Les Echos - 19.08.2019

(avery) #1

Les Echos Lundi 19 août 2019 MONDE// 05


DIPLOMATIE


Be njamin Quenelle
— Correspondant à Moscou


Au fort de Brégançon, où Emma-
nuel Macron reçoit ce lundi Vladi-
mir Poutine, l’Elysée veut lancer
« une vraie dynamique de réchauffe-
ment »
. A la veille de la « rencontre
de travail »
avec le chef du Kremlin,
cette source proche de l’ambassade
de France à Moscou rappelle les ini-
tiatives prises par Paris en vue de ce
rapprochement depuis le début de
l’été : la France a œuvré pour le
retour de la Russie au Conseil de
l’Europe ; les Premiers ministres,
Edouard Philippe et Dimitri Medve-
dev, se sont rencontrés au Havre le
24 juin ; Emmanuel Macron a envi-
sagé un déplacement à Sotchi, la
résidence du président russe. En
septembre, les quatre ministres
des Affaires étrangères et de la
Défense devraient aussi se retrou-
ver à Moscou. Une première depuis
l’annexion russe de la Crimée en
2014 et le début de la crise ukrai-
nienne.


Paris, interlocuteur central
Les deux présidents s’entretien-
dront cinq jours avant le G7 de Biar-
ritz, la cité basque où, par le passé, la
famille Poutine aimait passer ses
vacances, mais o ù le chef du
Kremlin ne sera pas invité ce week-
end. Depuis l’annexion de la Cri-
mée, la Russie est exclue des réu-
nions du G8 redevenu G7. Vladimir
Poutine, qui s’était rendu à Rome le
mois dernier, n’a, depuis, guère
voyagé en Europe. Après le fort de
Brégançon, il se rendra mercredi à
Helsinki, la Finlande assurant la
présidence de l’UE. Chacune de ces
visites est largement utilisée à
Moscou pour montrer q ue le
Kremlin n’est pas isolé sur la scène
internationale.
« Pour Poutine, Macron est u n bon
interlocuteur pour parler des dos-
siers du G7 sur lesquels la Russie
pèse : Syrie, Iran, commerce... et
Ukraine! »
, assure Andreï Kortou-
nov, directeur du think tank Rus-
sian Affairs Council à Moscou. « Les
circonstances font que Macron est
aujourd’hui son meilleur, voire son
seul interlocuteur en Europe
, expli-
que-t-il. Le rôle de la chancelière alle-
mande Angela Merkel, sur le départ,
est déjà déclinant. Le nouveau Pre-
mier ministre britannique, Boris


téléphonique « d’urgence » ,
d’influer sur les séparatistes pro-
russes de l’est de l’Ukraine pour
faire cesser une escalade des com-
bats marquée par la mort de qua-
tre soldats ukrainiens. Les sépara-
tistes, soutenus en sous-main par
des forces russes, tiennent la
majorité de la région du Dombass
depuis le début du conflit déclen-
ché à la suite de l’annexion de la
Crimée par le Kremlin en 2014. Un
conflit qui a fait 13.000 morts.
Volodymyr Zelensky a ensuite
appelé le président Macron et
déclaré qu’il voulait aussi parler à
la chancelière allemande Angela
Merkel pour organiser une « ren-
contre urgente ». « Nous intensi-
fions nos efforts sur la question de
l’Ukraine, notamment dans le
cadre du format Normandie » réu-
nissant Russie, Ukraine, France et
Allemagne, car « l’élection du pré-
sident Zelensky nous donne des
marges » , a expliqué l’Elysée. Des
marges pas énormes toutefois, au
vu du degré de défiance entre

Yves Bourdillon
@ yvesbourdillon


En quête d’apaisement. Emma-
nuel Macron espère que Vladimir
Poutine répondra « de manière
encourageante »
aux récentes
ouvertures du nouveau président
ukrainien, Volodymyr Zelensky, a
déclaré, mardi, la présidence fran-
çaise. Le sujet, e n tout cas, figurera
en bonne place au menu des
échanges entre le président fran-
çais et son homologue russe, ce
lundi à Brégançon. Volodymyr
Zelensky a indiqué la semaine der-
nière avoir demandé à Vladimir
Poutine, lors d’une conversation


L’ Elysée a appelé
Vladimir Poutine
à répondre de manière
encourageante aux récents
signes de bonne volonté
du nouveau
président ukrainien.
Mais la situation reste
tendue sur la ligne de front.


« Les
circonstances
font que Macron
est aujourd’hui
le meilleur,
voire le seul
interlocuteur
de Poutine
en Europe. »
ANDREÏ KORTOUNOV
Directeur du think tank
Russian Council à Moscou

étrangères, Ane Lone Bagger,
a démenti l’information.
« Nous sommes ouverts à des
affaires mais nous ne sommes
pas à vendre » a-t-elle apos-
trophé. Ni le Danemark ni le
Premier ministre groenlan-
dais n’ont souhaité s’expri-
mer sur le sujet. Le sort de l’île
polaire f igurera en tout cas au
menu des sujets abordés en
septembre, lors d’une ren-
contre prévue entre Donald
Trump et les autorités danoi-
ses et groenlandaises.
Les Etats-Unis sont pour-
tant déjà présents au Groen-
land. Depuis 1941, ils y possè-
dent la base militaire de
Thulé, dans le nord de l’île,
dans le cadre des accords de
l’Otan. Située à 750 miles du
cercle arctique (environ
1.200 kilomètres), la base
inclut une station radar anti-
missiles. Le site est également
occupé par les forces spatia-
les américaines et la défense
aérospatiale de l’Amérique
du Nord (avec le Canada). En
2018, les Etats-Unis avaient
par ailleurs réussi à empê-
cher la Chine de financer t rois
aéroports sur l’île.

Fonte des glaces
Ce n’est pas la première fois que
les Etats-Unis évoquent l’acqui-
sition de l’île. En 1867, le minis-
tère des Affaires étrangères
avait déjà proposé une offre
pour l’achat du Groenland et de
l’Islande. Offre réitérée unique-
ment pour le Groenland en
1946 par le président Harry
Truman pour 100 millions de
dollars. Les deux propositions
successives avaient essuyé des
refus du Danemark.
A hauteur de 591 millions de
dollars, soit 60 % de son budget
annuel, le Groenland est tou-
jours dépendant du Danemark,
selon des statistiques danoises
et américaines. L’île subit de
plus la fonte des glaces qui a été
multipliée par quatre
entre 2003 et 2013.n

Corentin Nicolas
@ CorentinNcl

Et si les Etats-Unis devenaient
les n ouveaux maîtres d e l’Arcti-
que? Cette a mbition de Donald
Trump est loin d’être une plai-
santerie. Selon des conseillers
du président américain, l’idée
de racheter le territoire
du Groenland, actuelle posses-
sion du royaume du Danemark
de 56.000 habitants, serait
devenue récurrente dans les
discussions.
Si certains de ses conseillers
y voient une facétie de Donald
Trump, d’autres prennent le
sujet très au sérieux, comme
l’évoque le « Wall Street Jour-
nal ». Le territoire de
2.166 millions km² – grand
comme quatre fois la France –,
a une position stratégique en
Arctique et en Atlantique
Nord, qui intéresse tout parti-
culièrement les Américains.
Sur Twitter, la ministre
groenlandaise des Affaires

INTERNATIONAL


Le président
américain aurait
jeté son dévolu
sur le Groenland.

Ce territoire
autonome
du Danemark,
apporterait
des champs
d’hydrocarbures
aux Etats-Unis.

Trump envisage


d’acheter


le Groenland


au Danemark


Moscou et Kiev. Certes, en signe de
bonne volonté, Volodymyr
Zelenksy a fait reculer certaines
de ses unités autour du village de
Stanytsia Louganska, unique
point de passage entre les territoi-
res tenus par les loyalistes et ceux
tenus par les séparatistes. Mais
rien n’est venu en retour d u côté de
Moscou.

Bataille de passeports
Le président ukrainien, qui plaide
de manière incongrue pour une
médiation de Donald Trump dans
son bras de fer avec Vladimir Pou-
tine, sait aussi souffler le chaud et

La date


2014
Le début du conflit ukrainien
déclenché à la suite de l’annexion
de la Crimée par le Kremlin.

en bref


Russie : à peine libéré, un leader
de l’opposition de nouveau arrêté

DROITS HUMAINS Un meneur de l’opposition, Ilia Iachine, a été
interpellé dimanche à Moscou quelques instants après sa sortie
d’une prison où il venait de passer trois semaines. Arrêté le
27 juillet avant une journée de manifestation, Ilia Iachine avait
été condamné, comme d’autres, à une courte peine d’emprison-
nement (dix jours) pour « appels à des manifestations non autori-
sées ». Au lieu d’être libéré le 8 août, il avait été conduit ce jour-là
à un tribunal et condamné à dix jours de détention supplémentai-
res pour une autre manifestation. Un mouvement de contesta-
tion électorale a éclaté mi-juillet après le rejet de l’enregistrement
de candidats à l’élection du Parlement de Moscou, prévue le
8 septembre. Ilia Iachine fait lui-même partie des politiciens
exclus du scrutin. La répression a conduit à 3.000 interpellations.
N’ayant pas eu l’autorisation de manifester ce samedi, des dizai-
nes de militants d’opposition ont manifesté « en solitaire », pan-
cartes à la main, comme le permet la loi russe.

L’ Islande commémore la première
disparition d’un glacier

CLIMAT C’est une première dans le monde : l’Islande a dévoilé
dimanche une plaque à la mémoire de l’Okjökull, premier glacier
de l’île à avoir perdu son statut, englouti par le réchauffement cli-
matique. La plaque c ommémorative a été inaugurée s ur le site de
l’ancien Okjökull (littéralement « glacier Ok » en islandais), dans
l’ouest de l’île, en présence de la Première ministre islandaise
Katrin Jakobsdottir et de l’ancienne commissaire des Nations
unies aux droits de l’Homme, Mary Robinson. Avec cette plaque
en lettres d’or titrée en islandais et en anglais « Une lettre pour
l’avenir », les chercheurs espèrent sensibiliser la population face
aux effets du changement climatique.

lLe président français accueille le chef du Kremlin pour évoquer les dossiers


chauds du sommet de Biarritz où la Russie ne sera pas présente.


lMais aussi pour relancer une relation bilatérale à la peine depuis 2014.


A Brégançon, Poutine espère


influer sur le G7 grâce à Macron


le froid. Il a signé mardi un décret
simplifiant l’octroi de la nationa-
lité ukrainienne aux Russes « per-
sécutés » dans leur pays en raison
de leurs opinions politiques.
Il est vrai que Vladimir Poutine
avait facilité par décret en mai der-
nier l’octroi de la nationalité russe
aux habitants des régions sépara-
tistes, une mesure très critiquée
par les pays occidentaux. Le prési-
dent ukrainien avait ironisé :
« Nous savons parfaitement ce
qu’offre un passeport russe, le droit
d’être arrêté pour une manifesta-
tion pacifique et de ne pas avoir
d’élections libres. »
Une déclaration qui n’empêche
pas les analystes ukrainiens d’être
partagés sur le positionnement du
nouveau président vis-à-vis du
Kremlin. Volodymyr Zelensky a pro-
mis de régler en priorité le conflit
dans l’est et s’est e ntouré notamment
d’anciens cadres du régime du prési-
dent pro-russe Viktor Ianoukovitch
débarqué e n 2014 par une révolution
pro-européenne...n

Paris veut jouer l’apaisement entre Kiev et Moscou


Jo hnson, ne peut guère parler au
nom de l’Europe. Quant à l’Italie, le
Kremlin se sent proche de ses gouver-
nants eurosceptiques mais, au-delà
même de l’actuelle crise politique à
Rome, i ls n’ont p as d e réelle
influence. Macron, donc, s’impose au
Kremlin! »

Circonspection
des milieux d’affaires
« On n’est pas à l’abri de nouvelles
crises. Mais le sommet de Brégançon
pourrait marquer un tournant » ,
ajoute un diplomate français à Mos-
cou. Les milieux d’affaires français
en Russie se réjouissent notam-
ment de la libération, jeudi dernier,
de Philippe D elpal après six mois d e
prison. L e banquier français
emporté par l’affaire Baring Vostok,

toujours poursuivi pour fraude et
désormais assigné à résidence,
clame son innocence.
Cette affaire aux allures de règle-
ment de comptes à la russe a été
un vrai coup de semonce sur le cli-
mat d’investissement. « Au moins
trois entreprises françaises pré-
voyant de s’installer en Russie ont
pris peur et annulé le projet et sont
allées vers d es pays plus sûrs » , confie
un intermédiaire d’investisseurs
français à Moscou. « La libération
de Delpal est donc un immense sou-
lagement! Nous sommes confiants
dans l’issue de ces poursuites. Ce pre-
mier pas est un signal fort à la veille
de la rencontre de Brégançon » , a
déclaré Pavel Chinsky, directeur de
la Chambre de commerce franco-
russe.n

Le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue français, Emmanuel Macron,
se sont rencontrés à Osaka, fin juin. Photo Mikhail Klimentyev/AFP

LE TWEET
« Nous sommes ouverts
à des affaires mais nous
ne sommes pas à vendre. »
La ministre groenlandaise
des Affaires étrangères,
Ane Lone Bagger
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