Les Echos - 19.08.2019

(avery) #1

LE POINT
DE VUE


de Matthieu Glachant


L’effet pervers


des subventions


à l’environnement


D


ans un contexte de défiance
vis-à-vis de la fiscalité écologi-
que, l’option consistant à sub-
ventionner les solutions permettant de
réduire la pollution a aujourd’hui le
vent en poupe. La subvention environ-
nementale est pourtant un instrument
délicat à manier qui peut paradoxale-
ment augmenter la pollution. Son
principe consiste à augmenter la ren-
tabilité é conomique d e solutions susci-
tant moins de dommages à l’environ-
nement que d’autres solutions : le
recyclage des déchets plutôt que la
mise en décharge, le véhicule électri-
que plutôt que le véhicule à moteur
thermique...
Or, si le recyclage pollue moins que
la mise en décharge, il reste qu’il pol-
lue. Il nécessite en effet de transporter
les matières et de les incorporer dans
des processus industriels polluants.
Même chose pour le véhicule électri-
que. Il consomme de l’électricité pro-
duite en partie par des moyens qui
génèrent des dommages environne-
mentaux. Sa batterie utilise des terres
rares que personne, sauf les Chinois et
quelques pays en développement, ne
tient à produire sur son territoire telle-
ment leur extraction et leur traitement
sont polluants.
Pas de problème si les options non
subventionnées polluent plus. Mais
c’est justement là que le bât blesse. Au
lieu de recycler les déchets, on peut évi-
ter de les produire e n consommant d es
produits moins emballés et éco-con-
çus. Au lieu d’acheter un véhicule élec-


en 2009. Une étude très sérieuse de
Xavier D’Haultfœuille, Pauline Givord
et Xavier B outin parue dans « The Eco-
nomic Journal » montre que la mise en
place de ce système a en fait augmenter
les émissions de carbone des véhicules
particuliers de 1,2 % en quelques mois
par rapport au scénario de référence
sans bonus-malus. Elles auraient
même augmenté de plus de 9 % à long
terme si le système n’avait pas été
réformé. Pourquoi? L’e ffet vertueux
sur la composition de la flotte automo-
bile, des véhicules « bonussés » se
substituant à des véhicules « malus-
sés », a été plus que compensé par
l’augmentation des ventes et, donc, par
la croissance du parc automobile, sur
un marché dopé par l’injection
d’argent public. Une option restait en
effet non subventionnée : ne pas ache-
ter de voiture.
Nous vivons dans un pays qui tend à
juger l’ambition d’une politique publi-
que à l’aune de la somme d’argent
public qui y est consacré. Cette posture
est dangereuse pour l’environnement
car des subventions mal conçues peu-
vent avoir un effet inverse de celui
attendu. Il ne s’agit pas ici de disquali-
fier totalement la subvention environ-
nementale mais de l’utiliser avec pré-
caution et dans des domaines, tel le
soutien à l’innovation, dans lesquels
ses effets pervers sont limités.

Matthieu Glachant est économiste
de l’environnement et professeur
à Mines ParisTech.

trique qui risque d’être utilisé intensi-
vement puisque le « plein »
d’électricité est moins cher, on peut
réduire le kilométrage parcouru en
choisissant ses destinations de vacan-
ces ou en raccourcissant la distance
entre son lieu de travail et son loge-
ment.
Ces stratégies de prévention ou de
réduction à la source de la pollution
restent le plus souvent non subven-
tionnées car difficilement « subven-
tionnables ». Il s’agit en effet de payer
un ménage ou une entreprise pour
qu’il ou elle ne fasse rien. Une contre-
partie de subvention difficile à mesu-
rer.

Pour montrer que l’argument n’est
pas que théorique, prenons l’exemple
du bonus-malus automobile. En 2008,
le gouvernement de Nicolas Sarkozy
lance un système combinant une sub-
vention à l’achat de véhicules neufs
émettant peu de carbone par kilomè-
tre avec une taxe sur les modèles plus
polluants. Dans la pratique, cela con-
duit à une subvention massive du mar-
ché automobile puisque le coût budgé-
taire des bonus dépasse largement les
recettes des malus. Le dispositif est
ainsi en déficit de 500 millions d’euros

Au lieu d’inciter
à recycler les déchets,
mieux vaut éviter
de les produire.

LE POINT
DE VUE


de Didier G. Martin
et Dimitri Dimitrov


Du devoir


de communiquer


avec vigilance


U


ne politique de responsabilité
sociétale des entreprises (RSE)
ambitieuse permet à une orga-
nisation d ’accroître son a ttractivité vis-
à-vis de ses parties prenantes, en parti-
culier de ses clients. Les entreprises
font de plus en plus souvent figurer
dans leur communication publique
leurs engagements et résultats en la
matière, même quand elles ne sont pas
tenues juridiquement de le faire.
La presse s’est récemment fait l’écho
de la mise en examen de Samsung
France, suspectée de ne pas respecter
dans ses usines asiatiques les engage-
ments éthiques qu’elle affiche, sur le
fondement de pratiques commercia-
les trompeuses, sanctionnées pénale-
ment par le Code de la consommation.
Même si cette mise en examen ne pré-
juge en r ien de la solution qui sera rete-
nue au fond, cette « première » doit
conduire les entreprises à la prudence
dans leur communication publique.
La suite qui sera donnée à cette
affaire dira en effet s’il existe juridique-
ment un « devoir de communiquer
avec vigilance » sur sa RSE, notam-
ment vis-à-vis des consommateurs. Ce
devoir viendrait a lors s ’ajouter, comme
source de responsabilité liée à la RSE,
aux obligations prévues notamment
par la « loi Sapin II » sur le devoir de
vigilance, la RGPD et, le cas échéant, le
nouvel alinéa de l’article 1.833 du Code
civil selon la portée que lui donnera la
jurisprudence. Pour les sociétés
cotées, cette exigence pourrait aussi


conditions de fabrication d’un produit.
Si elle suppose habituellement l’emploi
de documentation commerciale ou
publicitaire par l'« annonceur », on ne
peut e xclure que la notion d ’« annonce »
puisse être comprise de manière très
large en fonction du contexte, et qu’elle
puisse recouvrir par exemple un docu-
ment de référence ou un site internet
dès lors que sa lecture est susceptible
d’altérer le consentement du consom-
mateur au moment de l’achat.
En amont de toute communication
publique, y compris relative à leur pra-
tique RSE, les entreprises devraient
donc s’interroger sur l’impact que peut
éventuellement avoir une telle com-
munication sur la décision d’achat en
fonction du contexte dans lequel elle
est faite et du support utilisé et de
s’assurer alors de sa conformité avec
les e xigences du code de la consomma-
tion. Les engagements affichés par les
entreprises au titre de leur pratique
RSE sont de plus en plus susceptibles
d’être pris en compte par les consom-
mateurs. Le devoir de communiquer
avec vigilance va donc de pair avec
l’évolution des habitudes de consom-
mation. Les entreprises d evraient anti-
ciper et s’adapter face aux attentes
grandissantes en matière de consom-
mation « responsable ».

Didier G. Martin et Dimitri Dimitrov
sont associés au cabinet d’avocats
d’affaires international Gide Loyrette
Nouel.

être sanctionnée au regard des règles
sur la communication financière. La
qualification de pratiques commercia-
les trompeuses suppose notamment
que des allégations fausses ou de
nature à induire un consommateur en
erreur soient portées sur des qualités
essentielles d’un produit, sur les quali-
tés d’un professionnel ou encore sur la
portée des engagements annoncés par
un professionnel.

Les tribunaux ont déjà sanctionné
des allégations environnementales
(produit présenté comme « biodégra-
dable » ou « écologique ») ou r elatives a u
circuit d’approvisionnement des pro-
duits (produits labellisés). Cette qualifi-
cation a également été retenue à
l’encontre d’annonceurs prétendant à
tort respecter des normes volontaires
ou un code de bonne conduite au sein
d’une association professionnelle. Il est
concevable qu’elle puisse également
s’appliquer à une affirmation sur le res-
pect de certains principes quant aux

La presse s’est fait l’écho
de la mise en examen
de Samsung France.

La société est suspectée
de ne pas respecter
les engagements
éthiques qu’elle affiche.

Wo odstock 1969 : trop tard pour


Creedence Clearwater Revival


Creedence Clearwater Revival est un des groupes phares du rock américain
des années 1960. Photo Rue des Archives/BCA

Le groupe était l’une des
principales têtes d’affiche
de Woodstock. Il avait
même obtenu l’un des plus
gros cachets (10.000 dol-
lars) et ce qui semblait


  • avant l’événement – le
    meilleur créneau, celui du samedi soir, en
    plein milieu du festival. Il est vrai qu’à l’épo-
    que Creedence Clearwater Revival, célèbre
    notamment pour son « Bad Moon Rising »,
    est considéré comme l’une des formations
    majeures du rock américain, celle qui vend
    le plus de disques et déclenche l’hystérie du
    public. « Quand nous avons joué là-bas,
    j’avais l’impression qu’on était le groupe
    numéro un. Les Beatles étaient des dieux et
    nous, nous étions juste derrière eux. »

    L’auteur – très sûr de lui – de ces mots d éfini-
    tifs est John Fogerty, l e leader, chanteur, gui-
    tariste, compositeur et manager de CCR

  • une omnipotence q ui lui attirera quelques
    soucis et contribuera à faire exploser son
    groupe.
    A Woodstock, Fogerty et ses trois acoly-
    tes vont tomber de haut. D’abord parce que
    le créneau privilégié qui leur avait été attri-
    bué a explosé en vol, sous l’effet du long, très
    long set qu’a donné juste avant eux le Grate-
    ful Dead, le groupe chéri des hippies et le
    symbole du rock psychédélique de San
    Francisco. Cette scène-là, CCR s’en est tou-
    jours senti exclu, alors qu’ils viennent
    d’Oakland, de l’autre côté de la baie. « Je n’ai


jamais compris pourquoi
nous é tions considérés
comme des outsiders dans
notre propre ville » , se
lamente Fogerty.

Set impeccable
Bien après minuit, quand les Creedence
montent sur scène, ils se retrouvent face à
ce que Fogerty décrira comme « des rangées
de corps couchés, recroquevillés, emmêlés les
uns aux autres, trempés dans la gadoue, tous
en train de dormir ». Les quatre musiciens
font le job, alignent leurs tubes au cours
d’un set impeccable d’une heure et 11 mor-
ceaux, de « Born on the Bayou » à
« Suzie Q ». Ces pros savent tenir une scène
et sont à leur sommet. Mais, malgré son
rock énergique, mêlé de blues, de country
et d’autres ingrédients, CCR ne parviendra
pas à réveiller la Woodstock nation, assom-
mée de sommeil et par les substances con-
sommées.
Peu satisfait de sa prestation, Creedence
avait refusé d’apparaître dans le documen-
taire Woodstock en 1970 – et dans l’album
de la BO. On retrouve cependant deux mor-
ceaux sur l’excellente compilation
« Woodstock 50th » (Rhino, 3 CD) en atten-
dant la sortie fin août d’un album live repre-
nant l’intégral de leur concert. Pour rendre
enfin justice à une vraie performance pas-
sée inaperçue dans le grand maelström
woodstockien. — François Bourboulon

SÉRIE WOODSTOCK 5/ 6
Cr eedence Clearwater
Revival
A écouter : « Live at
Woodstock 1969 », Craft
Recordings (2019).

art & culture


Jeff erson Airplane


dans les turbulences


Thierry Gandillot
@ thgandillot

Sans eux, peut-être, Wood-
stock n’aurait jamais existé.
A la fin des années 1960,
Jefferson Airplane est une
légende de la côte Ouest.
Pour Michael Lang, l’inven-
teur-manager de Wood-
stock, le groupe devait for-
mer avec le Grateful Dead
l’un des deux piliers de ces
trois jours d’utopie. Il s’est
battu avec leur manager
pour qu’ils acceptent de se
produire. En 1969, le Jefferson Airplane est
au sommet de s a gloire. S es a lbums « Surrea-
listic Pillow » et « After Bathing at Baxter’s »
ont cartonné. La prestigieuse major RCA
ne s’y est pas trompée qui les a signés. Porte-
parole de la « love generation », ils ont abattu
les frontières entre les genres établis du rock,
du folk ou de la country. Venus d’horizons
différents, les guitaristes Marty Balin et
Jorma Kaukonen, le bassiste Jack Casady,
Spencer Dryden à la batterie et la chanteuse
Grace Slick surfent au sommet de la vague
psychédélique. C’est eux qui ont lancé les
concerts gratuits en plein air dans les parcs
de San Francisco. Et pourtant... La consécra-
tion annoncée n’aura pas lieu. Le groupe
arrive sur scène au pire horaire, le dimanche
à 7 heures du matin. Les spectateurs sont

épuisés qui viennent de se
prendre deux déferlantes :
Sly and The Family Stone,
et les Who. Comment pas-
ser derrière? En outre, les
musiciens, qui ont attendu
« back stage » de longues
heures, ne sont pas au
meilleur de leur forme.
Comme pour désamorcer
la critique, Grace S lick
annonce qu’après le
« lourd » qui a précédé, ils
vont offrir « une musique
matinale frénétique pour
fêter une nouvelle aube ».
Ils entonnent leur nouvel hymne anti-
Vietnam « Volunteers », chanté par Marty
Balin, sans parvenir à faire lever la foule.

Masse de freaks
« D’une certaine façon, écrit le journaliste
Michka Assayas, Jefferson Airplane finit de
jouer à Woodstock son rôle historique. Grace
Slick et ses compagnons contemplent avec
émerveillement cette masse de freaks qui leur
paraît multiplier à l’infini ces frères et sœurs
californiens qui ont accompagné les happe-
nings du groupe à San Francisco. » Bientôt
Jefferson Airplane va « splitter » et ses mem-
bres partir explorer de nouveaux horizons
à travers le Jefferson Starship, New Riders
of the Purple Sage, Quicksilver Messenger
Service ou Hot Tuna. Qui sont bien aussi.n

SÉRIE WOODSTOCK 5/ 6
Jefferson Airplane
A écouter : « Woodstock,
Back to the Garden »,
50th Anniversary
Collection. Version 10 CD
et 162 titres. Version 3 CD
et 42 titres. Rhino.
Et aussi « Surrealistic
Pillow » (1967),
« Volunteers » (1969),
RCA Victor, « Live at
the Fillmore East » (1968).
A suivre : Jimmy
Hendrix. The Who

WOODS
TOCK

08 // IDEES & DEBATS Lundi 19 août 2019 Les Echos

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