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Libération Samedi 17 et Dimanche 18 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u IX


mine» – ce qui conduira la Gestapo à
surnommer le réseau «l’arche de Noé».
En 1941, ils sont déjà plusieurs centaines,
ramifiés en zone occupée autant qu’en zone
Sud, disposant de six émetteurs qui officient
sur tout le territoire. Mais les Allemands réus-
sissent à arrêter et à retourner plusieurs
agents, dont la Marseillaise Mathilde Carré,
surnommée «la Chatte», manipulée par Karl
Bömelburg,un des chefs du SD et dont les dé-
nonciations aboutiront à de multiples arresta-
tions. Une première fois, le réseau est décimé
par la police de Vichy et la Gestapo. Loustau-
nau-Lacau est arrêté.
Marie-Madeleine devient alors la seule cheffe
d’Alliance et réussit à reconstituer son organi-
sation. Elle passe en Espagne, reçoit à Madrid
les instructions d’un officier del’Intelligence
Service, Richards, ébahi de voir qu’un de ses
principaux agents en France est une femme.
Elle revient au pays pour reprendre sa tâche,
épaulée parLéon Faye, «Aigle», chef militaire,
officier d’une audace et d’un allant extraordi-
naires. Ensemble, ils coor-
donnent la collecte d’infor-
mations sur les avions
italiens qui doivent rejoin-
dre l’armée de Rommel en-
gagée en Cyrénaïque contre
la huitième armée britanni-
que. Les avions sont inter-
ceptés en Méditerranée et
abattus, laissant Rommel
sans couverture aérienne
solide.
En novembre 1942, alors
que les Alliés s’apprêtent à
débarquer en Afrique du
Nord, Alliance organise l’ex-
filtration du général Giraud,
évadé d’Allemagne. Au La-
vandou, petit port du Var,
les agents de Marie-Made-
leine conduisent le général
prestigieux qui doit rallier
l’armée d’Afrique au sous-
marin anglaisHMS Seraph
en position au large. Soutenu par Roosevelt
et Churchill, Giraud devient le concurrent de
De Gaulle à la tête des Français libres, et le
réseau Alliance, dès lors, se place sous son
égide. Mais Giraud est vite éclipsé par
l’homme du 18 Juin et Alliance se rattachera
au Bureau central de renseignement et d’ac-
tion (BCRA), le service secret gaulliste, tout
en gardant son indépendance d’action et ses
liens avec l’Intelligence Service.Quelques
jours après l’opération, le réseau est une nou-
velle fois trahi. Cette fois, Hérisson et Aigle
sont encerclés dans une villa de Marseille. Ils
avalent les documents sensibles, aidés par un
des policiers français chargés de les arrêter,
qui mastique avec eux les papiers compro-
mettants. Ils sont transférés à la prison de
Castres mais, grâce à la complicité d’un autre
policier vichyste, ils réussissent à s’évader du
fourgon cellulaire qui les transporte.
A Evian où il est incarcéré, Loustaunau-Lacau
s’évade lui aussi, en compagnie du général Co-
chet, dont la fille leur a procuré une longue
corde. Ils sont recueillis par Aigle qui attend
à l’extérieur. Mais le fondateur du réseau est
épuisé et peut-être victime d’une défaillance
morale. Il laisse Marie-Madeleine continuer
seule le combat à la tête d’Alliance. Jusqu’à la
Libération, voyageant en permanence, recons-
tituant patiemment ses réseaux, recrutant
sans relâche, maintenant moral et discipline

en dépit des arrestations, Marie-Madeleine
anime Alliance avec une autorité indiscutée.
Un nouvel agent, Joël Lemoigne (dit «Triton»),
un Alsacien spécialiste des sous-marins, pénè-
tre la base des U-Boote à Keroman et transmet
aux Alliés des rapports complets sur les unités
engagées, leurs itinéraires et leurs équipages.
Le commandement allemand ignorera jusqu’à
la fin de la guerre que les pertes sévères subies
dans l’Atlantique par la flotte de l’amiral Dö-
nitz sont en partie dues aux renseignements
fournis à la Royal Navy par ce réseau com-
mandé par une femme.

Exil en Angleterre
à bord d’un Lysander
Le Débarquement se prépare. Là encore, ce
sont des agents de Marie-Madeleine qui en-
voient à Londres une description précise des
défenses du mur de l’Atlantique. Pendant ce
temps, les arrestations continuent.Fayeest
trahi et incarcéré au QG de la Gestapo avenue
Foch à Paris. Il tente de s’évader en compagnie
d’un agent britannique et d’une opératrice ra-
dio du Special Operations Executive (SOE), la
jeune princesse indienne Noor Inayat Khan.
Ils sont repris sur le trottoir de l’avenue Foch
et envoyés en Allemagne où ils seront exécu-
tés. Sur ordre de ses supérieurs anglais, Marie-
Madeleine se réfugie en Angleterre, transpor-
tée nuitamment par un petit avion Lysander.
A force d’objurgations, elle obtient de retour-
ner en France pour réorganiser une nouvelle
fois ses réseaux. Le 6 juin 1944, elle envoie ce
message à tous ses agents:«Depuis l’aube, les
troupes alliées ont entrepris la grande offen-
sive dont la réussite signifie la délivrance de la
France. Le devoir de tous les agents est de res-
ter ou de se rendre sur les arrières des Boches
[...] discipline, abnégation, loyauté.»Le réseau
Alliance agit dès lors au milieu des défenses
allemandes, en avant des troupes de Patton
qui mènent la reconquête du territoire fran-
çais. Il éclaire aussi l’état-major britannique
sur la nature des armes nouvelles dévelop-
pées par la Wehrmacht, et plus particulière-
ment sur les bases de V1 et de V2 qui cause-
ront tant de souci aux Alliés. Après la
reddition allemande, à la différence de tant
de résistants qui entrent en politique ou se re-
trouvent à la tête de l’administration, Marie-
Madeleine reste la cheffe de réseau qu’elle a
été pendant quatre ans.
Elle part à la recherche des survivants d’Al-
liance dans les camps nazis qu’on vient
d’ouvrir (sur 1500 membres, quelque 450 sont
morts ou disparus) et organise des secours
pour les veuves et les familles des combat-
tants qu’elle a dirigés. Elle a depuis longtemps
abjuré ses convictions d’extrême droite et de-
vient une des figures du mouvement gaul-
liste. En 1958, elle est parmi les plus actives
pour favoriser le retour du Général au pou-
voir, tout en poursuivant ses activités huma-
nitaires et son travail de gardienne de la mé-
moire de la Résistance. Elle devient membre
de la Licra et contribue aux recherches sur le
génocide juif. En 1968, ses souvenirs de
guerre, intitulésl’Arche de Noé,sont un best-
seller qu’elle promeut par de multiples confé-
rences. Elle témoigne au procès Barbie et
s’éteint l’âme en paix le 20 juillet 1989. Fémi-
niste sans le savoir : son parcours démontre
surtout, dans les circonstances les plus
dangereuses, que l’autorité, le courage physi-
que et moral, le sens de l’action et de l’organi-
sation, ne sont pas, à rebours de l’immémo-
riale tradition, l’apanage des hommes.•

«Depuis l’aube,


les troupes alliées


ont entrepris la grande


offensive dont la
réussite signifie

la délivrance de la


France. Le devoir de


tous les agents est de


rester ou de se rendre
sur les arrières des

Boches [...] discipline,


abnégation, loyauté.»
Marie-Madeleine Fourcade,
le 6 juin 1944

tête du réseau Alliance, vers 1940PHOTO AKG-IMAGES


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