L’Officiel Paris N°1036 – Août 2019

(Darren Dugan) #1
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COVER-GIRL L’OFFICIEL

Faire le portrait de Hailey Gates, une artiste
aux multiples facettes, n’est pas une tâche facile.
Lorsqu’on lui demande comment elle aime à se défi-
nir, elle avoue ne jamais savoir comment répondre à
cette question. “Aux États-Unis, beaucoup plus qu’en
France, il y a cette tendance à classer les gens selon
leur travail. C’est la première question que les gens se
posent et c’est terrible. Je crois que je prends du plaisir
à brouiller les pistes. Si je me présente à un job en tant
qu’actrice ou mannequin, les gens sont choqués que
je sois allée à Gaza et inversement, si je suis entourée
d’autres journalistes, ils me demandent toujours ‘N’as-
tu pas peur qu’en faisant de telles choses on ne te prenne
pas au sérieux ?’”
Bien évidemment, sa réponse est toujours non.
Peu de journalistes qui ont été sur le terrain au
Pakistan ou au Venezuela pourraient se vanter
d’avoir donné la réplique à Meryl Streep au cinéma
(d a ns Ricki and the Flash de Jonathan Demme, en
2015) ou d’avoir été dirigé par David Lynch dans
Twin Peaks : the Return. Miu Miu l’a choisie comme
égérie d’une campagne sous l’objectif de Steven
Meisel en 2015 et Vanity Fair lui a offert une place
très convoitée dans sa Best-dressed list l’an dernier.
De plus, Hailey, toujours de bon conseil quant à la
littérature, est consultante à la rédaction de la pres-
tigieuse Paris Review. C’est durant les deux saisons
de sa série documentaire States of Undress, pour la
chaîne Viceland en 2016 et 2017, que son esprit et
son charme brillent pleinement, rappelant un cer-
tain Anthony Bourdain. Épisode après épisode, elle
prouve la place considérable du style et du vêtement
dans les discussions politiques et sociologiques,
enquêtant avec humour, compassion et subtilité
sur des sujets épineux. Elle rencontre et échange
avec des designers pro-Poutine ou encore un leader
religieux proche d’Al-Qaeda avec une aisance rare.

Depuis, elle ne cesse de créer : son récent court-
métrage de fiction Shako Mako, 17 e opus de la série
des Women’s Tales de Miu Miu, a été projeté à la
76 e Mostra de Venise et fut récompensé d’un prix.
Elle réapparaîtra aussi sur grand écran bientôt avec
le film Uncut Gems des très cool frères Safdie, les
réalisateurs de Good Time avec Robert Pattinson.
Rencontre avec une polymathe dans l’air du temps.

Faire tant de choses à la fois, est-ce un choix
délibéré, un besoin?
Hailey Gates : Ça va sembler étrange, mais je
replace cela dans un contexte un peu SM. Avec
chaque chapeau que je porte, j’ai des degrés diffé-
rents de contrôle. Bien sûr, c’est plus confortable
quand j’ai le contrôle total mais c’est un exercice
important pour moi de me soumettre à un tournage
qui n’est pas le mien et m’adonner à la vision d’un
autre. Être face à la caméra peut être réellement
humiliant et c’est important pour moi de m’en
souvenir quand je suis derrière la caméra. En termes
d’histoire, je ressens la même chose. Je trouve
qu’écrire et créer un monde narratif est très satis-
faisant mais il y a une sorte de liberté avec le travail
documentaire, à suivre l’histoire plutôt qu’à l’écrire.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment?
J’adapte un roman de Sarah Moss intitulé Ghost
Wall et j’écris un court-métrage avec une amie. Il
sera situé dans une petite ville turque, c’est génial d’y
être en ce moment pour effectuer des recherches. Je
travaille également sur quelques projets documen-
taires dont je ne peux pas encore parler.
C’est difficile d’adapter un roman à l’écran?
À chaque fois que je lis un livre exceptionnel,
je me dis “Quel fou aurait le culot d’adapter ça à
l’écran ?” et me voilà à me retrouver en territoire
inconnu à être le fou en question! Je dois donc

Hailey Gates est inclassable. Mannequin, actrice, journaliste, réalisatrice,


la New-Yorkaise de 29 ans n’est décidément jamais où on l’attend,


comme le prouve son court-métrage engagé “Shako Mako”,


dans la série des “Women’s Tales” de Miu Miu.

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