liber170819

(Brent) #1

FarWest


Lafusée


versl’or


Eau, métaux précieux et terres rares...


Des entreprises privées veulent exploiter


les ressources naturelles de la Lune à des fins


commerciales, profitant d’un flou juridique et


avec l’appui des Etats-Unis, tandis que des


milliardaires misent sur le tourisme lunaire.


«L


a Lune n’appartient à
personne, mais il est
normal d’exploiter
certaines ressources
quand on les découvre et qu’on y a ac-
cès.»Au moins, le message est clair:
quiconque arrive à débarquer sur la
Lune par ses propres moyens peut
se servir à volonté dans ses ressour-
ces naturelles. Telle est la vision du
patron de la Nasa, Jim Bridenstine,
qui s’exprimait fin juin au salon du
Bourget. Elle est évidemment parta-
gée par une armée d’entrepreneurs
rêvant de fortunes à se faire sur la
Lune, et la science-fiction explore ce
thème depuis des décennies. La
concrétisation de ce fantasme n’a ja-
mais été aussi proche : il existe
aujourd’hui des entreprises privées
dont l’objectif revendiqué est la
prospection de notre satellite natu-
rel à des fins commerciales.
Moon Express est l’une d’elles. Son
fondateur, Bob Richards, un entre-
preneur canadien, est passionné
d’espace depuis sa jeunesse :
en 1980, il crée avec son ami Peter
Diamandis une association d’étu-
diants«pour le développement de
l’espace»au prestigieux Massachu-
setts Institute of Technology (MIT).
Quinze ans plus tard, Diamandis
lance la fondation X Prize, qui orga-
nise de grands concours pour sti-
muler l’innovation«au bénéfice de
l’humanité».Les premières éditions
mettent au défi des ingénieurs du
monde entier d’inventer un aéronef
spatial, une voiture peu polluante,
un nettoyage efficace des marées
noires... Le concours de l’an-
née 2007 explose les records de dif-


chercher sur un astéroïde.»Per-
sonne ne sait s’il y a des terres rares
en quantité intéressante sur la
Lune. Il y en a peut-être davantage
sur les astéroïdes de type métalli-
que«mais c’est comme au loto : vous
avez 800000 astéroïdes, il faut trou-
ver la perle rare».L’entreprise amé-
ricaine Planetary Resources, créée
en 2012 par Peter Diamandis (en-
core lui), voulait se consacrer à cette
chasse aux trésors sur les astéroï-
des. Mais après avoir levé des mil-
lions auprès d’Eric Schmidt et Larry
Page (Google), de James Cameron
(le réalisateur) et même de l’Etat du
Luxembourg, elle s’est effondrée
l’an dernier.«L’argent est parti en
poussière d’étoiles»,déplorele Quo-
tidien luxembourgeois.
Les trésors de la Lune sont-ils un in-
vestissement plus solide? On y
trouve de l’hélium 3, un isotope (une
variante) de ce gaz léger qui pourrait
être utilisé dans des réacteurs de fu-
sion pour créer une énergie nu-
cléaire plus propre et moins dange-
reuse, car non radioactive. L’Inde et
la Chine, qui ont toutes deux envoyé
des sondes vers la Lune cette année,
s’y intéressent beaucoup. La Lune
est«si riche»en hélium 3 que cela
pourrait«résoudre les besoins éner-
gétiques humains pour au moins dix
mille ans»,estime Ouyang Ziyuan,
responsable scientifique du pro-
gramme lunaire chinois. Mais on ne
maîtrise pas la fusion nucléaire à
l’heure actuelle.
Et puis, il y a l’eau. Si le site internet
de Moon Express reste plutôt vague
sur les«ressources pour l’humanité»
que la start-up espère déterrer dans
la Lune, il détaille l’usage qu’on
pourrait faire de simples molécules
de H2O. On sait depuis quelques an-

nées que le pôle Sud de la Lune
renferme de l’eau glacée dans ses
cratères perpétuellement ombra-
gés. L’eau est«une ressource qui
pourrait probablement permettre à
ces start-up de survivre à court
terme»,note Francis Rocard,«parce
que la Nasa en a besoin pour ses mis-
sions habitées lointaines, vers Mars
par exemple».D’une part, parce
qu’il«faut pas mal de flotte pour
faire vivre six astronautes pendant
cinq cents jours»,d’autre part«pour
casser les molécules d’eau et en faire
de l’hydrogène et de l’oxygène»...
c’est-à-dire du carburant de fusée.
Il coûterait très cher d’emporter de-
puis la Terre des réserves d’eau pour
une mission martienne: chaque kilo
soulevé par une fusée demande des

dizaines de kilos de carburant et des
dizaines de milliers d’euros. Il est
donc intéressant d’en trouver sur
place, ou sur le chemin vers Mars.
Moon Express a le sens de la for-
mule:«L’eau est l’essence du système
solaire, et la Lune deviendra une sta-
tion-service dans le ciel.»
La Nasa a toujours suivi de près les
activités de Moon Express. En 2013,
elle fait de la start-up un de ses par-
tenaires pour développer des solu-
tions de transport de matériel vers
la Lune. Moon Express dispose d’un
prototype fonctionnel d’atterrisseur
lunaire : le MX-1, qu’il a le privilège
de tester sur la piste d’atterrissage
des navettes spatiales de la Nasa.
En 2016, l’administration fédérale
de l’aviation lui délivre l’autorisa-

Par
CAMILLE GÉVAUDAN


UN ÉTÉ DANS LA LUNE


Cinquante ans après la mission Apollo 11, la Lune fait de nouveau rêver. Terrain de
jeu des Etats voulant montrer leur savoir-faire et des start-up qui cassent les coûts
des missions spatiales; base d’entraînement en attendant le grand bond vers Mars;
centre touristique pour milliardaires ou mémoire du Système solaire...
Chaque samedi durant tout l’été,Libéa rendez-vous avec la Lune.


ficulté : il faut construire un engin
capable d’atterrir sur la Lune, y par-
courir 500 mètres et prendre des
photos(lireLibérationdu 10 août).
Bob Richards s’y inscrit. Il crée
même deux équipes – l’une basée
sur l’île de Man (un paradis fiscal) et
l’autre aux Etats-Unis, Moon Ex-
press. Richards annonce tout de go
à CNN :«Retourner sur la Lune re-
présente pour moi l’occasion d’éten-
dre la sphère économique de l’huma-
nité. Il y a une abondance de
ressources là-bas, et de connaissan-
ces à acquérir. En étendant la sphère
économique de la Terre jusqu’à la
Lune, nous trouverons des moyens de
contribuer à l’exploration de l’espace
par les activités commerciales.»

Chasse aux trésors
sur les astéroïdes
Avec un noyau de 25 personnes,
dont des anciens de la Nasa, Moon
Express a commencé à concevoir
un atterrisseur lunaire comme
les équipes concurrentes. Mais le
sien était pensé dès le départ pour
chercher sur la Lune des métaux
précieux et des terres rares, qui
servent à fabriquer des composants
de haute technologie pour les
smartphones, les panneaux solai-
res, les batteries, les éoliennes...
«Aujourd’hui ça va, on en a sur
Terre. Mais si une terre rare venait
à manquer et qu’elle est importante
pour l’industrie, que va-t-il se pas-
ser ?soulève l’astrophysicien Fran-
cis Rocard dans un podcast du ma-
gazineUsbek & Rica. Son prix va
décupler. Et c’est le pari de ce genre
de start-up : si le prix devient gigan-
tesque, s’il faut payer, mettons, un
million de dollars le gramme, ça
vaut peut-être la peine d’aller le

Le vaisseau de SpaceX qui doit emmener le Japonais Yusaku Maezawa

La fusée Space Launch System (SLS) de la Nasa transportera quatre

26 u Libération Samedi^17 et Dimanche^18 Août^2019

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