Les Echos - 19.08.2019

(avery) #1
que année, l’agenda de la rentrée
comporte son lot de sujets minés
pour le gouvernement. Celui
d’Edouard Philippe n’y échappe
pas avec un point de vigilance
particulier : avec près de 220 servi-
ces touchés selon le collectif Inter-
Urgences, le mouvement de grèves
dans les hôpitaux ne faiblit pas,
obligeant Agnès Buzyn, la ministre
de la Santé, à revoir sa copie, peut-
être dès ce mardi.
Cinq mois après son début, le
mouvement – récurrent avec la très
forte hausse des fréquentations des
urgences ces dernières années –
peut-il faire tache d’huile? On en
est loin et, d’ailleurs, les appels à la
convergence des luttes ont quasi-

ment disparu. Organisées en ordre
dispersé par les syndicats, les mobi-
lisations d’avant les congés pour
protester contre la réforme de
l’assurance-chômage n’ont pas eu
beaucoup de succès. A l’appel de la
seule CGT, et peu à même de provo-
quer un élan de solidarité, la grève à
Transavia n’a que très peu perturbé
le p lanning d es vols de la filiale à bas
coût d’Air France-KLM vendredi.

Foyers de colère épars
Loin d’un grand soir dans les rues,
le gouvernement devra plus proba-
blement compter avec des foyers de
colère épars, sans lien entre eux
mais qui témoignent d’une tension
latente toujours présente. « On sent
encore de l’électricité dans l’air » ,
confirme Jérôme Fourquet, direc-
teur du département opinion de
l’Ifop, surpris de voir des dégrada-
tions de permanence d’élus LREM
en plein creux estival.
Dans ce contexte, deux étincelles
peuvent faire b asculer les choses. La
première, évidemment, porte sur
le mouvement des « gilets jaunes ».
Il a en partie disparu des écrans
radars. Peut-il repartir? Emmanuel
Macron, lui-même, ne l’exclut pas.
De manière plus prévisible, il y a
aussi la réforme à venir d es r etraites
dans la foulée de la remise du
rapport Delevoye. C’est un sujet à
très haut pouvoir mobilisateur, la

Les sujets à risque sur le front social


Alain Ruello
@AlainRuello


Projet de loi de finances, prépara-
tion de celui sur les retraites, nou-
veau mode de calcul des aides au
logement, sans oublier les entrées
en vigueur des réformes de l’assu-
rance-chômage, du bac ou de la
fonction publique... Comme cha-


Budget, retraites, réforme
de la fonction publique,
urgentistes : les sujets
minés ne manquent pas
pour l’exécutif. Et la
question d’une résurgence
du mouvement des « gilets
jaunes » reste posée.


ANAL YSE


Stéphane Dupont
@ DupontEchos

Trois bonnes semaines au fort
de Brégançon, émaillées de
quelques rares déplacements
officiels : l’été d’Emmanuel
Macron dans le Var a été studieux
et plutôt calme cette année. Pas
d’affaire Benalla, comme l’an
dernier, pour bousculer l’agenda
présidentiel. La démission et le
remplacement de François de
Rugy à la tête du ministère de la
Transition écologique ont été
prestement réglés. Et aucune
autre grosse polémique ne s’est
invitée dans l’actualité depuis la
fin juillet.
Mais rien ne dit que la rentrée
sera aussi tranquille pour le chef
de l’Etat. Emmanuel Macron a,
de l’avis général, relativement
bien réussi la sortie du grand
débat lancé pour répondre au
mouvement des « gilets jaunes ».
Les élections européennes ne se
sont pas trop mal déroulées pour
la majorité fin mai, avec notam-
ment la déroute de la droite répu-
blicaine. Et le chef de l’Etat a
redoré un peu son image, très
dégradée, dans l’opinion.

Cote de confiance
en baisse
Mais ce rebond est en train de
s’essouffler. Après trois mois de
hausse, la cote de confiance
d’Emmanuel Macron a de nou-
veau reculé en août dans notre
baromètre mensuel Elabe, à un
maigre 28 %. Les Français atten-
dent désormais des résultats

Le rebond de la cote de
confiance du chef de l’Etat
dans l’opinion s’est enrayé.
Après les annonces
du printemps, les Français
attendent désormais
des résultats concrets.
Et la colère demeure.

Macron marche sur


des œufs dans un climat


de grande défiance


mier partenaire commercial. Elle
nous achète plus de 70 milliards
d’euros de biens par an. Une chute
du moral des chefs d’entreprises se
propagerait alors à l’investissement,
aujourd’hui encore dynamique.
Même si les taux d’intérêt sont
très bas, cela ne constitue pas une
assurance tout risque. « Nous
tablons sur une croissance très
modérée et les risques sont essentiel-
lement à la baisse. Il y a désormais de
fortes chances que la croissance soit
plus basse que celle espérée par le
gouvernement au printemps der-
nier » , avance Hélène Baudchon.
Les ministres peuvent croiser les
doigts en espérant que l’économie
mondiale ne flanche pas.n

Guillaume de Calignon
@gcalignon


Après trois semaines de vacances,
les ministres doivent revenir à Paris
dès ce lundi. Au programme, des
déplacements pour certains,
comme le ministre du Budget,
Gérald Darmanin. Mais pour la
majorité d’entre e ux, la rentrée aura
réellement lieu mercredi prochain,
lors du Conseil des ministres. Ils se
retrouveront dans un climat tendu.
D’abord parce que les ministres
ont bien conscience que la révolte
des « gilets jaunes » pourrait repar-
tir, sous cette forme ou une
autre. Les multiples permanences
de députés de la majorité vandali-
sées cet été sont venues le rappeler.
Le « grand débat » n’a pas tout réglé
et, pour une certaine catégorie de la
population, la colère est toujours là.
Le risque de nouvel embrasement
est d’autant plus présent que, dès les
5 et 6 septembre, le Premier ministre
et la ministre de la Santé recevront
les partenaires sociaux pour discu-
ter de la réforme des retraites, un
dossier difficile. D’où les paroles
d’Emmanuel Macron, lors ce week-
end, à Bormes-les-Mimosas. Le pré-
sident de la République a beaucoup
insisté sur l’urgence de « réconcilier
les Français qui s’opposent »
.
Ensuite, les ministres
auront dans le viseur, le budget
2020 qui sera présenté fin septem-
bre. Avec un o bjectif affiché a u prin-
temps dernier d’arriver à un déficit
de 2,1 % du PIB l’an prochain. Mais
l’été a tout changé. Sur le plan éco-


CONJONCTURE


nomique, c’est désormais le
brouillard le plus complet.
Difficile en effet de prédire com-
ment vont évoluer la guerre com-
merciale entre les Etats-Unis et la
Chine qui dégénère en guerre des
monnaies, la crise à Hong Kong,
l’arrivée de Boris Johnson à la tête
du Royaume-Uni qui renforce la
probabilité d’un Brexit dur fin octo-
bre, l’économie allemande qui sem-
ble filer t out droit vers la récession...
Pour Bercy, l’exercice consistant
à prévoir l’activité économique en
France l’an prochain pour élaborer
le budget 2020 est donc particuliè-
rement périlleux. La prévision de
croissance du gouvernement de
1,4 % l’an prochain est de plus en
plus sous pression. Les économis-
tes prévoient d’ailleurs en moyenne
une hausse du PIB de 1,2 % en 202 0.
L’économie française a tout de
même un avantage dans ce contexte.
Elle dépend moins du commerce
international que les autres et elle a
donc mieux passé le printemps que

ses grands voisins, Allemagne ou Ita-
lie, grâce notamment à la consom-
mation des ménages. Les mesures
post - « gilets jaunes » de 10 milliards
d’euros pour stimuler le pouvoir
d’achat y sont pour quelque chose.
« En soutenant la demande inté-
rieure, la politique économique fran-
çaise limite les risques. Cela semble
fonctionner puisque le marché du
travail est résilient. Les créations
d’emplois continuent à être impor-
tantes et ce dynamisme crée les con-
di tions d’une certaine autonomie de
la croissance » , explique Philippe
Waechter, chef économiste chez
Ostrum Asset Management.

Les exportations
sous surveillance
La question est de savoir jusqu’à
quand la croissance française va
tenir face aux vents contraires?
« Avec des gains en emplois, une sti-
mulation f iscale, un a paisement de la
crise sociale, la demande intérieure
française n’est pas en danger à court
terme » , répond Bruno Cavalier, chef
économiste d’Oddo BHF. Jusqu’à
présent, les gains de pouvoir d’achat
n’ont pas été entièrement dépensés
par les ménages. Ils ont été en partie
épargnés. Or, « il n’y a pas de raison
objective à ce que le taux d’épargne
reste à de tels niveaux, d’autant que le
chômage continue à baisser et que la
confiance des ménages s’est redressée
depuis le début de l’année » , juge
Hélène Baudchon, économiste chez
BNP Paribas.
Si l’économie française cale, cela
arrivera probablement par les
exportations. Le PIB de l’Allemagne
a chuté au deuxième trimestre de
0,1 %. Or l’Allemagne est notre pre-

lEn moyenne, les économistes tablent désormais


sur une croissance de 1,2 % l’an prochain.


lLa guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis,


le Brexit et la probable récession allemande ne facilitent


pas l’élaboration du budget 2020.


Croissance : une


rentrée sous le signe


de l’incertitude


« Il y a désormais
de fortes chances
que la croissance
soit plus basse
que celle espérée
par le
gouvernement
au printemps
dernier. »
HÉLÈNE BAUDCHON
Economiste chez BNP Paribas

concrets après les annonces pré-
sidentielles du printemps.
L’action de l’exécutif en faveur
de l’environnement les laisse
sceptiques pour le moment. Et la
vigilance est de mise sur la ques-
tion du pouvoir d’achat. La dimi-
nution pour la deuxième année
de s uite de la taxe d’habitation e t le
vote dans le projet de loi de finan-
ces d’une baisse de 5 milliards de
l’impôt sur le revenu à l’automne
devraient convaincre, espère-t-on
au gouvernement. Tout comme
le reflux continu du chômage.

Mais la défiance reste très
importante. Et le climat social
demeure hautement inflamma-
ble. Emmanuel Macron l’a
reconnu lui-même en arrivant à
Brégançon. « Je n e crois p as du t out
que ce qui a, à un moment donné,
créé la colère sincère d’une partie de
la population soit derrière nous » ,
a-t-il déclaré. « Il y a une aspiration
à un sens profond dans notre pays
et on ne l’a pas encore trouvé » , a
admis l’hôte de l’Elysée, qui s’est
dit « vigilant » et « à la tâche ».
Les permanences des députés
de la majorité vandalisées ces
dernières semaines et la grève
aux urgences hospitalières sont
notamment venues lui rappeler,
si besoin était, que les mouve-
ments de protestation spontanés
et parfois violents, qui ont agité le
pays tout l’hiver, n’ont pas disparu
à la faveur des vacances.n

L’action de l’exécutif
en faveur
de l’environnement
laisse les Français
sceptiques
pour le moment.

réforme étant censée fondre la
quarantaine de régimes en vigueur
en un seul basé sur un système à
points. Le gouvernement a déminé
le terrain en abandonnant tout tour
de vis à court terme pour redresser
les comptes. Edouard Philippe
engagera, par ailleurs, une nouvelle
phase de concertation avec les syn-
dicats début septembre.

Si la CFDT a mesuré sa réaction,
FO et CGT sont vent debout devant
ce qui s’y dessine et appellent à une
mobilisation les 21 et 24 septembre,
respectivement. Un point les ras-
semble dans leur opposition, l’ins-
tauration d’un âge pivot de départ à
la retraite à 64 ans correspondant
en fait à un âge d’équilibre du futur
régime. Les Français, d’ailleurs,
commencent à s’inquiéter de la
volonté du chef de l’Etat de faire
en sorte qu’ils travaillent plus...n

Avec près de
220 services touchés
selon le collectif
Inter-Urgences,
le mouvement
de grève
dans les hôpitaux
ne faiblit pas.

FRANCE


Lundi 19 août 2019 Les Echos

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