liber170819

(Brent) #1

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ne à une, les plantes, dont
certaines sont de vrais petits
arbres, sont portées à bout
de bras pour dégager l’asphalte du
Waterloo Bridge. Parfois, desbob-
biesprêtent main-forte aux activis-
tes pour soulever un pot particuliè-
rement lourd. Certains restent
tranquillement assis au milieu de la
chaussée, pique-nique étalé sur des
couvertures aux couleurs vives. Des
gamins gambadent ici et là. A un
bout du pont, un groupe chante et
danse. On est le dimanche 21 avril

et, depuis plus d’une semaine, le
Waterloo Bridge, un des axes rou-
tiers les plus importants du cœur de
Londres, ressemble à une prome-
nade piétonne arborée ou à un festi-
val hippie, les hallucinogènes en
moins. Cejour, la police a demandé
à Extinction Rebellion (XR) l’éva-
cuation du pont et des autres axes
qui paralysent une partie de la capi-
tale britannique depuis une se-
maine. Oxford Circus s’est vu déco-
rer d’un vrai voilier, peint en rose,
sur lequel divers intervenants se
sont succédé pour haranguer la
foule. Tous les lieux d’action ont été
strictement décrétés sans alcool et
sans drogue par les organisateurs.

Dénudés et collés.Après consul-
tation avec la police, les activistes se
replieront pour la plupart vers
un camp autorisé à Marble Arch.
Environ 1 000 arrestations auront

lieu, des personnes âgées de 19 à
77 ans, mais dans le calme et sans
violence. Certains activistes ont
choisi de s’enchaîner les uns aux
autres ou de se coller au sol –littéra-
lement, avec de la colle –, ce qui a
évidemment ralenti les évacua-
tions. Déjà, le 1eravril, onze activis-
tes s’étaient dénudés et collés – là
aussi avec de la colle – aux vitres de
la galerie du public de la Chambre
des communes. Pour le moment,
quelque 200 personnes ont été in-
culpées, en général pour troubles à
l’ordre public ou obstruction à la cir-
culation.
En mai, Roger Hallam(lire page4),
52 ans, a été acquitté de l’accusation
de «dommages criminels» lors d’un
procès où il a assuré seul sa défense.
Il était poursuivi pour avoir inscrit
à la peinture (à la craie, facilement
effaçable) sur les murs de l’univer-
sité londonienne de King’s College

les mots«Désinvestissez-vous du pé-
trole et du gaz».Il demandait à l’éta-
blissement – où il a entamé une
thèse sur la désobéissance civile –
de mettre fin à ses investissements
dans des compagnies pétrolières
ou gazières. Il avait argué que son
action était«une réponse propor-
tionnelle à la crise climatique».Le
jury l’avait suivi.
Roger Hallam est l’un des fon-
dateurs d’Extinction Rebellion.
Début 2018, il rencontre Gail Brad-
brook, 47 ans, docteure en biophy-
sique moléculaire impliquée de-
puis longtemps dans la lutte contre
le changement climatique. Elle mi-
lite au sein d’une organisation
créée en 2016, Rising Up!, dont le
fonctionnement est déjà fondé sur
l’action directe et la désobéissance
civile. Au cours d’une longue dis-
cussion, ils réfléchissent à un mode
d’action plus efficace que les mani-

festations ponctuelles. Entre avril
et octobre2018, ils organisent, avec
une vingtaine d’autres activistes,
une série de 120 discussions, intitu-
lées The Talk, dans des maisons
privées et des salles municipales
de tout le Royaume-Uni. Une vidéo,
diffusée en septembre sur You-
Tube, de l’un de ces débats par Gail
Bradbrook, est alors vue par quel-
que 130 000 personnes.
En octobre, ils décident de lancer
Extinction Rebellion et adoptent le
logo du sablier (le temps qui
s’échappe) au milieu d’un cercle
(la Terre) dont l’artisteESP décorait
les rues de Londres depuis 2011.
Leurs demandes sont simples: une
déclaration d’urgence climatique
par le gouvernement, l’engagement
d’atteindrela neutralité carbone
d’ici 2025 et la constitution d’as-
semblées citoyennes pour élaborer
des solutions globales et durables à
la crise climatique.

Choisir son camp.Leur action se
fonde notamment sur les travaux
d’Erica Chenoweth, chercheuse en
politique à Harvardqui a longue-
ment étudié les mouvements de dé-
sobéissance civile au XXesiècle. Son
constat est que ces mouvements
non violents ont pratiquement tou-
jours obtenu des résultats spectacu-
laires, à condition de mobiliser au
moins 3,5 % de la population. Les
actions de protestation violentes
ont eu beaucoup moins de succès.
L’inspiration vient donc des organi-
sations pour les droits civils aux
Etats-Unis ou pour l’indépendance
de l’Inde avec Gandhi. Pour les fon-
dateurs de XR, les 3,5 % sont deve-
nus le «chiffre magique».
Le mouvement privilégie des ac-
tions directes, non violentes, mais
qui provoquent des perturbations.
L’objectif est d’obliger le public,
mais aussi la police, à choisir son
camp. En bloquant une route ou un
pont,XR s’assure de recevoir le
maximum d’audience. Evidem-
ment, les actions engagées en avril
ont provoqué de nombreux mouve-
ments de mécontentement, notam-
ment des utilisateurs de transports
en commun empêchés de circuler.
Mais leur butn’est pas d’emporter
l’adhésion de la majorité de la
population: l’idée est de rassembler
un nombre suffisamment signifi-
catif d’adhérents pour quene rien
fairesoit plus coûteux que d’essayer
de répondre à leurs revendications
sur le climat.«Extinction Rebellion
a été fondé par des gens un peu par-
ticuliers, dans le sens où nous étions
plus intéressés par ce qui pouvait
fonctionner que par ce qui pouvait
nous faire aimer»du public, raconte
Roger Hallam.
L’organisation a exclu toute hiérar-
chie dans son fonctionnement, ce
qui provoque parfois des tensions.
En juin, l’idée, prônée par certains
membres de XR, de bloquer le trafic
de l’aéroport londonien d’Heathrow
en envoyant des drones au-dessus
des pistes d’atterrissage a été
suspendue après l’opposition
d’autres membres qui y ont vu une
action violente et potentiellement
dangereuse.
SONIA DELESALLE-STOLPER
Correspondante à Londres

Des écolos qui veulent


que leurs ires fassent désordre


Créé en octobre 2018
à Londres, Extinction
Rebellion entend
utiliser la désobéissance
civile de façon non
violente et massive pour
la mise en place de
mesures pour le climat.

Session de
formation au
blocage de
chantier, à Annecy,
le 11 août.

Libération Samedi 17 et Dimanche 18 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u 3

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