SUD OUEST bassin d\'Arcachon du Lundi 12 Août 2019

(Marcin) #1

Opinions Lundi 12 août 2019SUD OUEST


Elles s’appellent Leila, Samira et Fa-
tima. Ces adolescentes d’origine
marocaine imaginent-elles la po-
lémique que va déclencher leur re-
fus d’enlever leur foulard tradition-
nel, à la rentrée d’octobre 1989
dans leur collège de Creil (Oise)?
Sommées d’obéir par les ensei-
gnants, les jeunes filles persistent,
conduisant le principal, Ernest
Chenière, à les exclure. « L’affaire
du foulard » a débuté.
En quelques jours, elle acquiert
une portée nationale. Cela fait des
mois que les défenseurs de la laï-
cité dénoncent des cas de « port de
tchador » à l’école, comme à Épi-
nal (Vosges). À Creil, ville où se cô-
toient 25 nationalités, le collège Ga-
briel-Havez compte 500 élèves mu-
sulmans sur 876. Un terrain
propice à l’affirmation identitaire
de familles immigrées, qui fusti-
gent l’exclusion des trois élèves
comme une atteinte au droit d’ex-
primer ses croyances religieuses.

École, sanctuaire menacé
Dans une France en pleine célébra-
tion du Bicentenaire de 1789 et qui
découvre, via la « fatwa » pronon-
cée contre l’écrivain indien Salman
Rushdie, l’essor de l’islamisme,
l’émergence de revendications
confessionnelles dans le sanc-
tuaire républicain qu’est l’école est
un électrochoc. Jusqu’ici, l’islam
était vu comme la religion d’immi-
grés promis à quitter un jour ou
l’autre le territoire national. Cette
idée fausse vient d’être balayée et la
France se découvre différente.

Que le morceau de tissu arboré
par ces collégiennes relève plus du
fichu que du voile et laisse le visage
apparent ne convainc pas les dé-
fenseurs intransigeants de la laïci-
té : pour eux, le
foulard de Creil
menace directe-
ment la Républi-
que à travers l’un
de ses piliers. Et
tant pis si la loi
de 1905 s’est bor-
née à déclarer la
neutralité de
l’État : pour ces
députés socialistes qui déboulent
à l’Assemblée nationale affublés
d’un foulard, tout l’espace public
doit être protégé de l’emprise reli-
gieuse.
La gauche au pouvoir se déchire
sur le voile. Lionel Jospin, ministre
de l’Éducation, s’est hâté de saisir
le Conseil d’État, dont la réaction
mesurée le convainc d’adopter un
prudent « ni-ni » : ni acceptation
du prosélytisme ni exclusion des
élèves. À Creil, un compromis a été

trouvé, appuyé par le roi du Maroc,
Hassan II, en personne : deux jeu-
nes filles reviennent au collège en
acceptant de se découvrir pendant
les cours. Mais la polémique est
partie et fait rage jusqu’à la fin 1989,
entre ceux qui plaident pour une
laïcité plus souple et ceux qui font
du foulard une machine à dissou-
dre l’identité nationale.
Avec le recul, l’affaire de Creil
constitue un tournant. Que signifie
la laïcité dans la France de 1989?
L’islam peut-il être pleinement ré-
publicain? Le voile est-il la reven-
dication de femmes libres ou le
moyen de les asservir? Autant de
questions qui, jusqu’à la loi de
2004 interdisant les signes reli-
gieux ostensibles dans l’espace sco-
laire, et bien au-delà, vont durable-
ment tenailler l’opinion française.
Christophe Lucet

6 novembre 1989 : la jeune Leila arrive au collège Gabriel-Havez,
de Creil. À droite, Ernest Chenière, le principal du collège. PHOTO AFP

Il faut même
la médiation
d’Hassan II,
roi du Maroc,
pour trouver
à Creil un
compromis...

Interpellation Le parquet de Bobi-
gny a saisi l’IGPN, la police des poli-
ces, pour violences présumées lors de
l’interpellation, filmée par un témoin,
d’un jeune homme de 20 ans, ven-
dredi, à Saint-Ouen (93). Cette inter-
vention des policiers de la compa-
gnie de sécurisation et d’intervention
(CSI) a également été captée par les
caméras de surveillance de la ville.

Ce serait un
grand
danger pour l’Italie.
M. Salvini et ses
idées souverainistes
pourraient entraîner
le pays hors de
l’Europe. Enrico Letta,
chef du gouvernement
italien en 2013-2014, est
« très préoccupé » par une
victoire de l’extrême droite
à d’éventuelles législatives

ÇA VA FAIRE
DU BRUIT

sud ouest.fr
Écran tactile, mémoire et connexion sans fil : quarante ans après,
le Walkman existe toujours mais il a bien changé

Français sur dix (83 %) ont une
« bonne opinion » des maires. Chiffre
qui tombe à 38 % de bonne opinion
pour les élus en général, et même
33 % s’agissant des sénateurs et dé-
putés, selon un sondage Ifop pour
« Le Journal du dimanche »

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Hier à Hong-Kong, un manifestant pro-démocratie est saisi par un policier. Ils étaient encore des
milliers à participer à un dixième week-end de protestation, en différents lieux de la ville. PHOTO AFP

LA PHOTO DU JOUR


L’ANNÉE 1989 (13/18)
Un jour sur deux durant
l’été, revivons quelques
événements d’une année
clé de l’histoire récente

Le dalaï-lama reçoit le prix Nobel
de la paix, trente ans après l’inva-
sion du Tibet par la Chine.

MERCREDI


C


haque séjour en prison d’Alexeï Navalny est un indica-
teur sûr que des élections approchent en Russie. De fait,
des municipales ont lieu le 8 septembre et le principal
opposant à Vladimir Poutine n’en sera pas. Sa candidature a
été invalidée, lui a été incarcéré pour entorse au droit de ma-
nifester, la justice enquête sur son fonds de lutte contre la cor-
ruption. Il a même dû être hospitalisé pour une mystérieuse
intoxication.
Ainsi va la « démocratie » au pays de Poutine : un théâtre
d’ombres où les opposants sont abonnés aux seconds rôles,
parfois même recalés comme figurants. Gagner? Qu’ils n’y
songent pas. Navalny en connaît un rayon, lui qui avait cru, en
2013, pouvoir enlever la mairie de Moscou avant d’être privé
d’un second tour par la commission électorale. La même qui
vient d’invalider 57 candidatures
d’opposants pour de fallacieux vi-
ces de forme.
En Russie, une forme de rési-
gnation accueille ces atteintes ré-
pétées à l’expression de la volonté
populaire. Y compris dans les
grandes villes où l’opposition
pourrait espérer briser le plafond
de verre. À l’Occidental qui le ti-
tille sur son « fatalisme », le Russe
répond « réalisme », conscient de
l’espace béant qui le sépare des
sphères du pouvoir.
Les manifestations qui s’enchaî-
nent depuis juillet, et dont la der-
nière a réuni 50 000 marcheurs avenue Sakharov, à Moscou,
montrent pourtant les limites de cette passivité. Les cortèges,
d’une ampleur inédite depuis le retour de Poutine à la prési-
dence, en 2012. Inquiet, le Kremlin a fait procéder à des mil-
liers d’arrestations. Et fait embastiller à titre préventif les têtes
d’affiche de l’opposition.
Dans ces conditions, que peut-il arriver de grave au parti du
président, si ce n’est une participation en berne? L’inoxyda-
ble Poutine peut toujours se targuer d’une insolente populari-
té auprès de ses compatriotes. Elle s’explique par la vieille ha-
bitude russe d’imputer les plaies du pays à l’incurie de
l’entourage, et non au « tsar » lui-même. Et de considérer ce
dernier comme un recours, envers et contre tout.
C’est pourtant un Poutine affaibli de l’intérieur qui rencon-
trera, lundi prochain, Emmanuel Macron à Brégançon, en
amont d’un G7 dont la Russie est exclue depuis 2014, après l’in-
vasion de la Crimée. Il a beau être installé au Kremlin depuis
vingt ans et jusqu’en 2024, le président russe doit savoir qu’au-
cun pouvoir n’est éternel. C’est ce que la société civile russe,
malgré ses bâillons, est en train de lui rappeler avec courage.


La « démocratie »


selon le Kremlin


ÉDITORIAL


Abonnée aux seconds
rôles, l’opposition en
Russie peut même
se voir refuser un rôle
de figurant. Mais la
passivité a ses limites


Christophe Lucet


À Creil, l’affaire des foulards


installe l’islam dans le débat


UN ÉTÉ SUD-OUEST/1989, ANNÉE DE FLAMMES ET D’ESPOIR


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