liber170819

(Brent) #1

FRANCE


TOP SECRETS 11/


Naître, écrire, faire la fête, juger,
se confesser, fabriquer...
Libérationrévèle la face
clandestine et les vérités
cachées de nos vies.

Pendant la présidentielle de 1981,
quand on publie des infos selon les-
quelles le PCF appelle dans des réu-
nions à voter blanc ou à voter Gis-
card, on le sait par des informateurs
du PCF... Et quand on écrit au
même moment que le SAC[le Ser-
vice d’action civique, organisation
gaulliste ayant réalisé les basses
œuvres du mouvement jus-
qu’en 1982, ndlr]colle des diamants
sur les affiches de Giscard, on le sait
par des gens du SAC(rires).D’un
côté, les communistes voulaient
empêcher l’élection de Mitterrand,
parce que la politique de Giscard
plaisait bien à l’URSS; de l’autre,
les chiraquiens voulaient à tout
prix que Giscard ne soit pas réélu
parce que c’était leur mort...
L’affaire Tiberi, l’histoire des faux
électeurs du Vearrondissement
de Paris[révélée en 1997],c’est un
haut fonctionnaire de droite qui
nous l’a donnée.

Angeli dans les locaux duCanard

«

Figure de l’investigation


au «Canard enchaîné»,


Claude Angeli revient


sur le secret des sources,


pilier de la profession,


et sur ceux qui


l’ont toujours attaqué.


P


armi les coups les plus fa-
meux de Claude Angeli et du
Canard enchaîné,où il tra-
vaille depuis bientôt cinquante ans,
dont trente comme rédacteur en
chef (jusqu’en 2012), on trouve les
affaires des feuilles d’impôts
de l’ancien Premier ministre
Chaban-Delmas, du château corré-
zien de Chirac, des diamants de
Giscard et Bokassa... A l’époque, ses
informations en pagaille gênaient
tant le pouvoir qu’elles ont abouti,
en 1973, à la fameuse tentative
de «sonorisation» des locaux du
Canardpar les faux plombiers de
la DST (1). L’ex-service de renseigne-
ment avait été missionné par Ray-
mond Marcellin, le ministre de l’In-
térieur de Pompidou, pour essayer
de découvrir qui parlait au «vola-
tile»... Plus récemment, les révéla-
tions duCanard enchaînésur
François Fillon ont fait basculer la
campagne présidentielle de 2017. Fi-
gure du journalisme d’investigation,
Claude Angeli, 88 ans, rédige encore
chaque semaine un article sur la po-
litique étrangère dans l’hebdoma-
daire. PourLibé,il revient sur le
sacro-saint principe du «secret des
sources», qui garantit dans la pro-
fession la protection de l’identité
des informateurs.

Le début d’année a été marqué
par de nombreuses convoca-
tions de journalistes par la Di-
rection générale de la sécurité
intérieure (DGSI), après qu’ils
ont fait des révélations embar-
rassantes pour le pouvoir. Cela
vous a rappelé des souvenirs?
Je n’ai jamais été convoqué par
la DGSI et, si cela avait été le cas, je
n’aurais pas répondu à cette convo-
cation. Les journalistes qui y sont
allés récemment n’ont rien dit, et
c’est très bien. Je ne veux pas les
critiquer, mais je crois qu’il fallait
plutôt faire un scandale et refuser
de se rendre à ces convocations. La

profession, malgré tous ses défauts,
aurait défendu cette position. En
face, ils auraient hésité avant d’en-
voyer les policiers chercher les jour-
nalistes convoqués... Le pouvoir, ou
l’opposition d’ailleurs, n’a pas à de-
mander aux journalistes quelles
sont leurs sources. Ou bien nous,
journalistes, sommes des tocards et
nous mentons, nous faisons des
fausses informations, ou alors on
dit la vérité. Point barre.
Que vous inspire l’attitude du
pouvoir macroniste à l’égard de
la presse?
Lui non plus ne résiste pas à la ten-
tation d’aller chercher les sources

des journalistes... Il n’y a pas de
pouvoir innocent. Sans doute en-
quêtent-ils en secret, clandestine-
ment. Si on le découvre, auCanard,
on cognera, comme toujours. C’est
logique qu’ils aient envie de savoir
comment les infos arrivent àMe-
diapart,auCanardou àLibération,
commentleMondea pu publier
l’affaire Benalla. Aucun pouvoir ne
résiste à cette tentation. Pompidou,
Giscard, Mitterrand, Sarkozy... Ils
l’ont tous fait! Depuis que je suis en-
tré auCanard,en 1971, cela a tou-
jours été une forme de guerre. Ils
nous ont tout fait. Sauf mettre de la
coke dans nos voitures(rires).Les
photos, les surveillances de la vie
privée, l’examen des feuilles d’im-
pôts... Ils sont allés jusqu’au pire, en
instrumentalisant des rencontres,
en envoyant des lettres anonymes...
Je ne veux pas en dire plus sur cet
épisode. C’était sous Pompidou et
c’était les Renseignements géné-
raux. Mais ils sont capables de tout.
Qui sont les sources?
On pense naturellement que ce
sont les adversaires politiques qui
renseignent les journalistes...
Pendant le grand combat entre
giscardiens et chiraquiens, il a pu
y avoir des choses... Mais les
meilleures informations quele Ca-
narda publiées sur le Parti commu-
niste venaient du Parti commu-
niste, pas du Parti socialiste.

INTERVIEW


Recueilli par
JÉRÔME LEFILLIÂTRE

«Aucun pouvoir ne résiste


à la tentation d’aller


chercher les sources


des journalistes»


16 u Libération Samedi^17 et Dimanche^18 Août^2019

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