liber170819

(Brent) #1
SCIENCES/

tion d’expédier du fret sur la Lune,
une grande première pour une so-
ciété privée. En 2018, le concours
Lunar X Prize se termine sans vain-
queur, faute d’équipe prête dans les
délais impartis.«Bien sûr que
j’aimerais gagner,disait Bob Ri-
chards dix ans plus tôt.Mais j’aime-
rais aussi installer la première en-
treprise sur la Lune.»Son premier
souhait n’a pas pu se réaliser. Pour
ce qui est de monter son affaire
dans un cratère, en revanche, il a
encore toutes ses chances. Moon
Express licencie neuf personnes
mais agrandit ses installations à
Cap Canaveral en Floride : deux
tours de lancement historiques sont
détruites pour laisser la place aux
tests du module lunaire.

Aujourd’hui, Moon Express dispose
de tout un catalogue de vaisseaux
lunaires, du MX-1 au MX-9, pouvant
servir de sondes ou d’atterrisseurs,
modulables et combinables pour
s’adapter à tout type de mission.
L’entreprise espère décoller à
l’été 2020 pour sa première expédi-
tion vers la Lune, s’installer au pôle
Sud l’année suivante et renvoyer sur
Terre peu après des échantillons de
matériaux, qui seront«disponibles
pour les collectionneurs et des usages
commerciaux».
Mais a-t-elle seulement le droit de
se servir sur la Lune comme dans
un supermarché?«Je pense que la
Lune ne doit pas être traitée diffé-
remment des eaux internationales
de nos océans. Personne ne possède

réellement l’eau, mais n’importe
quelle entreprise peut exploiter ses
ressources, tant qu’elle respecte cer-
taines règles de sécurité et morales»,
affirmait en 2011 Naveen Jain, co-
fondateur de Moon Express. S’ap-
puyant sur des«précédents juridi-
ques»,il considère que«trouver, c’est
garder».LesEtats-Unisontpourtant
signé en 1967 le traité de l’espace, et
en 1979 l’accord sur la Lune, deux
traités internationaux qui sem-
blaient interdire l’appropriation des
astres. On y lit que«ni la surface, ni
le sous-sol de la Lune, ni une partie
de celle-ci ou les ressources naturelles
qui s’y trouvent, ne peuvent devenir
la propriété d’Etats, d’organisations
internationales, nationales ou d’en-
tités gouvernementales, ou de per-
sonnes physiques».Ah, il est vrai que
le texte oublie de mentionner les
«organisations privées»... Etait-ce
pour leur laisser la porte ouverte ou
parce qu’il était impensable à l’épo-
que qu’une entreprise commerciale
débarque sur la Lune? On lit aussi
que«l’installation sur la Lune de vé-
hicules, matériels, stations, installa-
tions ou équipements spatiaux ne
crée pas de droits de propriété sur la
surface ou le sous-sol de la Lune ou
sur une partie quelconque de cel-
le-ci.»C’est délicat. Tout est ques-

tion d’interprétation... Et les Etats-
Unis ont précisé la leur en 2015 avec
le Space Act, une nouvelle loi affir-
mant que les entreprises commer-
ciales peuvent disposer des ressour-
ces qu’elles collectent sur des corps
célestes. Certains crient à la viola-
tion des traités de l’espace, d’autres
estiment qu’il n’y a pas de contra-
diction flagrante.

Le Luxembourg,
Far West spatial
Voilà qui plaît au Luxembourg. Le
petit pays aux grandes ambitions
spatiales s’est inspiré du Space Act
pour voter sa propre loi autorisant
l’appropriation privée des ressour-
ces spatiales en 2017. Depuis, on ne
l’arrête plus: il signe un accord avec
la Belgique en janvier 2019, puis
avec les Etats-Unis en mai pour aller
forer de concert sur les astéroïdes.
Les premières pierres d’un nouveau
traité de l’espace sont posées. Et les
entrepreneurs qui souhaitent se
lancer dans le«space mining»sont
assurés de trouver au Grand-Duché
une terre d’accueil bienveillante.
Une start-up japonaise nommée Is-
pace –encore une boîte née pour le
concours Lunar X Prize – y a
d’ailleurs déjà posé ses valises. Dans
leurs locaux luxembourgeois, les

jeunes entrepreneurs font la démo
de leur rover qui ira un jour extraire
l’eau du pôle Sud de la Lune... et
adoucir l’image écornée, après le
scandale récent des LuxLeaks, du
paradis fiscal qui les couve.
Derrièreceschercheursd’ordunou-
veau Far West spatial, quelques en-
trepreneurs d’une autre trempe se
verraient bien faire affaire à
380000 kilomètres de la Terre. Ils
ont des milliards à investir dans le
tourisme lunaire, mais ils sont loin
d’être prêts. Car ce n’est pas la future
fusée SLS de la Nasa, calibrée pour
pousser quatre astronautes profes-
sionnels vers la Lune, qui pourra
jouer les bateaux-mouches: il faut
développer de nouveaux moyens de
transport. Le Britannique Richard
Branson, fondateur des marques
qui commencent par Virgin (Mega-
stores, Mobile, Cola...), a lancé Vir-
ginGalacticen2004pourpromener
de riches clients dans des avions
suborbitaux. Branson a tout juste
évoqué la possibilité de pousser le
voyage jusqu’à la Lune... un jour,
comme un horizon très lointain. Il
faudrait déjà réussir à franchir la
frontière de l’espace avec un tou-
riste à bord. Même sagesse du côté
de Jeff Bezos, le fondateur et PDG
d’Amazon, qui a lui aussi une entre-
prise spatiale dans laquelle il met un
milliard de dollars de sa poche tous
les ans: Blue Origin. Ses véhicules
emmèneront peut-être bientôt des
humains sur la Lune, mais il est plus
probable que ce soient des astro-
nautes américains à bord de l’atter-
risseur Blue Moon que Jeff Bezos
tente actuellement de vendre à la
Nasa, et pas des touristes dans sa fu-
sée réutilisable New Shepard, qui
n’a même pas encore fait son pre-
mier tour de la Terre...
Quant à Elon Musk, médiatique pa-
tron de SpaceX, il est le seul à reven-
diquer un projet de tourisme sur la
Lune et sait très bien comment le
vendre. Il a déjà présenté publique-
ment son premier client, le milliar-
daire japonais Yusaku Maezawa,
qui devrait faire le tour de la Lune
en 2023. Le touriste idéal: rêveur,
sensible(«J’ai tellement hâte de
m’approcher de la Lune. Je voudrais
voir la Terre en entier... Rien qu’à
cette idée, j’ai les larmes aux yeux»),
il veut emmener six ou huit artistes
avec lui pour qu’ils puissent«trans-
mettre au monde la beauté de notre
planète vue de là-haut»:«Si Picasso
avait vu la Lune de si près, quelle
sorte de tableaux aurait-il peints? Si
John Lennon avait vu la courbure de
la Terre, quelle sorte de chansons
aurait-il écrites ?»Les artistes voya-
geront gratuitement, a promis Elon
Musk. Maezawa, lui, a laissé«un
acompte très important».Le mon-
tant est top secret. Sans doute astro-
nomique.•

faire le tour de la Lune en 2023.SPACE EXPLORATION TECHNOLOGIES CORP


astronautes vers la Lune.PHOTO NASA Présentation du module lunaire de Jeff Bezos.GETTY IMAGES. AFP


Vue d’artiste du MX-1.COURTESY OF MOON EXPRESS INC

Libération Samedi 17 et Dimanche 18 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u 27

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