liber170819

(Brent) #1
Les taupes viennent de l’inté-
rieur?
Mais oui! Parfois, c’est même plus
fort que ça. Regardez l’affaire
Fillon, c’est tout con. Mes camara-
des ont trouvé en enquêtant
comme on enquête sur tous les can-
didats à la présidentielle. Ils lui po-
sent des questions sur sa société de
conseil, Fillon répond sans donner
le nom de ses clients. C’est légal.
Pas très moral, mais légal. Et puis
ils l’interrogent sur ses assistants
parlementaires. Là, il ne répond
plus.[Christophe]Nobili et quel-
ques camarades enquêtent, trou-
vent l’histoire de Penelope. Cela
fait un barouf du tonnerre et Fillon
lui-même révèle que ses enfants
ont aussi été ses assistants parle-
mentaires. Mais ça, nous, on ne le
savait pas!(rires)C’était tellement
simple.Le Canarda été accusé de
tout, d’être informé par des po-
liciers, par le SAC, par Chaban-Del-

mas, par le Mossad, par Foccart[ex-
monsieur Afrique de la droite gaul-
liste]. A chaque fois, il y a des gens
qui croient avoir trouvé la source et
il y a des journalistes assez cons
pour l’écrire! On n’enquête pas sur
les informateurs d’un confrère.
Ça, c’est dégueulasse. Les journa-
listes ne doivent pas faire un tra-
vail de flic...
Comment convaincre quelqu’un
possédant des infos de parler, de
devenir une source?
Pour obtenir une source, il faut
avoir des relations. Il faut connaî-
tre des gens depuis longtemps, qui
te font confiance et qui vont te
servir d’intermédiaires auprès
d’autres. Il faut un réseau d’infor-
mateurs dans tous les milieux et un
journal qui est vu comme osant
tout écrire. Ce n’est pas moi qui
trouve les infos, c’est auCanard
qu’on les donne. Ce journal est une
carte de visite formidable, qui a la

réputation de ne pas hésiter à sortir
des informations. Bon, c’est vrai
que longtemps on s’est interdit
de publier des choses sur la vie pri-
vée. Je pense à Mazarine Pingeot,
la fille cachée de Mitterrand...
Quelle bonne anecdote de
source n’avez-vous jamais
racontée?
Un jour, une source me dit que dans
une vente d’autobus au Zaïre, il y a
un jeu à trois bandes, impliquant

Mobutu[président de 1965 à 1997 de
l’ex-Zaïre devenu république démo-
cratique du Congo],une entreprise
(Renault) et un parti politique (les
Républicains indépendants de Gis-
card) français. Le pays, à l’époque,
était sous contrôle de la Banque
mondiale, qui lui interdisait tout
achat direct. Il fallait son autorisa-
tion. Je pars en vacances en Mau-
ritanie pour camoufler ma destina-
tion, puis je fais une demande de
visa pour le Zaïre. J’y passe un
moment, j’ai la confirmation de
toute cette histoire, mais je n’arrive
pas à avoir une preuve. Je suis
rentré au journal et n’ai pas écrit
une ligne... Je sais que c’est vrai,
j’en suis sûr. J’avais trouvé un con-
tact à la Banque mondiale qui me
l’avait confirmé. Des députés de
l’opposition aussi. Mais je n’ai pas
eu un document. C’est un grand
échec, qui a coûté cher au journal
en plus(rires).

Vous vous êtes déjà fait balader
par une source?
Bien sûr... Par Sassou-Nguesso[ac-
tuel président de la République du
Congo]par exemple. Il a été battu
un jour par un opposant, Lissouba,
un professeur de biologie. Peu
après, Sassou est en France. Je vais
le voir et il me sort des documents
selon lesquels Lissouba aurait
vendu des bassins d’exploitation
pétroliers à des sociétés indoné-
siennes ou néerlandaises, je ne sais
plus. Il me dit qu’il ne sait pas si
c’est tout à fait exact, mais que si
c’est vrai,«c’est énorme»... De retour
au bureau, je demande à un collè-
gue de vérifier. En dix minutes, il
avait compris que c’était complète-
ment bidon. Un mois après, je re-
vois Sassou. Il ne m’en a même pas
reparlé! Il a tenté le coup...
Autre histoire: Yves Bertrand, l’ex-
patron des Renseignements géné-
raux, me donne des documents
selon lesquels Jospin aurait acheté
une villa sur l’île de Ré pour 4 mil-
lions de francs...«Si c’est vrai, il est
mort»,me dit-il. C’était avant la
présidentielle de 2002 contre Chi-
rac. AuCanard,Gaillard[ex-direc-
teur du journal]me dit«Putain, je
l’ai vue, cette maison : tu rentres le
vélo derrière la porte d’entrée. C’est
pas possible qu’elle vaille 4 mil-
lions !»Je décide de laisser tomber.
Voyant cela, Bertrand file le truc à
un hebdomadaire, qui le publie. Il
y a eu un droit de réponse de Jospin
[qui a démontré qu’elle valait 2 mil-
lions].Se faire balader, c’est normal
dans ce métier.
Le secret des sources est-il en
danger aujourd’hui?
Ce n’est pas le secret des sources
qui est en danger, c’est le pouvoir de
publier des choses. C’est nous qui
avons sorti l’information que des
armes françaises ont été utilisées
dans l’actuelle guerre au Yémen. Le
siteDisclose,qui est un très bon mé-
dia, a sorti le document de la
Direction du renseignement mili-
taire qui prouve ce que nous avons
dit. Je ne suis pas en train de râler,
je suis très content : plus ça sort,
mieux c’est...Discloseest menacé
de procès, parce que c’est du
«confidentiel défense». C’est grave,
parce que ça peut foutre les jetons
à certains journaux. Si tu ajoutes à
cela le risque de préjudice commer-
cial, dont certaines entreprises me-
nacent les médias et qui peut coûter
très cher à ces derniers, la presse se
retrouve en difficulté. La liberté de
publier est en danger. Il faut absolu-
ment continuer à publier du secret
défense, face à cette tendance à tout
vouloir judiciariser.•

(1) Lireles Micros duCanard,de Claude
Angeli et Stéphanie Mesnier, Les Arènes.

en 2011. Derrière lui, la plaque et le trou liés à la tentative de «sonorisation» des locaux par les faux plombiers de la DST.V. MEZZANOTTI. THE NYT


«Ce n’est


pas le secret


des sources


qui est en danger,


c’est le pouvoir


de publier


des choses.»


Libération Samedi 17 et Dimanche 18 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u 17

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