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(Brent) #1

Libération Samedi 17 et Dimanche 18 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u III


vil, et grâce à André Bour-
vil, il va y en avoir pas mal.»
Qu’aurait été Bourvil après Bourvil,
dans une France qui changeait? Un
grand acteur fait aussi rêver avec les
rôles qu’il n’a pu jouer.

«Plus facile de donner
de l’émotion»
Son père cultivateur est mort
en 1918 de la grippe espagnole, de
retour du front, quelques mois
après sa naissance ; et lui qui joue si
bien les paysans n’a pas voulu en
devenir un. Il a toujours été doué
pour chanter, divertir, faire rire et
retomber en enfance. En 1940,
joueur de piston, il était à lui seul la
gaîté de son escadron, réfugié dans
le Sud-Ouest.Pas si bête, en 1946,
est le film qui le rend célèbre. Il
incarne un paysan normand invité
dans un château et qui, comme
dans une pièce de Marivaux ou de
Beaumarchais, dévoile
l e s d e s s o u s e t
manœuvres de nobles
avides et sans le sou.
Pendant dix ans, le faux
ahuri est sa tonalité. Mais
le pommier normand
sous lequel il est né
donne aussi des pommes
empoisonnées. On ne
sait jamais lesquelles on
va ramasser.
La Traversée de Paris,
tourné par Claude
Autant-Lara en 1956,
transforme le clown. On
s’aperçoit qu’il peut re-
tourner le gant de can-
deur, de pureté, pour de-
venir gant de crin :
«Français moyen» misé-
rable, méchant, mes-
quin, lâche, amer, vil,
touchant parfois, natu-
rellement perdant. Ce
n’est pas si facile d’être
un grand comique popu-
laire, un paysan faussement ingénu
et une incarnation nerveuse de la
médiocrité. Bourvil y parvient. Il
continue de chanter, de jouer, de
faire rire, de danser, il y tient abso-
lument, mais à partir de 40 ans, il
danse aussi macabre, tout autour
des yeux clairs et du nez tordu.
Autant-Lara a dû batailler pour
l’imposer dans le rôle de Marcel
Martin, le pauvre type qui doit
transporter, sous l’Occupation et
d’un bout à l’autre de Paris, un co-
chon vendu au marché noir. Bour-
vil? Ce comique facile, cette image
rabâchée du niais? Le producteur
n’en veut pas; Marcel Aymé, auteur
de la nouvelle sarcastique dont
le film est inspiré, encore moins.
Apprenant le choix du cinéaste, il
lui écrit le 8 mars 1956:«J’ai cru à
une farce. Vous savez aussi bien que
moi que Bourvil est à l’opposé du
rôle et je ne dis rien

«Bourvil! On va rire...


Eh bien! non, on n’a


pas ri. On aurait eu


plutôt la larme à l’œil,
s’il nous restait des

larmes à pleurer.


Il y a surtout une


de ses chansons sur


un “petit bal perdu”
qu’on aurait écoutée

toute la nuit


en remâchant des


vieux chagrins.»
François
Mauriac

Suite page IV

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