fois et aura quatre enfants, commence donc à
beaucoup, beaucoup s’envoyer en l’air. Parmi ses
milliers de conquêtes répertoriées, on compte
Grace Jones, rencontrée pendant une orgie à
New York à la lueur de bougies, avec qui il reste
plus d’un an et dont il garde un souvenir (moite)
émerveillé, ou encore la chanteuse Sade. Kylie
Minogue, elle, ne fait pas partie de la liste au
grand regret de Tony mais reste une amie chère
à son cœur. Sex-addict revendiqué, parfois
bisexuel, Tony ne pousse pourtant pas l’hédo-
nisme trop loin et consomme peu de drogues
contrairement à sa clientèle qui suit sa consigne
“BYOD” (bring your own drugs). Un problème avec
la police locale se règle grâce à son copain Julio
Iglesias, un habitué célèbre pour son activisme
antidrogue, qui le réconciliera avec le commis-
saire (et sa femme !) autour d’un bon repas.
AMIS À LA VIE, À LA MORT
Mais son plus grand ami, peut-être celui qui
l’aura le plus ému, reste Freddie Mercury. Le chan-
teur de Queen arrive pour se reposer au Pikes en
1986, accueilli par un Tony les mains dans le ciment
et peu impressionné par cette star sont il n’a jamais
entendu parler. Bientôt Freddie surnomme l’endroit
sa “maison loin de la maison” et chante dans le patio
sa première version de Barcelona. En 1987, alors
qu’il vient d’être diagnostiqué séropositif, Freddie
lui demande de lui organiser la plus grande fête de
tous les temps. Dans son livre, Tony se souvient :
“Quand je lui ai posé la question du budget, il a ri et
m’a répondu qu’il n’y en avait pas. On pouvait geler
la piscine pour en faire une patinoire avec éléphants si
on le souhaitait. Il voulait juste que ce soit dingue.” Le
Pikes se retrouve donc envahi trois jours durant de
milliers de ballons géants noirs et or, de centaines
de bouteilles de champagne avec sept-cents invités
pour les boire parmi lesquels Kylie Minogue, Jon
Bon Jovi, Boy George, Julio Iglesias, Grace Jones,
Jean-Claude Van Damme, Robert Plant et Naomi
Campbell. Le gâteau d’anniversaire était sculpté en
forme de Sagrada Familia, la cathédrale de Gaudi
à Barcelone, et la légende dit que les feux d’artifice
ont été admirés jusqu’à Majorque. Une folie donc,
même au regard de celles qui lui ont succédé jusqu’à
aujourd’hui à Ibiza.
LÉGENDE MALGRÉ LUI
Un peu Dionysos, un peu visionnaire, Tony Pike
va ainsi créer, presque sans y penser, le concept de
“boutique hôtel” bien avant Ian Schrager (cofon-
dateur du Studio 54), et il a fait de sa joie de vivre
son fonds de commerce. Mais il fallait bien un jour
que la statue du Commandeur rappelle à l’ordre
ce Dom Juan impénitent. Le premier coup dur
arrive en 1995 quand il voit apparaître les pre-
mières marques du sida, la maladie qui ravage les
rangs de ses amis. Le médecin lui donne cinq ans
à vivre mais, coup de chance, les nouveaux traite-
ments marchent bien sur lui. Un deuxième drame
le frappe de plein fouet en 1998 quand son fils aîné,
Dale, est assassiné à Miami par un escroc durant
un deal pour vendre le Pikes (Tony veut désormais
s’en séparer). De cette peine-là, Tony ne se remet-
tra jamais. Il finit par vendre l’hôtel en 2010, au
Ibiza Rocks Group, c’est-à-dire à Dawn Hindle et
Andy McKay, un couple d’entrepreneurs spécialisé
dans les clubs d’Ibiza avec un réseau pop-rock.
Primal Scream y tient une after-party avec concert
acoustique dans le jardin devant Kate Moss, Idris
Elba mixe aux platines et Jade Jagger, Lily Allen,
Mark Ronson et Fatboy Slim font bientôt par-
tie des nouveaux habitués. Pour Norman Cook
(Fatboy Slim), Tony Pike était “larger than life and
twice as entertaining”. Car, même s’il a vendu son
hôtel, Tony garde par contrat une chambre à vie au
Pikes (une petite chambre, la 25), avec nourriture
et boissons gratuites.
On le croise alors au bar où il accueille les clients
avec gentillesse, les régale d’anecdotes dingues près
de la fameuse piscine ou en train de se reposer avec
ses deux chats dans le jardin. Pour Tony, comme
l’annonce avec lucidité la phrase calligraphiée sur
le mur blanchi à la chaux du parking de l’hôtel :
“You can check in but you cant never check out.” À
l’intérieur clignote en forme de néon une autre
devise très “pikienne” : “Why the fuck can’t I have
fun all the time.” Et près de la cabine du DJ, on peut
lire cette citation d’un autre rêveur, C.S. Lewis,
extraite de La Dernière Bataille dans la série du
Monde de Narnia : “I belong here... Though I never
knew it till now... Come further up. Come further in.”
Après avoir créé sa propre Olympe, Tony a quitté
notre dimension en février dernier, à 85 ans, dans
son sommeil, une fin paradoxalement paisible pour
ce baroudeur au destin digne d’un film hollywoo-
dien ou d’une série Netflix, qui a défié tant de fois
la mort, la maladie et surtout l’ennui. Dans une
vidéo de Vice, il offre une dernière parole à médi-
ter, celle d’un homme qui avait fait le tour de la
question : “The key to happiness is total freedom.”
129
Photo FG/Bauer-Griffin/Getty Images
SAGA L’OF F IC I E L
En 1987, alors qu’il vient d’être diagnostiqué séropositif,
Freddie Mercury demande à Tony de lui organiser la plus
grande fête de tous les temps.
Freddie Mercury
sur le court de tennis du Pikes,
e n 19 8 7.