SUD OUEST bassin d\'Arcachon du Samedi 17 Août 2019

(Darren Dugan) #1

Agglorama


Samedi 17 août 2019SUD OUEST


Xavier Sota
[email protected]


L


e Macumba, le Pacha, l’Écureuil, le
Sénéchal, le « Lola » (palooza)
puis La Plage... Des boîtes de nuit
régies par des codes hérités du début
des années 1970 et 1980 (lire nos pré-
cédents volets). On y danse sur les mu-
siques du moment, on boit, on
flambe le temps d’une fête. Une nuit
dans son acception grand public :
« L’équivalent des supermarchés de la
danse », expliquait Michel Pétuaud-Lé-
tang, l’un des pères des discothèques
Macumba dont l’appartement té-
moin à Mérignac a essaimé en France
et en Europe. Mais à l’ombre des « gé-
néralistes », il faut compter les adep-
tes du pas de côté, les jaloux de leur
singularité, les tenants d’une musique
plus exigeante, la seule sur laquelle on
esquisse des pas de danse ou des
grands coups d’épaules. C’est au choix.
La face B de Bordeaux a le goût
des caves humides, une certaine
idée de la fureur et l’amour du rock.
Un terroir fertile qui façonne une
identité alternative nourrissant des
débats cornéliens quand les grou-
pes qui sortent du lot élargissent le
cercle des seuls initiés. La ville au fil
de son histoire récente s’est nourrie
d’un certain nombre de lieux pour
écrire une histoire à la marge. Le Ba-
bylone (rue de la Rousselle), le Sa-
lon jaune (rue Cornac). De la même
manière qu’on se bouscule dans les
clubs classiques, cette nuit-là trouve
son peuple et ses figures. Dans cette
histoire du dancefloor, on retiendra
quelques noms clés : le Faucon mal-
tais, le « Perf », le Zoobizarre ou l’in-
contournable Jimmy dont on sau-
ra gré au programmateur [Francis
Vidal, aujourd’hui aux platines d’Al-
lez Les Filles] d’avoir élargi l’horizon
de toute une génération, au-delà du
triptyque guitare, basse, batterie.


Parents et autorités inquiets
Si chacun de ces lieux a écrit une
histoire à part entière, on s’arrêtera
sur celle du Chat bleu. Ce n’est pas
une simple boîte, c’est aussi un lieu
de concert qui livre en creux le récit
sonore de la fin de siècle. Car l’un
des éléments les plus marquants
des années 1990 aura été l’explosion
des musiques électroniques, résu-
mée sous le vocable « techno ». Les
rockeurs, qui façonnent alors leur
propre intégrisme, se pincent le
nez. Or, le Chat bleu aura réussi à
faire le lien entre ces scènes. Elles


ont en commun, à quelques an-
nées d’intervalle, d’inquiéter les pa-
rents comme les autorités.
L’aventure démarre en novem-
bre 1985, sous la direction de
William Renaud, dans un ancien ga-
rage de la rue Maurice. À la variétoche
et aux chorégraphies des Claudet-
tes, le Chat bleu préfère le rock qui
n’a pas les honneurs des hit-para-
des. On jette les bases d’un cocktail
qui fera florès : un bar, une DJ et une
scène pour accueillir les groupes, in-
ternationaux et
même locaux
(Kid Pharaon,
Noir Désir...). Le
lieu émarge au
rang des têtes
chercheuses et
capte toutes les
tendances du
moment sans
intégrisme :
new wave, cold
wave et plus
tard la techno
quand machines et ordinateurs
viennent nourrir les compositions.
Toutes les tribus se croisent et par-
tagent même la piste.

Daft Punk recalé
Bien sûr, le voisinage des Chartrons
peste contre le bruit. Le Chat bleu
va se relocaliser tout au bout des
quais de la Garonne dans l’ancienne
maison des Dockers au sein d’une
ville qui tourne encore le dos à son
fleuve. L’avantage : pas de riverains
grincheux. La salle est deux fois plus
grande que la version un, et peut ac-
cueillir plus de 2 000 personnes. La
soirée inaugurale à l’été 1990 fait
salle comble pour écouter les Blues
Brothers. Suivront Iggy Pop, Nina Si-
mone, les musiciens d’Otis Redding,
Chris Isaac...
En parallèle, les grandes têtes d’af-
fiche de la musique électronique
défilent aux platines. Un chassé-croi-
sé étonnant entre les tendances
musicales du moment. Un seul raté
dans cette lame de fond que sont
les nuits électroniques : un jeune
duo est recalé, ils demandaient un
cachet trop important (500 francs),
c’était les Daft Punk. Pour le reste,
c’est un sans-faute.

BORDEAUX Dans une ville rock, ce lieu


au bout des quais a fait le lien avec


l’émergence de la musique électronique


qui va prospérer loin des clubs


La patte du Chat bleu


Le Chat bleu réussira le tour de force de faire cohabiter rock et
electro. En 1986, manifestation contre une des fermetures. « SO »

Il est curieux de voir comme
l’histoire bégaie. Comme le rock,
perçu à ses prémices comme un
fléau social, la techno est parée
de tous les vices. Forcément, elle
corrompt une jeunesse en la fai-
sant danser. Le 5 mai 1995,
« Sud Ouest » titre : « Le Chat
bleu est mort ». La boîte ne se
remettra pas de la fermeture
administrative (deux fois six
mois) prononcée par la préfec-
ture. Fin d’une histoire singulière.
Quant au paysage de la nuit, il
se recompose. Des clubs de rock
continuent à creuser leur sillon.
Paludate vit son âge d’or. Et les
amateurs des musiques electro
prennent la clé des champs. Les
collectifs itinérants britanniques
de la fin des années 1980, chas-
sés de leurs îles par une régle-
mentation drastique, débar-
quent sur le continent et
inoculent le virus des « free par-
ties ». Le cauchemar des forces
de l’ordre et des communes qui
voient débarquer des hordes de
fêtards. Ils se plantent dans un
champ et crachent leur musi-
que. La Gironde de par sa géo-
graphie en accueillera un bon
nombre. Dans ces « free », tout
est gratuit, on demande une
participation au frais. Une géné-
ration se grise de cette liberté re-
trouvée. Et toujours, on danse.

La fin du félin


HISTOIRE DU DANCEFLOOR


Parce qu’on est en vacances, même les plus rétifs


esquisseront au moins un pas de danse. De tout temps,


l’homme a dansé pour fêter un événement, pour le plaisir


d’être ensemble. Cet été, « Sud Ouest » descend sur la


piste de danse pour raconter son histoire à travers les âges


sud ouest.fr
Retrouvez l’intégralité de notre série
sur l’histoire du dancefloor
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À la variétoche
et aux choré
des Claudettes,
le Chat bleu
préfère le rock
qui n’a pas les
honneurs des
hit-parades

20h

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