SUD OUEST bassin d\'Arcachon du Lundi 12 Août 2019

(Marcin) #1

Lundi 12 août 2019SUD OUEST


Dossier réalisé par Sylvain Cottin
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H


amburger à la bouche bée,
ceux-là n’en reviennent pas
d’être assis au beau milieu
d’un champ de bataille franco-améri-
cain. « Des gens se sont battus ici con-
tre l’installation du McDo, vraiment? »
Un temps que ces jeunes de moins
de 20 ans ont en effet du mal à con-
naître, le long de cette route des vacan-
ces où 300 militants avaient pourtant
accosté armés de fourches et de pieds
de biche par un matin d’août 1999.


Par un soir d’apéro...
En cet été où l’on paye encore son
Big Mac en francs, Armstrong vient
de remporter le premier de ses
vrais-faux Tours de France lors-
qu’une bande d’éleveurs de brebis
fomente sa vengeance à la terrasse
d’un bistrot de Saint-Affrique (12).
Rageant de ne pouvoir exporter leur
bœuf aux hormones, les États-Unis
de Clinton viennent ainsi de taxer à
100 % le roquefort made in France.
Symbole contre symbole, la petite
coterie décide alors le « démon-
tage » d’un McDonald’s sur le point
d’être inauguré, au pied du Larzac, à
Millau. Annoncée le 11 août, l’opéra-
tion sera finalement reportée au
lendemain, de peur d’être occultée
par l’éclipse totale du soleil prévue ce
jour-là.
À la tête de cette fronde altermon-
dialiste d’un genre nouveau, José Bo-
vé, 46 ans, que la destruction de se-
mences OGM aura révélé au grand
public et à la justice, quelques mois
plus tôt, à Nérac (47). En fin de mati-
née, à bord de tracteurs, lui et ses ca-
marades de la Confédération pay-
sanne fondent sur le fast-food sous
l’œil conciliant des rares forces de
l’ordre mobilisées. « Au son des fan-
fares, une kermesse bon enfant », se
souvient Bové. Interprétation de
l’histoire que ne digère toujours pas
l’ancien gérant du McDo. « Ils ont ar-
raché les grilles, soulevé le toit avec
les fourches de leurs engins, défon-
cé les chambres froides et coulé du
béton dans les canalisations... Vous
appelez ça un démontage? »
s’agace Marc Dehani. D’intervention
policière, il en avait pourtant été dis-


crètement question une poignée
d’heures auparavant. Une barbou-
zerie à la sauce roquefort, où l’on dé-
couvre aujourd’hui le rôle trouble
des Renseignements généraux du
cru. « Je les connaissais, c’est vrai,
mais ils sont allés jusqu’à me pro-
poser de brûler l’effigie du clown Ro-
nald McDonald plutôt que de dé-
monter le resto, et tout cela la com-
plicité du Raid », s’étonne encore
José Bové.
Sous l’œil des caméras convo-
quées et ravies, le moustachu re-
joue en mondiovision le sketch du
Gaulois résistant à l’impérialiste yan-
kee. Bové, qui a passé trois de ses jeu-
nes années aux États-Unis, en ma-
nie si bien la langue qu’il convertit en
direct un syndi-
cat d’agriculteurs
texans à sa cause.
Ceux-là, aidés aus-
si par quelques
paysans indiens
et japonais, paye-
ront un peu plus
tard sa caution.
Car la farce à
800 000 francs de dégâts n’aura
pas fait rire les juges. En état de réci-
dive post-OGM, José Bové part en ca-
bane – et toujours en tracteur – pour
une vingtaine de jours. Le temps de
parachever son martyr sous les vi-
vats de ses codétenus comme des
surveillants (lire interview). Bis re-
petita, au mois de juin suivant, lors-
que lui et neuf de ses complices dé-
barquent à leur procès debout sur
une charrette, fendant la foule de
15 000 personnes rassemblées à
Millau. Conquis autant qu’amusés,
six Français sur dix se disent alors
solidaires.

Le gérant du McDo a pardonné
Si la multinationale a entre-temps
retiré sa plainte, elle répondra plus
tard à la provocation par la provo-
cation, inaugurant une campagne
de pub autour d’Astérix, dont la
paire de moustaches n’est évidem-
ment pas sans rappeler celle de son
meilleur ennemi aveyronnais. Vingt
ans plus tard, le gérant du fast-food,
d’ailleurs, se fait beau joueur.
« L’inauguration du viaduc de Millau
a fait bien plus de tort à mon chif-
fre d’affaires. Et, je dois bien l’avouer,
si ce fut dur, je prends aujourd’hui
plaisir à raconter ce qui reste quand
même une belle aventure, souffle
Marc Dehani. En tout cas, surtout
pour Bové, qui a formidablement
réussi son coup. » À ceci près que ja-
mais McDonald’s n’aura compté au-
tant de restaurants en France qu’au-
jourd’hui, devenant la deuxième
contributrice mondiale de la firme.

12 AOÛT 1999 Au pied du Larzac ce jour-


là, une bande de Gaulois emmenés par


José Bové déclare la guerre aux États-Unis.


Une révolte qui conduira le syndicaliste


paysan à la notoriété mondiale... en prison


Il y a vingt ans, le gros mi cmac du McDo de Millau


Condamné à trois mois de prison, José Bové s’y rend au volant de son tracteur. En 1999 (à droite),
300 de ses camarades avaient attaqué le McDo de Millau qui, vingt ans plus tard, ne désemplit
pas (en haut à droite). PHOTOS AFP ET S.C.

Le fait du jour


« En douce,
les “RG”
proposent
à Bové de
brûler l’effigie
de McDo... »

En l’an 79, après l’invention du fast-
food, toute la Gaule est occupée
par quelque 1 460 restaurants
McDonald’s. Toute? Non, car une
terre peuplée d’irréductibles insu-
laires résiste encore et toujours à
l’envahisseur. La possibilité d’une
île sans Big Mac, voilà donc ce que
proposent à leur carte – postale –
ces fiers Oléronnais. Las, après cinq
années d’un interminable feuille-
ton, la justice a tranché en faveur
de la multinationale, et voilà le
chantier presque achevé.

Comme en Corée du Nord...
Porté par Grégory Gendre, un an-
cien de Greenpeace élu maire de
Dolus-d’Oléron (17), la fronde anti-
McDo aura pourtant coupé la po-
pulation en deux. Suppôts du
grand capital pour les uns, Khmers
rouges et verts pour d’autres. Sous
couvert de malbouffe, la résistance
s’est aussi faite altermondialiste,

parfois même nappée de sauce
nord-coréenne, l’un des rares pays
considérant le clown Ronald
comme un dangereux terroriste.
« Oléron, c’est l’océan, les dunes et
l’ostréiculture, se défend l’élu. Le
symbole serait terrible de voir no-
tre île devenir la première à être
colonisée par McDo. » Car s’il n’était
déjà l’inhospitalité explosive des
Corses, Oléron serait ainsi le der-
nier carré de France métropoli-
taine à boycotter encore le numé-
ro 1 mondial de la restauration ra-
pide.
Terre promise autant qu’hostile
au hamburger, d’autres défendent
sur Oléron la liberté d’entrepren-
dre et de manger ce que bon leur
semble. « Outre quarante emplois
à la clef, l’ouverture du McDo per-
mettrait à nos jeunes de ne plus
avoir à se taper des kilomètres à
scooter pour aller en bouffer sur le
continent... À une heure de la

pointe de l’île. » Jurant de conti-
nuer le combat contre vents et
marées, Grégory Gendre a déposé
un ultime recours devant le Con-
seil d’État. Dans un souci d’apaise-
ment, McDo aurait décidé de laisser
passer l’été avant d’inaugurer le
plus critiqué de ses restaurants.

Un McDo sur le pont, oui, mais
côté continent. PHOTO XAVIER LÉOTY

CROISADE Malgré des années d’une lutte menée par
un maire, le premier McDo de l’île ouvrira après l’été

Oléron, dernier village gaulois


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