SUD OUEST bassin d\'Arcachon du Lundi 12 Août 2019

(Marcin) #1

SUD OUESTLundi 12 août 2019


Un été Sud-Ouest


Carnets de route


Étienne Latry
[email protected]


«A


u moins, ça ré-
veille! », lâche
Andréanne,
plongeuse, en
nous voyant
avec de l’eau jusqu’à la taille pour
monter à bord du Zodiac, avant de
faire route vers la barge gracieuse-
ment prêtée à l’Association de re-
cherche et d’étude du patrimoine
maritime et fluvial (Arepmaref)
pour son chantier de fouilles sous-
marines, au large de l’île de Ré. Là,
l’équipe de plongeurs bénévoles
charge son matériel sur le « Père
Labat », le bateau de l’association.
Le soleil pointe son nez sur le nord
rétais, l’heure de plonger appro-
che. Encore 4 km de navigation
depuis Saint-Clément-des-Balei-
nes, vers une épave qui n’a pas en-
core livré tous ses secrets.
Depuis trois ans, Félix Gomez,
54 ans, ouvrier à la ville, bûche
avec abnégation, aidé de ses com-
pagnons, sur l’identification de ce
navire du XVIIIe siècle. La décou-
verte remonte à 2016. Éric Le Gall,
chasseur sous-marin, tombe sur
plusieurs canons à 10 mètres de
fond. Celui-ci alerte l’association
qui obtient, l’année suivante, les
premières autorisations auprès


du Département des recherches
archéologiques subaquatiques et
sous-marines (Drassm) pour dé-
buter les recherches. « Grâce au so-
nar, on a localisé le site, raconte Fé-
lix Gomez. L’an dernier, on a pu
pratiquer deux sondages. » Con-
crètement, cela consiste à poser
un cadre de 2 mètres sur 2 sur une
zone de l’épave et de fouiller à l’in-
térieur. En amont, il y a tout un tas
de dossiers à remplir afin d’avoir
l’aval du Drassm, branche du mi-
nistère de la Culture. Rien que
pour l’opération en 2018, Félix évo-
que un dossier avoisinant 1,6 kg...
L’an passé donc, la joyeuse
bande effectue deux sondages sur
le site et la pêche est plutôt bonne.
Elle trouve notamment deux louis
d’argent, l’un de 1736, l’autre de


  1. Ainsi, ces enquêteurs du pas-


sé ont éliminé les naufrages ayant
eu lieu avant 1742. Cette monnaie
a eu cours jusqu’en 1781, peut-être
même jusqu’à la Révolution, telle
est donc la fourchette de recher-
ches, qui se déroulent pour beau-
coup aux Archives départementa-
les, à La Rochelle. « La période 1765-
1781 a été épluchée par des
étudiants rochelais et rien n’est
ressorti. Reste encore les archives
de 1742 à 1765 à dépouiller », nous
explique Pierre-Emmanuel Augé.

Un navire corsaire?
Parmi les amalgames prélevés, un
bougeoir en bon état. Mais c’est
avec le boulet de canon que l’en-
quête prend une tournure très in-
téressante. « Il a été analysé à l’Uni-
versité de Montpellier, poursuit Fé-
lix Gomez, et du café carbonisé a
été découvert. » Comme ça, pour
les profanes, ça ne paraît pas
grand-chose mais, en fait, si. « C’est
le premier site en France et le troi-
sième en Europe où on trouve du
café », déclare le quinquagénaire.
Cette trouvaille permet d’évoquer
la piste du navire de commerce.
Les 16 canons posent aussi ques-
tion. « Ils sont de calibres diffé-
rents, ce n’est donc pas forcément
un navire de guerre car l’arme-
ment était le même. » L’hypothèse
du bateau corsaire est aussi sou-
levée. Attention, un petit point
s’impose : ne pas confondre cor-
saire et pirate. « Le premier, sou-
vent l’armateur ou le capitaine,
dispose d’une lettre de course,
émise par le roi, autorisant l’équi-
page à attaquer tout navire bat-
tant pavillon ennemi, précise le

chef de l’opération. Mais, pour
l’instant, dans nos recherches, pas
de lettre de course. » Le pirate, lui,
attaque en toute illégalité. Les inves-
tigations doivent donc se poursui-
vre afin de découvrir le passé de
ce navire d’une vingtaine de mè-
tres.

Amateurs mais professionnels
Ce deuxième jeudi d’août, Gaëlle
Dieulefet, universitaire de Nantes,
plonge pour la première fois sur
le site. L’hiver dernier, le Drassm l’a
mise en relation avec Félix, via
l’Arepmaref. Enseignante-cher-
cheuse, elle est spécialisée en ar-
chéologie sous-marine moderne
et, plus particulièrement, sur la cir-
culation des marchandises et des
hommes entre les XVIe et XVIIIe siè-
cles. « Le café retrouvé, ces 16 ca-
nons différents : ce site possède
un réel intérêt scientifique », con-
fie la codirectrice de l’opération.

Créée en 2011, l’Arepmaref travaille
sur différents chantiers en mer
mais aussi en rivière. Et la plongée
reste tout de même une étape at-
tendue pour ces mordus, tous
obligés d’avoir les certificats de
plongeurs professionnels pour
s’adonner à leur passion. Ce ma-
tin-là, on discute avec Vincent Leba-

ron, le président. Trois paires de
plongeurs sont déjà descendues
explorer les deux carrés de son-
dage fixés en début de semaine.
Ils resteront une petite heure sous
l’eau. « Chacun a une tâche bien
précise à effectuer dans son cadre,
explique le président. Rien n’est
fait au hasard. » Tout ce qui va être
prélevé sera ensuite mesuré, pho-
tographié de nouveau, numéroté,
décrit dans le carnet de fouilles, au
camp (ing) de base, à Saint-Clé-
ment. La veille, un plongeur avait
trouvé un bout d’une cloche,
« avec un crucifix dessiné dessus ».

« Très fortement armé »
Jeudi, au terme de deux heures et
demie de fouilles, de nouvelles
balles de mousquet sont remon-
tées, une médaille, du verre de vi-
tre. Le lendemain, des pièces de
monnaie seront trouvées à l’ar-
rière. Dans le cadre central, ce qui
s’apparente à un mousquet armé
a été mis au jour. « Le canon est ex-
plosé et on aperçoit la munition,
confie Félix Gomez. Ça peut vou-
loir dire qu’il était en train d’atta-
quer ou de se défendre. En tout
cas, il était très fortement armé
pour un bateau de cette taille. »
De retour à la « base terre », on
rencontre Christine Clérin-Dela-
housse, membre de l’Arepmaref.
Elle affectionne la recherche,
comme sur ce manche de couvert
sur lequel un blason a été décou-
vert. « Ce qui est amusant, c’est
d’enquêter. Si demain, on trouve
le nom du bateau, c’est fini. Alors,
on espère le trouver mais pas tout
de suite... »

Depuis une dizaine d’années, des plongeurs


bénévoles, passionnés d’archéologie


sous-marine, tentent d’identifier des épaves.


Immersion au large de l’île de Ré (17)


L’enquête se poursuit


sur l’épave du XVIII


e


siècle


Félix Gomez (à g.) et Gérard André, plongeurs et archéologues sous-marins amateurs, montrent quelques objets remontés de la plongée : des balles de mousquet,
du verre, un bout de cuillère, une médaille... Gaëlle Dieulefet, enseignante-chercheuse, est venue apporter son expertise. PHOTO JEAN-CHRISTOPHE SOUNALET/« SUD OUEST »


« Le café retrouvé,
ces 16 canons
différents : ce site
possède un réel
intérêt scientifique »

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