Temps - 2019-08-09

(ff) #1
LE TEMPS VENDREDI 9 AOÛT 2019

4 Actualité


FRÉDÉRIC FAUX, STOCKHOLM


Ce 9 août, la plus grande céré-
monie de rapatriement d’osse-
ments dans l’histoire de la Suède
va avoir lieu à Lycksele, une petite
ville plantée en bordure de la
Laponie, à 800 kilomètres au nord
de Stockholm. Vingt-cinq crânes
exhumés du cimetière local et
appartenant à des Samis, le der-
nier peuple autochtone d’Europe,
vont être enterrés de nouveau
dans ce sol qu’ils n’auraient jamais
dû quitter. Une procession en cos-
tume traditionnel portera les
ossements, déposés chacun dans
une urne en écorce de bouleau,
jusqu’à la fosse, qui sera comblée
par des archéologues, descen-
dants symboliques de ceux qui les
ont déterrés. «C’est une cérémo-
nie de pardon des vivants pour le
tort fait aux morts, qui n’ont pas
pu protester du sort qui leur a été
fait», souligne Adriana Aurelius,
chargée de la cérémonie à la mai-
rie de Lycksele.


Cette histoire – mélange de saga
nordique et de roman noir à la
Stieg Larsson – commence en
1950, quand la société historique
de Lycksele décide de construire
un nouveau bâtiment à Gamm-
platsen, un site archéologique
connu notamment pour abriter
des sépultures. Les fouilles pré-
ventives, menées par la paroisse
locale, mettent au jour des osse-


ments et des objets qui sont
envoyés au musée de l’Histoire
suédoise, à Stockholm.
La pratique, à l’époque, était
habituelle. Charge ensuite à la
prestigieuse institution de déci-
der dans quel musée local seront
conservées ces collections. Et
c’est là que le scénario dérape:
«Ce matériel archéologique,
après examen, a été renvoyé au
musée régional de Västerbotten,
sauf les ossements, raconte
Katherine Hauptman, directrice
du musée de l’Histoire suédoise.
Malheureusement la documen-

tation de l’époque est incomplète
et nous ne connaissons pas la
raison de cet oubli. Les 25 crânes
ont été retrouvés en 2013, lors
d’un inventaire de nos réserves.
Une erreur a été commise, que
nous devons réparer.»

Conversions forcées
Pour les Samis, la cérémonie de
«réconciliation» prévue à Lyck-
sele n’a rien d’anodin. Ce peuple,
qui compte 20 000 personnes en
Suède, et 60 000 autres réparties
entre la Norvège, la Finlande et la
Russie, a en effet longtemps été

discriminé au nom d’une poli-
tique d’assimilation, menée par
l’Etat et l’Eglise suédoise. Un
passé marqué par les conversions
et la scolarisation imposées, les
familles séparées, les enfants
volés, les tombes pillées.
Aujourd’hui encore, ces éle-
veurs de rennes ont toujours du
mal à faire reconnaître leur
langue, leur culture, et surtout
leur droit d’accès à la terre, objet
de nombreux litiges. Mais l’un des
aspects les plus sombres et les
plus tenaces de cette relégation
réside dans les études anthropo-

logiques faites sur les Samis,
considérés longtemps comme
une «race à part». Jusque dans les
années 1950, un Institut de bio-
logie raciale a même eu pignon
sur rue à Uppsala, une ville uni-
versitaire proche de Stockholm.
«Il est probable que les crânes de
Lycksele aient été exhumés pour
ce type de recherches, car l’ostéo-
logiste qui travaillait au musée
dans les années 1950 avait expres-
sément demandé cet envoi de
crânes samis... mais ce n’est
qu’une hypothèse», avoue Kathe-
rine Hauptman.

A Lycksele, peu d’anciens se sou-
viennent de ces excavations de 1950
mais les 8000 habitants de la petite
commune attendent avec fébrilité
le retour des crânes. Car Lycksele,
plus ancien village permanent
connu en Laponie suédoise, base
stratégique d’où les colons ont pu
s’élancer vers le Grand Nord, a long-
temps compté dans le monde sami.
C’est ici, en 1634, qu’a été construite
la première école samie, où étaient
formés des traducteurs. Dans des
temps encore plus anciens, cette
péninsule plantée de bouleaux et
de genévriers était déjà un lieu de
rencontre et de commerce. «Un
yoik local, un chant traditionnel,
célèbre Lycksele marknadsplats, le
marché de Lycksele... Je pense qu’il
sera chanté ce vendredi», espère
Adriana Aurelius.

Onze institutions concernées
Il pourrait être aussi entonné
dans quelques mois, ou quelques
années, quand sera résolu un
autre mystère. Car si 25 crânes ont
été retrouvés, quatre squelettes
complets, exhumés au même
moment, manquent encore à l’ap-
pel. Et le musée de l’Histoire sué-
doise n’est pas le seul à être mis
en cause: selon un récent rapport,
11 institutions suédoises conser-
veraient toujours des ossements
samis, pour lesquels le parlement
sami a demandé plusieurs fois un
retour vers la Laponie.
Mais ce processus de rapatrie-
ment peut s’avérer long et com-
plexe. Les réserves du musée de
l’Histoire suédoise, qui comptent
100 millions d’objets et des tonnes
d’ossements, sont toujours en
cours d’inventaire. «C’est un tra-
vail considérable mais essentiel,
conclut Katherine Hauptman.
Ces crânes appartiennent à la
communauté samie, qui a des
droits. Nous approuvons pleine-
ment cette décision de les réen-
terrer à Lycksele, et nous partici-
perons à cette cérémonie pour
nous excuser encore une fois de
notre rôle dans cette histoire. Les
Samis ont été maintes fois mal-
traités. Il est temps aujourd’hui
d’agir différemment.» ■

Une éleveuse samie au milieu de ses rennes dans le nord de la Norvège. (ARCTICPHOTO/LAIF)

Retour de crânes en Laponie


SUÈDE Vingt-cinq crânes exhumés du cimetière de Lycksele dans les années 1950 vont être enterrés de nouveau sur place.


Un geste de réconciliation adressé par les autorités suédoises à la communauté samie, le dernier peuple autochtone d’Europe


«C’est une


cérémonie de


pardon des vivants


pour le tort fait


aux morts,


qui n’ont pas pu


protester du sort


qui leur a été fait»


ADRIANA AURELIUS, CHARGÉE DE LA
CÉRÉMONIE À LA MAIRIE DE LYCKSELE


PROPOS RECUEILLIS PAR SONIA IMSENG
t @SoniaImseng

Selon l’Office fédéral de la statis-
tique (OFS), un retraité sur cinq vit
dans la pauvreté ou risque la pau-
vreté. Une situation dénoncée par
les candidats seniors du Parti socia-
liste fribourgeois (PSF), rassemblés
sur la liste PSF 60+ en campagne
pour les élections fédérales. Reven-
dication: une rente AVS de
4000 francs pour toutes et tous lors
de la prochaine révision du système
de prévoyance (la rente maximale
individuelle est actuellement de
2370 francs). Erwin Jutzet, ancien
conseiller d’Etat fribourgeois et
candidat PSF 60+ au Conseil natio-
nal, détaille ce projet.

La réforme AVS 21 veut stabiliser le
niveau des rentes, toujours menacé.
Vous, vous demandez de l’augmenter.

Est-ce réalisable? Cela ne peut se
faire d’un jour à l’autre, mais il faut
oser agir en ce sens et pousser cette
idée à Berne. Nous défendons un
système de prévoyance où l’on
pense avant tout au niveau du
revenu des retraités, afin de leur
assurer une existence digne,
comme le prévoit du reste la
Constitution. Je pense que c’est
réalisable et nous pouvons finan-
cer ce projet grâce à différentes
sources. Par exemple, l’AVS pour-
rait bénéficier de distributions des
bénéfices et des dividendes des
entreprises, de taxes à envisager
sur les successions de plus de 1 mil-
lion, ou lorsqu’un employé est rem-
placé par un robot. Nous sommes
pour un renforcement de l’AVS qui
permette de créer une rente
unique, sans deuxième pilier.

Qu’est-ce que vous reprochez au deu-
xième pilier? Il n’est pas assez soli-
daire. Le rendement des capitaux
investis est en grande partie une
question de chance, on a parfois
l’impression d’être au casino. Il
faut plutôt renforcer le système
AVS et y transférer petit à petit les
cotisations pour le deuxième
pilier. Dans ce système de pré-
voyance à trois piliers, de nom-
breuses femmes vivent unique-
ment de l’AVS, ce qui représente,
souvent, un revenu insuffisant.

Autre problème touchant les seniors:
le chômage persistant des plus de
50 ans. Que préconisez-vous? Il fau-
drait proposer à l’assurance chô-
mage de payer une partie du salaire
lorsqu’une entreprise recrute une
personne de plus de 50 ans. Actuel-
lement, les personnes de cette
tranche d’âge touchées par le chô-
mage arrivent très difficilement à
trouver un emploi. Arrivant en fin
de droits, elles finissent à l’aide
sociale, c’est une catastrophe! Il
faut que l’assurance chômage
change cela et encourage l’em-
bauche des seniors. ■

«Garantissons une retraite

de 4000 francs pour tous»

PRÉVOYANCE La liste seniors
du Parti socialiste fribourgeois
entre en campagne en réclamant
de nouveaux moyens pour aug-
menter les rentes de l’AVS. Inter-
view de l’un de ses candidats

ERWIN JUTZET
CANDIDAT PSF 60+

DENIS BLIN
t @DenisBlin


Le «conseil aux voyageurs» vers
les Etats-Unis n’a sûrement pas eu
l’effet escompté par Amnesty Inter-
national. Cette note d’une page,
publiée mercredi soir par
le bureau américain de
l’ONG, «appelle tous les
visiteurs à faire preuve de
prudence pendant leur
voyage aux Etats-Unis» étant donné
«le niveau actuel des violences par
armes à feu dans le pays». Une réfé-
rence aux attaques ayant fait 31
morts au total dans les villes de
Dayton (Ohio) et El Paso (Texas) la
semaine passée.
Ernest Coverson, responsable de
la campagne End Gun Violence
(«En finir avec les violences par
armes à feu») pour Amnesty Etats-
Unis, a indiqué sur le site de l’ONG


que les visiteurs doivent com-
prendre que l’Etat américain «ne
protège pas de façon appropriée le
droit des gens à être en sécurité, et
ce d’où qu’ils viennent».
Sur Twitter, l’annonce a provoqué
de vives réactions, de nombreux
internautes critiquant Amnesty sur
son rôle dans la diffusion d’un cli-
mat anxiogène. «La peur dispropor-
tionnée par rapport au risque réel
d’une fusillade est ce qui mène aux
incarcérations de masse et à l’isla-
mophobie dans ce pays», écrit l’un
d’eux, avec à l’appui un
graphique officiel sur la
baisse continue de la
délinquance aux Etats-
Unis depuis plusieurs
décennies. Avant d’ajouter: «Vos
intentions sont bonnes mais vous
jouez avec le feu.»
Habituellement délivrée par les
gouvernements pour leurs
citoyens, l’annonce a surpris venant
d’Amnesty. Sur son site, l’ONG rap-
pelle que l’idée était de «faire écho
au modèle utilisé par le Départe-
ment d’Etat américain pour
conseiller ses ressortissants en
voyage à l’étranger». Joint par Le

Temps , Ernest Coverson estime que
la publication de cet avertissement
n’est pas «un canular» mais est au
contraire «très importante» vu les
événements récents.

Trop politisée
Soutenue par certains sur inter-
net, trop politisée pour d’autres, la
publication n’a pas fait l’unanimité
parmi les soutiens de l’ONG. «On
a reçu plusieurs messages depuis
ce matin de personnes surprises
par cette annonce, dont des abon-
nés», dit Alain Bovard, porte-pa-
role d’Amnesty International
Suisse, qui juge que la note est une
façon de «parodier» les déclara-
tions du gouvernement américain.
Les tensions autour de l’utilisa-
tion des armes à feu sont vives aux
Etats-Unis, où le nombre de tueries
de masse en 2019 s’élève à plus de
250, selon le site Gun Violence
Archive. Face aux critiques des
démocrates sur sa politique du
port d’arme, Donald Trump a
estimé, lundi, que ce sont «les
maladies mentales et la haine, pas
les armes», qui sont responsables
des tueries. ■

Amnesty appelle les voyageurs


à se méfier des Etats-Unis


FUSILLADES L’ONG a publié une
note appelant à la prudence étant
donné «le niveau des violences
par armes à feu dans le pays». Elle
a été aussitôt critiquée pour être
sortie de son rôle


HISTOIRE
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