Les Echos - 19.08.2019

(avery) #1

16 // ENTREPRISES Lundi 19 août 2019 Les Echos


En quelques années, des véhicules
en libre-service ont envahi les rues
de la capitale, des livreurs à vélo
sillonnent les allées et une paire de
chaussures peut arriver à votre
domicile deux heures après l’avoir
commandée sur Internet. En 2017,
selon une étude du bureau de
recherche 6-t, 95 % des Parisiens
avaient déjà réalisé au moins un
achat en ligne. Conséquence
directe : les livraisons explosent. Ce
sont 200.000 colis issus d’achats en
ligne qui sont livrés chaque jour à
des particuliers parisiens. Un flux
qui atteint 1 million à New York.
Dans ce secteur hyperconcurren-
tiel de la livraison, le maître mot est
la rapidité. 26 % des Parisiens récu-
pèrent leur commande 24 heures
après leur achat. Une livraison quasi
instantanée qui se fait au détriment
de la massification, pourtant essen-


tielle si l’on veut éviter la congestion
urbaine et les émissions de gaz à
effet de serre. « A la mobilité des per-
sonnes [pour faire leurs achats] s’est
ajoutée une nouvelle mobilité profes-
sionnelle, celle des livraisons à domi-
cile , explique Laetitia Dablanc,
directrice de recherche à l’Ifsttar
(l’un des principaux organismes
français de recherche sur la mobi-
lité). Ces dernières génèrent une nou-
velle mobilité routière. La forte
demande des consommateurs pour
des livraisons sans cesse plus rapides
entraîne l’apparition de formats
immobiliers nouveaux : les entrepôts
urbains e t les petits hubs logistiques. »
Pour tenter de réguler ce secteur,
la municipalité parisienne a décidé
d’agir sur ce qui est de son ressort :
le bâti. Son plan local d’urbanisme
(PLU), qui date de 2016, prévoit
la mise en place de hubs urbains,
en identifiant une soixantaine de
parcelles dans lesquelles des servi-
ces de logistique seront préservés,
voire obligatoires. « C’est unique au
monde », précise Laetitia Dablanc.
Du foncier municipal doit égale-
ment être d édié à certains u sages de
logistique. Le meilleur exemple est

le parking Grenier-Saint-Lazare, à
proximité du quartier de l’Horloge,
qui va être transformé en centre de
services e t de s tockage par l a société
d’économie mixte Sogaris.

Optimiser le fameux
« dernier kilomètre »
Autre pratique pour favoriser les
mobilités douces et rapides : rap-
procher les entrepôts du consom-
mateur. « Depuis peu, on assiste à un
“retour au centre” avec des entrepôts
plus petits et innovants, continue
Laetitia Dablanc. On les trouve dans
les départements de la petite cou-
ronne, près du périphérique [UPS à
Charenton], voire dans Paris [DPD à
Chapelle International]. Il y a l’entre-
pôt d’Amazon, 5.000 mètres carrés
sur le boulevard N ey. C’est une “niche”
immobilière en forte croissance. »
L’objectif est de grouper les livrai-
sons pour massifier le flux et opti-
miser le nombre de colis dans le
fameux « dernier kilomètre », très
coûteux pour les entreprises de
logistique. Le Groupe La Poste a,
par exemple, décidé de développer
progressivement une vingtaine
« d’îlots de distribution » dans Paris,

afin de rapprocher les livreurs des
destinataires et permettre une
mobilité douce sur une grande
partie de ses 100.000 colis livrés
quotidiennement dans la ville. Son
service de livraison, Chronopost,
dispose d’ores et déjà de trois espa-
ces de logistique intra-muros (Con-
corde, Beaugrenelle et Bercy).
Un moyen pour eux de réduire
les coûts, les délais de livraison et
leur empreinte carbone.
Quant à Sogaris, qui compte à
son capital la Ville de Paris, les
départements des Hauts-de-Seine,
de la Seine-Saint-Denis et du Val-
de-Marne, ainsi que la Caisse des
Dépôts, il s’est spécialisé il y a trois
ans dans la logistique urbaine. Il a
racheté il y a quelques semaines la
plate-forme de Franprix, installée
sur 84.000 mètres carrés à Chen-
nevières-sur-Marne, à l’est de
Paris. La foncière possède 10 sites,
des grands comme ceux de Rungis,
Créteil ou Roissy, des moyens, à
Stains, et des plus petits, porte de la
Chapelle, à Bercy, à Beaugrenelle, à
Paris, ou tout proche à Vitry-sur-
Seine. Quelque 300 millions seront
investis dans les trois ans. — L. Bi.

Comment Paris organise sa livraison de colis


Deux cent mille achats
effectués par Internet
sont livrés chaque jour dans
la capitale. Ces livraisons
génèrent congestion
urbaine et pollution
atmosphérique.


a mis en place de petits entrepôts
urbains, discrets et intégrés dans
le tissu urbain de la ville. Leur sur-
face moyenne est de 5.000 mètres
carrés, contre 150.000 pour un
gros entrepôt situé en banlieue.
Les tournées des particuliers
n’excèdent que rarement la ving-
taine de kilomètres. Rémunérés à
l’heure, entre 15 et 20 dollars, ces
livreurs amateurs ne bénéficient
d’aucune assurance sociale.

« Forces contraires »
Le service Amazon Flex est déjà
présent dans un grand nombre de
villes américaines, ainsi qu’en
Grande-Bretagne. DoorDash,
entreprise américaine spécialisée
dans la livraison de repas, s’est
positionnée sur ce créneau pour
Walmart, le leader mondial de la
grande distribution. « Pour la
France, c’est plus compliqué. Il y a
des “forces contraires” à l’ubérisa-
tion de la livraison, poursuit Laeti-
tia Dablanc. Certains veulent de la
flexibilité, notamment les jeunes, et
d’autres non. Finalement, tout
dépendra d’Amazon si l’entreprise
souhaite implanter ce service ou
non. Mais je pense qu’elle va être
prudente encore quelques années. »
La livraison en France est une
affaire de professionnels. Sauf si
elle se fait dans le cadre d’un
covoiturage de colis, auquel cas le
législateur accepte ce livreur
amateur, au nom de l’« économie
collaborative ». — L. Bi.

Ils sont plusieurs milliers à se ren-
dre, chaque jour, dans la dizaine
d’entrepôts A mazon d e l’agglomé-
ration de Los Angeles, aux Etats-
Unis. Ouverts 24 heures sur 24, ils
accueillent essentiellement des
femmes au foyer, mais aussi
des étudiants et des actifs aux
revenus modestes. Le principe est
simple : garer son véhicule ou son
fourgon, récupérer des colis et
desservir plusieurs adresses du
quartier en quelques heures. Tous
ou presque s’y rendent pour
arrondir leurs fins de mois. Il leur
suffit d’avoir 21 ans, une situation
régularisée, un casier juridique
vierge, et un permis de conduire
avec leur p ropre véhicule. Si possi-
ble muni d’un coffre volumineux.
« Ce sont généralement des gens
de la “lower middle class” (classe
moyenne inférieure) qui viennent
dans ces entrepôts après s’être ins-
crits sur l’application Amazon
Flex, explique Laetitia Dablanc,
directrice de recherche à l’Ifsttar,
qui a passé plusieurs semaines sur
place. Ce qui m’a frappé, c’est que ce
sont des habitants “d u quartier” :
des Latinos dans le quartier latino,
plutôt des Blancs à West LA, etc. Ils
viennent profiter de quelques heu-
res de libre pour faire un shift. »
Lancé en décembre 2015, le ser-
vice Amazon Flex permet à des
particuliers d’être payés à l’heure
de livraison, une variante supplé-
mentaire du phénomène d’ubéri-
sation. Pour la firme américaine,
l’objectif est de réduire le coût du
fameux « dernier kilomètre »


  • estimé à environ 20 % du coût
    total de la chaîne. Pour optimiser
    la distance livreur-livré, Amazon


Amazon mise sur
les particuliers pour
délivrer ses colis, toujours
plus rapidement, via sa
plate-forme Amazon Flex.

Amazon ubérise


la livraison de colis


tués des magasins et 60 % des
clients du drive. « Pour les utilisa-
teurs actuels comme potentiels, des
frais de livraison moins chers encou-
rageraient l’utilisation du service »,
commentent les analystes d e
Simon-Kucher.

Différents scénarios
Le cabinet précise que 44 % des
urbains seulement accepteraient de
payer la livraison. Ils sont plus nom-
breux à accepter si le prix était infé-
rieur à 5 euros. La solution consiste
donc à incorporer ce prix dans
l’addition totale. C’est ce que propo-
sent les enseignes via un minimum
d’achats. Si le distributeur propose
la gratuité pour un panier de 100 à
150 euros, 20 % de ceux qui hésitent

à se faire livrer franchiraient le pas.
Conclusion de Simon-Kucher :
« Répercuter le coût de la livraison
dans le prix des produits est le plus
vertueux. » Reste à savoir comment
le faire sans paraître trop cher.
L’enquête s’est livrée à un test ins-
tructif. Il a été demandé aux sondés
quelle serait leur réaction dans diffé-
rents scénarios. Pour un panier
moyen, on demande aux acheteurs
comment ils réagiraient si on leur
proposait la livraison à domicile
pour 5 euros. Dans cette hypothèse,
40 % renoncent à la livraison. Ils
sont 54 % si le prix est de 8 euros. En
revanche, si on propose une hausse
de 10 % du prix des produits eux-mê-
mes tout en offrant la livraison, 80 %
disent qu’ils ne changeraient pas la

composition de leurs achats! Le
coût moyen d’une livraison à domi-
cile dans une grande ville est com-
pris entre 15 et 20 euros. C’est cette
somme qu’il faut éclater dans le
ticket final. « Il y a des prix psycholo-
giques », alerte David Vidal, associé
de Simon-Kucher à Paris. « Les
consommateurs font attention à 10 ou
20 prix qu’ils conservent en mémoire,
ceux du Coca-Cola, du Nutella, mais
aussi des produits frais. » Ces étiquet-
tes-là, les enseignes ne peuvent y
toucher. Le jeu va donc consister à
disséminer le coût de la livraison sur
d’autres produits moins compara-
bles. Il peut s’agir de produits locaux
pour lesquels on n’a pas de référen-
tiel. Ou d’articles au prix unitaire
plus élevé, comme les alcools.n

lDans les grandes villes, les consommateurs aiment se faire livrer leurs courses du quotidien.


lReste que beaucoup ne le font pas encore, du fait de la barrière psychologique que constitue le prix de la livraison.


Le prix de la livraison, principal frein

à l’e-commerce alimentaire

Philippe Bertrand
@ Bretra1Philippe


Les habitants des grandes villes sont
séduits par la livraison à domicile de
produits alimentaires. Cependant le
prix de la livraison freine cet engoue-
ment. Les opérateurs s’efforcent
donc de gommer cet irritant. La
meilleure solution consiste à incor-
porer ce coût au prix des produits.
Tel est le principal enseignement
que le cabinet spécialisé Simon-Ku-
cher & Partners dévoile dans une
étude exclusive pour « Les Echos ».
L’enquête, réalisée auprès de
1.400 habitants de grandes agglomé-
rations en avril, souligne l’appétit
pour la livraison à domicile. 63 % de
ces personnes sont « des consomma-
teurs potentiels de la livraison en
ligne
». Les magasins « en dur »
conservent des fidèles. 67 % des
urbains affirment ne faire leurs
courses que dans des supermarchés
ou hypermarchés. Ils veulent voir les
produits ou apprécient tout simple-
ment « l’expérience physique ». Mais,
note Simon Kucher, « la moitié
d’entre eux sont intéressés par la
livraison à domicile de courses en
ligne ».
Ils s’ajoutent donc aux 3 %
qui ne jurent que par la livraison et
aux 30 % qui combinent leurs
achats entre les magasins et le Web.
En France, grâce aux nombreux
« drives », ces points de collecte ins-
tallés près des supers et hypermar-
chés, aller chercher s es commandes
est devenu une habitude, surtout
dans les villes petites et moyennes
dans lesquelles on circule mieux en
voiture. Mais dans les grandes villes,
82 % des adeptes du « click and col-
lect » déclarent envisager la livrai-
son à domicile. Signe de la force de
l’appétence pour la livraison à domi-
cile : les consommateurs attendent
ce service d’enseignes qui ont
pignon sur rue : Monoprix à Paris,
Carrefour, Auchan, et même
E.Leclerc, qui mise pourtant sur le
« drive piéton », des points de retrait
implantés dans les grandes villes.
Parmi tous ceux qui souhaiteraient
se faire l ivrer e t ne le font pas e ncore,
le prix de la livraison représente le
frein principal pour 32 % des habi-


DISTRIBUTION


800

PARTICULIERS
se rendent quotidiennement
dans chaque entrepôt d’Amazon
Flex à Los Angeles.
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