j’ai découvert que
Ding*, mon fixeur laotien, m’avait fait faire 18
heures de voiture, alors qu’il y avait un aéroport
à proximité de notre destination, car il avait peur
de prendre l’avion. Son insistance face à mon
refus de manger une brochette d’entrailles ache-
tée sur le bord de la route n’a pas aidé.

Thiha*, mon double birman, n’a que peu appré-
cié que je lui demande d’annuler à la dernière
minute une interview avec un politicien local qu’il
avait mis beaucoup d’efforts à obtenir, car une
opportunité plus pressante était survenue. Il a
insisté, obtenu gain de cause et l’élu local nous a
accompagnés durant un périlleux trajet dans une
zone reculée, nous permettant de passer un bar-
rage mis en place par un groupe armé.
L’argent, nerf de la guerre, suscite lui aussi des
désaccords. Jae, mon fixeur coréen, a organisé
une révolte syndicale à la suite d’une longue jour-
née de travail. «Aujourd’hui, nous avons passé 14
heures sur le terrain et je n’ai même pas eu le
temps de faire une pause déjeuner, m’a-t-il écrit.
J’estime avoir droit à une augmentation de
salaire.» Il ne l’a pas obtenue, mais il a eu droit à
une après-midi de congé. ■ * Prénom d’emprunt.

Mon double et moi

En Asie, travailler avec un fixeur est une condition sine qua non. Cet homme ou femme
de l’ombre suit le journaliste partout. Correspondante en Asie, je vous raconte mon expérience

JULIE ZAUGG, HONGKONG

ALORS, CETTE FÊTE?

A quelques jours de la fin de la Fête des Vignerons,
votre avis nous intéresse. Avez-vous assisté
aux spectacles de l’édition 2019? Qu’en avez-vous pensé?
La couverture médiatique était-elle
à la hauteur de l’événement? Votre témoignage sera
publié en début de semaine prochaine.

[email protected]

LE TWEET

«Merci Valérie de Graffenried

de nous rappeler que la bête

non seulement n’est pas morte mais

reprend des forces

après avoir pansé ses blessures.»

Sur Twitter, @abovard salue l’article de notre
correspondante aux Etats-Unis sur
le suprémacisme blanc. Donald Trump est accusé
de favoriser cette idéologie raciste.

DES ÊTRES SANS NOM

Barbara Roth-Lochner, Genève

Il y a quelques mois vous avez annoncé
la volonté louable d’accorder une place
plus équilibrée aux femmes dans votre
journal. Cet état d’esprit devrait infuser
tous vos articles. Or, dans votre intéres-
sante série d’été sur les banquiers
genevois, je lis ceci dans l’article sur
Jacques Mirabaud: «En 1812, Jacques
Marie Jean Mirabaud se marie à une
Genevoise – il considérait les Italiennes
comme futiles et peu instruites.»
Peu importe, en l’occurrence, son opinion
caricaturale sur les Italiennes, ce qui
m’intéresse, c’est son épouse. Or, cette
Genevoise n’est pas un être anonyme,
elle porte un nom: Marie Georgine Amat.
Il suffit de consulter le Dictionnaire
historique de la Suisse, qui, lui, donne les
noms des conjoints. A la fin de l’article,
on voit les deux fils de Mirabaud, qui,
eux aussi, épousent des êtres sans nom:
Georges épouse «la fille d’un banquier»,
et Henri «la fille du fondateur d’une
banque». Le recours à une généalogie
vous permettra de leur attribuer une
identité autre que celle de «fille de...».

UN MOT CRISTALLISÉ

Joseph Buchs, Fribourg

Avec grand plaisir, je suis tombé
sur l’article «Vous avez dit (G)rütli?»
(LT du 26.07.2019). Après réflexion, je
réalise que vu depuis Brunnen, le paysage
entre Seelisberg et Bauen comprend
plusieurs petites prairies dispersées entre
des espaces boisés. Comme démontré
dans l’article, une seule de ces prairies
défrichées s’appelle, en alémanique
médiéval, une Reute, qui est devenue
avec le temps, en alémanique de la
région, de nos jours un Rütli. Et si nous
tenons compte de plusieurs de ces
prairies, nous devons y mettre le nom du
Rütli au pluriel ou bien alors trouver un
terme d’ensemble, et là nous tombons sur
le Grütli. Cela veut dire qu’en disant Rütli
(en allemand), nous pensons à une seule
de ces prairies et en disant Grütli (en
allemand), nous pensons à plusieurs de
ces prairies. Il faut croire que finalement,
le singulier (Rütli) s’est cristallisé ou figé
en allemand et le pluriel ou l’ensemble
(Grütli ou Grutli) en français. Ce phéno-
mène de différence entre le singulier
et le pluriel ou l’ensemble se retrouve
dans plusieurs mots.

ÉTAT DE ZOMBIE

Jurek Estreicher, Confignon

«[Une] société spécialisée en neuro-
sciences du milliardaire américain [Elon
Musk] a présenté un implant électronique
censé connecter cerveaux et ordinateurs»
(LT du 18.07.2019). Il s’agirait, selon
monsieur Musk, de pouvoir «contrôler
par la pensée les objets connectés, mais
aussi d’augmenter nos capacités cogni-
tives». C’est l’argument pour la galerie:
l’être humain serait ainsi «augmenté».
L’aspect diamétralement opposé de
cette nouveauté, qui est certainement
le plus important mais demeure soigneu-
sement passé sous silence, est le fait que
la connexion permettra sans nul doute
un contrôle par les objets connectés
de la pensée de l’homme, réduit
de la sorte à un état de zombie dépourvu
de personnalité et de volonté propre,
sujet obéissant de tout régime dictatorial
et consommateur docile au service des
multinationales. Et quand commencera-
t-on de poser ces merveilleuses prothèses?
Dans 50 ans peut-être? Non: «Elon Musk
espère réaliser ses premiers tests sur des
personnes paralysées d’ici fin 2020.»
«L’implant cérébral, le projet fou d’Elon
Musk», avez-vous donné pour titre à votre
article. On ne peut qu’être d’accord avec
votre appréciation. Mais puisque ce projet
est «fou», c’est donc évident qu’il
ne faut pas le réaliser.

COURRIER

Vos commentaires sont
les bienvenus! Vos lettres
ne doivent pas excéder
1500 signes (espaces compris).

Une idée, une remarque ou une critique? [email protected]

TUERIE DE MASSE,

UNE QUESTION DE DÉFINITION

letemps.ch/carte

Cette semaine, Le Temps a publié une série d’articles sur les mas-
sacres qui ont endeuillé les Etats-Unis, au Texas et dans l’Ohio.
Deux carnages qui complètent une longue liste de fusillades, que
nous avons décidé de rassembler sur une carte interactive. Des
données à manipuler avec prudence. Selon l’ONG Gun Violence
Archive, il y a eu 251 fusillades en 2019. D’après le magazine Mother
Jones, on compte seulement sept tueries de masse. Comment est-ce
possible? Le gouvernement américain considère qu’une fusillade
est une «tuerie de masse» (mass murder) si trois personnes sont
tuées, sans compter l’auteur de l’attaque. Cette définition est notam-
ment utilisée par le magazine Mother Jones, qui a constitué une
base de données des tueries de masse aux Etats-Unis remontant
jusqu’à 1982.
L’expression «fusillade de masse» (mass shooting) peut être utili-
sée comme un synonyme de «tuerie de masse». Mais certaines
organisations, comme la Gun Violence Archive, lui donnent un
sens plus large: elles tiennent compte de toutes les personnes tou-
chées par balle (shot) , qu’elles soient blessées ou tuées, et incluent
les violences dans les lieux privés. Cela se traduit par une différence
astronomique dans les statistiques: 36 fois plus de mass shootings
que de mass murders depuis le début de l’année. ■ PAUL RONGA

Une photo prise à la frontière entre la Chine et la Corée du Nord qu’un soldat chinois a voulu me faire effacer,
un reportage effectué en compagnie d’une fixeuse. (JULIE ZAUGG)

VENDREDI 9 AOÛT 2019 LE TEMPS

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