liber170819

(Brent) #1

Y


ann Le Lann est maître de conférences en
sociologie à l’université de Lille et coordi-
nateur de Quantité critique. Depuis un an,
ce collectifétudie le profil des manifestants qui
se joignent aux marches pour le climat pour
mieux comprendre les ressorts de ces
mobilisations qui rassemblent de
plus en plus de monde.

Radicalité
«Dans le mouvement écologiste, elle
renvoie à des dimensions très diver-
ses: celle des actions que l’on sou-
tient, de sa pratique au quotidien ou
des changements politiques que l’on
espère. Pour évaluer ces différentes dimensions,
on utilise des indicateurs de soutien ou de parti-
cipation à des actions qui vont de la signature de

pétitions jusqu’au blocage d’infrastructures pol-
luantes. Cela montre que la participation à des
actions illégales est très minoritaire, mais que le
soutien à des pratiques de blocage est, lui, bien
développé à l’intérieur des mobilisations. Cette
question du rapport à la légalité est importante,
mais il faut la coupler avec d’autres informations
sur les pratiques individuelles de limitation de
la consommation énergétique, le vote ou les atti-
tudes vis-à-vis du système capitaliste. La ques-
tion est moins de savoir qui est radical et qui ne
l’est pas que de saisir comment les différentes
formes de radicalité articulent une réforme des
pratiques de transports ou de consommation
avec des exigences de refonte du système écono-
mique et politique.»

Système et initiatives
individuelles
«La nécessité d’une transition écologiste en rup-
ture avec le mode de fonctionnement capitaliste
est majoritaire dans l’ensemble des mobilisa-
tions que l’on a pu étudier depuis un an. Ce qui
est intéressant, c’est que, parmi les marcheurs
pour le climat, la partie la plus radicaledans la
volonté de changement systémique est aussi
celle qui est la plus engagée au quotidien surles
pratiques individuelles de sélection des produits
et des modes de déplacement. Inversement,
celle qui pense que l’on peut transitionner sans
“changer le système” a des modes de consom-
mation assez classiques. Le paradoxe des mili-
tants les moins radicaux tient donc dans le fait
qu’ils valorisent une transition fondée sur des
initiatives individuelles qu’ils pratiquent moins
que les autres.»

Nouvelles formes de mobilisation
«Nos enquêtes montrent qu’il existe un mouve-
ment, dont la naissance est difficile à dater
mais qui est probablement liée au rapport du
Giec[Groupe d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat]sur les 1,5 °C de
réchauffement[publié en octobre 2018],qui
pense qu’il est indispensable de passer à d’autres
sortes de mobilisations politiques. De plus en
plus de manifestants estiment que les formes
de démocratie doivent être repensées pour faire
face aux enjeux climatiques. Les marches
constituent aussi des points de passage vers
d’autres types d’engagement. Insatisfaits de la
manière dont elles pèsent sur le monde politi-
que, certains manifestants vont rejoindre des
mouvements qui prônent la désobéissance.
On s’attend à ce que ce phénomène augmente
tant que la réponse politique sera inexistante ou
inefficace.»

Jeunes
«Les radicalités se ressemblent beaucoup entre
les différentes générations. On remarque plus
de formes de transmissions intergénération-
nelles que des différences marquées. Des fran-
ges radicales de tous les âges sont présentes
dans les manifestations. Sur les actions de -
désobéissance civile, on voit beaucoup de
jeunes, donc on peut avoir l’impression qu’ils
sont plus radicaux. Mais leur présence s’ex-
plique souvent par le fait qu’ils ont plus de
temps à consacrer à la lutte que leurs aînés et
qu’ils ont moins de responsabilités familiales.
Il ne faut pas voir les jeunes grévistes pour le
climat comme une génération spontanée.
Bien des engagements s’expliquent
par une conscience politique anté-
rieure ou par une expérience fami-
liale des luttes passées. Le mouve-
ment est certes éruptif, mais il est
aussi déterminé par les mobilisa-
tions précédentes, dont les jeunes
ont tiré des leçons. La rhétorique du
“jeunes contre vieux” est un peu en
décalage avec l’aspect décisif des
transmissions intergénérationnelles dans le
mouvement écologiste.»
Recueilli parNELLY DIDELOT

«La désobéissance


augmentera tant que


la réponse politique


sera inexistante»


Pour le sociologue Yann Le Lann,
de plus en plus de militants demandent
une réforme des leviers démocratiques
pour faire face aux enjeux climatiques.

DR

Libération Samedi 17 et Dimanche 18 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u 7

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