liber170819

(Brent) #1

«Je vis avec mes parents dans une maison entourée de
champs et d’une forêt, à l’extrémité d’un village de 400 ha-
bitants. Dans nos champs, l’herbe est désormais jaune à
cause de la canicule alors que, dans le Jura, jamais nous
n’aurions imaginé cela. Les paysans ont été obligés de don-
ner du foin à leurs vaches en été alors que ça sert pour l’hi-
ver, quand il n’y a plus d’herbe. Les vaches n’auront donc
plus rien à manger. Nous sommes dans un système complè-
tement destructeur. Tout ce qui est lié à notre confort abîme
l’environnement, c’est tout sauf durable. Il existe des gestes
écologiques tout simples et pas chers à mettre en place,
comme acheter de la nourriture moins emballée et des pro-
duits locaux, essayer de manger moins de viande, utiliser
du shampoing solide plutôt que liquide dans une bouteille
en plastique.
«Le changement de nos habitudes de consommation n’est
pas réservé aux riches, c’est un cliché. Dans le livre témoi-
gnagel’Homme sans argent,de Mark Boyle, l’ex-homme d’af-
faires réussit à vivre sans argent pendant un an, donc nous
pouvons y arriver avec un petit peu d’argent. Je n’ai pas du
tout envie de renoncer à mon confort mais nous n’avons pas
le choix. Si on ne prend pas des mesures radicales, il y aura
de graves problèmes. C’est la vie avec un grand V qui est en
danger. Plus tard, je ne pourrai peut-être jamais faire d’en-
fants parce qu’il n’y aura plus assez de nourriture sur Terre
à cause de la chaleur. J’ai rejoint Extinction Rebellion, où
nous parlons du plus gros problème que l’humanité ait
connu, à savoir la fin du monde si nous ne faisons rien. C’est
scientifiquement prouvé. Je soutiens totalement Greta Thun-
berg. Sans elle, je n’aurais pas pris conscience de la gravité
de la situation. Ce qu’elle fait, c’est pour nous tous. Elle veut
juste sauver la vie.»


ROMANE, 16 ANSLYCÉENNE.
CHAUX-DES-CROTENAY (JURA)
«LE CHANGEMENT DES HABITUDES
N’EST PAS RÉSERVÉ AUX RICHES»


«Après avoir rencontré mon mari,
ouvrier agricole, j’ai découvert que je
préférais passer du temps à produire
ce dont j’avais besoin plutôt que de
passer du temps à gagner ce qu’il me
fallait pour me le payer. J’ai toujours
votégauche ou extrême gauche,voire
écolo. Mon grand père me disait :“Il
faut savoir des choses pour te faire ton
propre cheminement et comprendre
pourquoi tu défends quelque chose.”
J’ai commencé à lire de la littérature
scientifique sur l’alimentation, sur le
bio. Avec mon mari, nous avons une

ferme où nous produisons une agri-
culture paysanne bio en vente directe
pour nourrir les gens autour de nous
et être nous-mêmes autonomes. J’ai
des vaches élevéessans soja, qui rend
la viande de mauvaise qualité et qui
engendre de la déforestation en Ama-
zonie. Cette année, on n’a vu que deux
merles au lieu des 20 ou 30 qu’ilde-
vrait yavoirdans une ferme comme la
nôtre. C’est dramatique.Enfant, dans
le Vaucluse, il y avait toutl’été plein de
luciolesdans mon jardin. Je n’en ai
revu qu’une seule il y a deux ans. J’ai

eu envie de chialer quand j’ai réalisé
que la dernière que j’avais vue remon-
tait à mes 10 ans. Je pense que les gens
manquent cruellement d’éducation
populaire. J’étais adhérente chez
Greenpeace et Sea Shepherd, et j’ai
commencé à suivre ce que faisait Ex-
tinction Rebellion à Londres. Le mou-
vement est dans une démarche d’ur-
gence basée sur des constats
scientifiques. C’est maintenant qu’on
vit la sixième extinction de masse.»
Recueilli par
RÉMY DESCOUS-CESARI

CAROLE, 41 ANSAGRICULTRICE D’UNE FERME BIO. CHÂTIGNAC (CHARENTE)
«J’AI EU ENVIE DE CHIALER QUAND J’AI RÉALISÉ QUE LA DERNIÈRE LUCIOLE
QUE J’AVAIS VUE REMONTAIT À MES 10 ANS»

«Adolescent, j’ai étémarqué
parSoleil vert,un film d’anti-
cipation qui raconte le ré-
chauffement d’une planète
en train de mourirà cause
de l’activité humaine, à tel
point qu’il n’y a plus rien à
manger. Ce film m’a amené
à me sensibiliser à l’écologie
pour ne pas me retrouver
dans une planète sans res-
source. Je suis père de deux
filles. Après m’être séparé de
ma compagne, une semaine
sur deux je me suis retrouvé
seul et j’ai eu du temps pour
réfléchir. Je me suis posé la
question “Peut-on vraiment
avoir une croissance infinie
dans un monde aux ressour-
ces finies ?”. Evidemment
la réponse est non. J’ai lu
un certain nombre de livres,
j’ai regardé des documentai-
res et je me suis rendu
compte que la destruction
de l’environnement était
plus importante que je le
pensais. A ce rythme-là,
nous allons vers l’effondre-
ment de notre civilisation.
«Avec Extinction Rebellion,
j’anime des conférences


dans lesquelles je démontre
par des faits scientifiques
que nous allons vers l’extinc-
tion du vivant. Par exemple,
60 % des vertébrés ont dis-
paru en quarante ans, un
tiers des oiseaux ont disparu
des campagnes françaises
en quinze ans à cause de
l’activité humaine, des pesti-
cides. Si on continue, les
trois quarts de la planète ne
seront plus habitables par
les humains, sans parler du
reste du vivant.
«Les canicules seront telle-
ment importantes que l’hu-
midité et la chaleur feront
que le corps ne pourra pas
résister. Il y a des parties
entières de continents où
les gens vont soit mourir soit
migrer d’ici quelques
dizaines d’années. Ce qui
me fait extrêmement peur,
c’est que, quand les gens
vont se rendre compte que
le système dans lequel nous
vivons, qui promet toujours
plus de croissance, n’est
pas possible, il risque d’y
avoir des réactions hyper
violentes.»

ÉVÉNEMENT


DAVID, 45 ANSBIOCHIMISTE.
PANTIN (ÎLE-DE-FRANCE)
«SI ON CONTINUE, LES TROIS
QUARTS DE LA PLANÈTE
NE SERONT PLUS HABITABLES»


Des militants réunis
à la Bellevilloise,
à Paris, le 11 août.
PHOTOS DENIS ALLARD

6 u Libération Samedi^17 et Dimanche^18 Août^2019

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