liber170819

(Brent) #1

Libération Samedi 17 et Dimanche 18 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u V


Dans le jardin de la
sorcière (1/7)Aubépine
et noisetier, joubarbe ou
alchémille, verveine et
millepertuis... Tour d’horizon
des plantes qui rendent
amoureux, protègent ou
accablent. Aujourd’hui, des
buissons où faire son marché.

L


e premier qui parle
de braguette magi-
que a évidemment
perdu, même si c’est
super marrant et au fond
assez bien vu puisque cha-
cun le sait, les contes de fées
ne parlent en gros que de cul
à un certain niveau de lec-
ture. Suis mon regard côté

Bruno Bettelheim et son
inaltérablePsychanalyse des
contes de fées(1976), qui va
nous suivre toute la semaine,
et dont le présupposé est que
le conte de fées, s’il raconte
une belle histoire (avec des
oiseaux qui virevoltent et
chantent autour d’une belle
princesse nunuchequi va vi-
vre une tragédie qui finit tou-
jours bien), est en fait une le-
çon de vie qui peut, en gros,
se résumer de cette manière:
malgré les épreuves, la vie
est belle.

Triple tiroir.Et, quasiment
dans tous les contes, la vic-
toire sur lesdites épreuves
passepar des objets magi-
ques, conducteurs du mer-

veilleux, médiateurs de
l’invisible, autonomes : vête-
ments, miroirs, fuseaux,
pomme, etc. Ainsi que cette
fameuse baguette, donc, sans
doute le plus célèbre sym-
bole à double ou triple tiroir,
utilisé par les fées, les magi-
ciens et sorciers. Un simple
bâton de bois(lire ci-dessus si
tu as commencé par ce pa-
pier, sinon tu sais de quoi je
parle)ou un objet doré et
brillant (le conte aime le doré
et le brillant), qui transforme
les humains en animaux
ou les citrouilles en carrosses
(dorés, on te dit). Attention,
c’est pas toujours facile.
La marraine de Cendrillon,
pour avoir un carrosse, doit
d’abord«creuser, évider la ci-

trouille»avant de changer les
six souris en un bel attelage
de six chevaux, un rat en co-
cher, six lézards en laquais...
Puisrelooker Cendrillon avec
des habits de drap d’or et
d’argent tout chamarrés de
pierreries...
En général, la baguette est
utilisée pour embellir la réa-
lité, ou pour atténuer un sort
funeste, comme la dernière
fée dela Belle au bois dor-
mantlimitant la malédiction
de la vilaine fée (celle qu’on
n’avait pas invitée) qui nous
prédit la mort de la dormante
se perçant la main avec un fu-
seau (un fameux objet, on
verra ça plus tard, le sang, les
menstrues, tout ça). La prin-
cesse n’en mourra pas mais
tombera dans un profond
sommeil de 100 ans au bout
desquels le fils d’un roi vien-
dra la réveiller.

L’attribut courant, mais pas
indispensable, des fées mar-
raines a dans le conte de
Charles Perrault le rôle
de«métamorphoser»Cen-
drillon, de la rendre res-
plendissante pour aller au
bal, mais son pouvoir a
des limites ici, comme le
souligne Ghislaine Chagrot,
spécialiste des contes à la
BNF, et la magie n’opérera
plus après minuit, obligeant
l’ex-souillon à quitter pré-
cipitamment le prince. Si elle
renvoie aussi«au symbolisme
du sceptre, c’est-à-dire l’em-
blème de l’autorité, exécutant
la parole ou les volontés de
sa détentrice»,la baguette
ne donne pas la toute-puis-
sance.

Beau prince.Dans certains
cas, elle peut se donner,
comme dansPeau d’âne.

Sa marraine lui donne une
baguette magique et une
grande cassette pour y met-
tre ses habits, son miroir, ses
bijoux de princesse, qui la
suivra sous terre.
La baguette magique lui per-
mettra de la faire apparaître
quand elle voudra se faire
belle (en se soustrayant à son
père incestueux), ce qu’elle
fera tous les dimanches :
«Et lorsque vous voudrez
l’ouvrir / A peine mon bâton
la Terre aura touchée /
Qu’aussitôt à vos yeux elle
viendra s’offrir.»Difficile
de ne pas voir d’allusion
sexuelle. D’autant que le
beau prince l’identifiera en
regardant par le trou de la
serrure. Et c’est moi qui ai
l’esprit mal tourné?
EMMANUÈLE PEYRET

LUNDILA POMME

Les épines d’aubépine, parfois nuisibles, parfois protectrices.

La bonté cachée


des haies


L


a sorcière n’est pas druidesse, elle
n’ira pas chercher au solstice d’été le
gui sur le chêne, et n’aura ni faucille
d’or ni drap blanc pour le recueillir.
De religion, elle en a peut-être, mais c’est son
affaire. Et c’est moins en forêt qu’elle recher-
che la compagnie des arbres que dans les
haies des bocages. Sorcière des champs, elle
aime l’aubépine, et ses pointes acérées qui
dissuadent les indiscrets de vouloir se glisser
dans son jardin. Aubépine noire, fleurie en
avril, en fin d’hiver, utilisée pour nuire. Une
épine dans un cœur de veau mis à dessécher
dans la cheminée : le rituel vise à retourner à
l’envoyeur un mauvais sort et à le faire mou-
rir, comme se racornit le cœur. Aubépine
blanche, merveilleuse en mai, cascade de
fleurettes qui enchante les chemins, qui fête
le retour de la lumière et du printemps : elle
est protectrice, empêche les mauvais esprits
d’entrer, et tout jardin de sorcière en possède
un pied. Certains disent même que les sorciè-
res aimaient se transformer en aubépine,
épine et fleur à la fois, belle définition.
Le noisetier, ou coudrier, autre plaisir des

haies, a des jeunes pousses d’une mer-
veilleuse droiture, parfaites baguettes magi-
ques, aussi prisées des sourciers pour la sen-
sibilité de ce bois à trouver l’eau. Harry
Potter, sorcier d’entre les sorcières, a préféré
le bois de houx pour sa baguette. Le houx
comme le gui sont verts en hiver et promet-
tent donc la longévité. C’est la théorie des si-
gnatures, fort usitée dans le monde magique,
et auparavant en médecine.«Il faut que les
similitudes enfouies soient visibles à la sur-
face des choses»,explique Paracelse, alchi-
miste, médecin et astrologue du XVIesiècle.
La plante donne à voir la forme de ce qu’elle
soigne, ou du bien qu’elle procure. Le noise-
tier, fruitier abondant et qui pousse sponta-
nément, est le symbole de la fécondité et de
la fidélité : il faut en faire des verges et fouet-
ter le lit conjugal au Vendredi saint pour s’as-
surer d’un an sans punaises et sans cocu-
fiage.
Pourquoi les haies sont-elles des concentra-
tions d’arbres et arbustes sorciers? Elles mar-
quent la limite entre le village, ordonné et ci-
vilisé, et le monde naturel et magique. Une
barrière avec laquelle les sorcières, passeuses
entre mondes des hommes et des esprits,
jouent à saute-mouton.
STÉPHANIE MAURICE
PhotoEMMANUEL PIERROT

Série réalisée avec le concours de Frédéric Dupont,
professeur en ethnobotanique à l’université de Lille,
et Christophe Auray, auteur del’Herbier des paysans,
des guérisseurs et des sorciers (éd. Ouest-France).

LUNDILES AFFAIRES D’AMOUR

MAZETTE, LA BAGUETTE!


Dans la valises
des fées (1/7)
Petite psychanalyse
des objets magiques.
Aujourd’hui,
l’accessoire
indispensable
des marraines
et magiciens.

SÉRIES /SÉRIES / ÉTÉ

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