liber170819

(Brent) #1
Un policier brandit sa matraque,

J


amais, la police n’avait été ex-
posée à ce point au regard de
la société sur son usage de la
force. Depuis le début du mouve-
ment des gilets jaunes, mais aussi
plus récemment avec l’affaire Steve
Caniço à Nantes, la violence des
fonctionnaires est largement docu-
mentée. Avec, naturellement, un
débat autour du contrôle de l’action
de la police – aujourd’hui cible de
nombreuses critiques. Directeur
de recherche au CNRS et auteur de
De la police en démocratie(Grasset),
le sociologue Sebastian Roché es-
time que la police est face à une
crise de légitimité historique.
La violence utilisée ces derniers
mois par les forces de l’ordre
renforce-t-elle l’exigence démo-
cratique du contrôle la police?
Oui, c’est un tournant, car on a pu
voir en direct, et comme jamais
auparavant, l’exercice de la violence
policière. C’est un moyen banal de
l’exercice de l’Etat, mais la plupart
du temps, il est décrit avec un voca-
bulaire juridique qui a pour effet de
l’euphémiser. Là, ce qu’on voit, ce
sont des gilets jaunes qui ont la
main arrachée par une grenade, un
œil crevé par un tir de balle en
caoutchouc, ou des scènes d’humi-
liation où des adolescents sont mis
à genoux avec des propos dévalori-
sants. On voit concrètement à quoi
correspondent les termes juridiques
comme«usage légitime de la force»,
employés par les gouvernants pour
décrire cela. Les nombreux témoi-
gnages vidéo éclairent d’une autre

«


«Des policiers qui


enquêtent sur des


policiers, ce n’est


pas satisfaisant»


Recueilli par
ISMAËL HALISSAT

Capacité d’autosaisine, budget propre, mandats


irrévocables... Autant de prérogatives qui font défaut


à l’IGPN, selon le sociologue Sebastian Roché, qui


pointe l’enjeu du contrôle des policiers lors des


mobilisations des gilets jaunes


et de l’affaire Steve Caniço à Nantes.


FRANCE


Des capsules de gaz lacrymo retrouvées sur le quai Wilson le 25 juin, quelques jours après la disparition de Steve Caniço.PHOTO RÉMY ARTIGES

manière l’exercice de la violence
d’Etat, et ont plus de force de
conviction que des récits oraux.
Cela permet de se faire une idée par
soi-même de l’action de la police.
Ce n’était jamais arrivé en France
à cette échelle. Une partie de la po-
pulation, des journalistes, des avo-
cats, des universitaires estiment
que c’est illégitime. La défiance
vis-à-vis de la police est alimentée
par sa violence, mais aussi parce
que de tels actes sont présentés
comme légaux.
Selon l’enquête administrative
de l’Inspection générale de la po-
lice nationale (IGPN) relative
à l’affaire Steve Caniço, il est
possible de riposter à des jets de
projectiles en tirant plus de
30 grenades lacrymogènes, une
dizaine de grenades de désen-
cerclement et autant de balles
de LBD, sur une foule de fêtards,
au bord d’un fleuve, la nuit...
C’est le choc entre la légalité et la lé-
gitimité, entre le pays légal et le
pays réel. Le principal objet des en-
quêtes administratives de l’IGPN
est de voir si l’on peut mettre en
cause les fonctionnaires, mais pas
de s’interroger sur comment il est
possible d’en arriver là? Le gouver-
nement est dans la protection du
ministre de l’Intérieur. Le résultat
est qu’il n’y a jamais eu une discus-
sion publique aussi forte sur l’usage
de la force et sur la réalité de la ca-
pacité des autorités à la réguler. Ce
ne sont plus juste les opérations de
police qui sont sous pression, mais
aussi la crédibilité du contrôle de la
police. Edouard Philippe s’est ap-
puyé sur ce rapport technique pour

12 u Libération Samedi^17 et Dimanche^18 Août^2019

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