JULIE ZAUGG, HONGKONG
George Zhu avait passé une
décennie à sillonner l’Afrique en
tant que chef des ventes pour une
entreprise de téléphonie, lorsqu’il
est arrivé à une conclusion sans
appel: écouler des téléphones
créés pour le marché occidental ou
asiatique sur ce continent était une
cause perdue. En 2006, il a fondé
Transsion, un groupe de télépho-
nie dont l’unique objectif serait de
vendre des appareils aux Africains.
Il a commencé par cibler le mar-
ché nigérian, un pays qui compte
près de 200 millions d’habitants,
misant sur les téléphones numé-
riques, ces appareils qui ont un
clavier physique mais permettent
d’effectuer des opérations simples
en ligne. «Aujourd’hui, Transsion
est le numéro un en Afrique»,
note Mo Jia, un expert de la télé-
phonie chez Canalys.
Il y détient 44% de parts de mar-
ché, devant Samsung (20%) et
Huawei (10%), précise-t-il. Si l’on
prend en compte uniquement les
appareils numériques, le groupe
basé à Shenzhen y possède même
59% de parts de marché, selon les
données d’IDC. Cela en a fait la
quatrième marque de portables
la plus vendue au monde, derrière
Samsung, Apple et Huawei.
Modèles d’entrée de gamme
à 10 dollars
«Son principal avantage compé-
titif se situe au niveau du prix de
ses téléphones, note Mo Jia. Ses
smartphones coûtent 50 dollars
en moyenne, contre au moins
200 dollars pour ceux de Samsung
ou de Huawei.» Ses modèles
numériques d’entrée de gamme
valent à peine 10 dollars. Une
aubaine en Afrique où la majorité
de la population gagne tout juste
de quoi subsister.
«Pour maintenir ces prix, la
firme exerce un contrôle serré sur
sa chaîne de fournisseurs, sacrifie
une partie de ses marges et pro-
duit une bonne partie de ses télé-
phones en Afrique, car les salaires
y sont plus bas qu’en Chine»,
détaille l’expert. En 2011, elle a
ouvert une usine à Addis-Abeba,
en Ethiopie, qui emploie 700
ouvriers. Elle possède aussi des
unités de production en Inde et
au Bangladesh, deux autres pays
à bas coût. En 2018, ses revenus
se sont élevés à 22,6 milliards de
yuans (3,1 milliards de francs), en
hausse de 13%.
Autre trait de génie, George Zhu
a su adapter son produit au mar-
ché local. Constatant que les Afri-
cains avaient pour habitude de
transporter quatre ou cinq cartes
SIM dans leur porte-monnaie
qu’ils glissaient à tour de rôle dans
leur téléphone pour éviter de
payer des frais plus élevés lors des
appels vers d’autres opérateurs,
il a créé un appareil multicarte.
De même, les batteries de ses
téléphones numériques peuvent
durer un mois sans être rechar-
gées, un facteur crucial pour une
clientèle vivant dans des zones
reculées dépourvues d’électricité
ou dans des pays comme l’Afrique
du Sud ou l’Ethiopie où les cou-
pures de courant sont fréquentes.
Et les appareils photos de ses télé-
phones sont spécialement cali-
brés pour obtenir un meilleur
rendu sur les peaux sombres des
Africains.
A cela s’ajoutent des claviers
comprenant des langues locales
comme l’amharique ou le swahili.
Le groupe chinois a aussi créé des
apps spécialement pour ce marché
- incluses d’office sur ses télé-
phones – comme le service de
streaming musical Boomplay, qui
héberge de nombreux artistes afri-
cains et a 32 millions d’usagers.
«En Afrique, Transsion a déve-
loppé tout un écosystème de
magasins, de centres de
Recherche & développement
[R&D] et de services après-vente,
complète Mo Jia. Cela lui permet
d’offrir un service de qualité qui
contraste avec celui de ses com-
pétiteurs.»
Pas un seul téléphone vendu
en Chine
La marque, qui ne vend pas un
seul téléphone en Chine, cherche
désormais à sortir des frontières
de l’Afrique. En 2017, elle a investi
le marché indien, y capturant
rapidement 8% de parts de mar-
ché. Elle veut aussi s’implanter au
Népal, au Pakistan et au Bangla-
desh, espérant financer cette
expansion en se cotant à la nou-
velle bourse technologique de
Shanghai, ce qui devrait lui per-
mettre de lever 3 milliards de
yuans (416 millions de francs).
Pour coller aux besoins de ces
marchés, elle a d’ores et déjà mis
en vente un smartphone avec un
système d’identification par
empreinte digitale résistant aux
doigts huileux. Une adaptation
bienvenue dans ces pays, grands
amateurs de curry, où l’on mange
normalement avec les doigts. n
L’usine Transsion à Addis-Abeba, en Ethiopie, emploie 700 ouvriers. Les coûts de la main-d’œuvre sont plus bas qu’en Chine. (DR)
Le portable chinois qui a conquis l’Afrique
TÉLÉCOMS Le groupe Transsion domine les ventes de téléphones sur le continent. Une réussite rendue possible par le prix imbattable
de ses appareils et une habile stratégie d’adaptation aux besoins locaux
NABIL WAKIM (LE MONDE)
C’est l’un des mouvements les plus
spectaculaires de la turbulente histoire
du pétrole et l’un des atouts majeurs de
Donald Trump sur le plan géopolitique:
l’essor du pétrole de schiste aux Etats-
Unis au cours des dernières années a
fait passer les Américains au rang de
premiers producteurs mondiaux d’or
noir, devant les Russes et les Saoudiens.
En 2018, le pays a franchi la barre des
12 millions de barils par jour. Cette
croissance exponentielle est essentiel-
lement due à l’extraction de pétrole de
schiste, obtenu par une technique de
fracturation de la roche (la fracturation
hydraulique) différente de celle utilisée
pour le pétrole conventionnel.
Le cœur de cette révolution énergé-
tique se situe dans l’ouest du Texas, au
niveau du Bassin permien, une zone qui
produit désormais plus de 4,2 millions
de barils de pétrole chaque jour, soit
presque autant que l’Irak. En deux ans,
la production y a crû de 72%. «C’est
comme si on avait ajouté un nouveau
pays pétrolier sur la carte du monde!»
s’enthousiasmait récemment un patron
français du secteur.
Selon les prévisions de l’Agence inter-
nationale de l’énergie (AIE), le pétrole
de schiste va continuer à croître de
manière significative ces deux pro-
chaines années. Les prospectivistes de
l’AIE envisagent même que la produc-
tion américaine totale dépasse 17 mil-
lions de barils par jour en 2025. Un
niveau jamais atteint.
Viabilité du modèle
en question
Cependant, depuis plusieurs
semaines, des interrogations se font jour
sur la viabilité de ce modèle. Certaines
contraintes sont ponctuelles, notam-
ment sur les infrastructures: la produc-
tion est tellement importante que les
oléoducs ne sont pas suffisamment
nombreux, ce qui limite les capacités
d’exportation et ralentit l’investisse-
ment.
Surtout, la nature même du modèle
du pétrole de schiste commence à sus-
citer quelques doutes chez les investis-
seurs. «Dans le pétrole conventionnel,
on creuse un puits et on l’exploite avec
un bon rendement pendant des années.
Mais, dans le pétrole de schiste, on a une
courbe descendante très rapide: on pro-
duit beaucoup les premiers mois, puis
la production descend très vite»,
explique un pétrolier français installé
au Texas. Autrement dit: pour maintenir
la production, ou l’augmenter, il faut
investir encore et toujours pour forer
de nouveaux puits, ce qui est particu-
lièrement onéreux. Sans parler de l’im-
pact environnemental du procédé, qui
nécessite beaucoup d’eau et peut pro-
voquer des séismes.
Il y a quelques années, les investisseurs
de Wall Street n’y voyaient pas trop d’in-
convénients, espérant récupérer leur
mise ultérieurement. Désormais, ils
commencent à s’impatienter. Les pro-
ducteurs du Bassin permien sont
contraints de réinvestir leurs gains dans
de nouveaux forages, et ne sont toujours
pas bénéficiaires, en dépit des prix du
pétrole relativement soutenus.
«Des difficultés temporaires»
Dans son ouvrage Saudi America:
The Truth About Fracking and How It’s
Changing the World (Columbia Global
Reports, septembre 2018, non traduit),
la journaliste Bethany McLean compare
l’émergence du pétrole de schiste à la
bulle numérique des années 2000 ou à
la crise des crédits subprimes de 2008.
«Le boom énergétique américain repose
sur des bases fragiles, puisqu’il est
alimenté par des dettes importantes et
un accès facile au crédit», souligne-t-
elle.
«Il peut y avoir des difficultés tempo-
raires, mais il est certain que la produc-
tion américaine n’est pas à son plafond
et va continuer à augmenter», modère
Francis Perrin, directeur de recherches
à l’Institut de relations internationales
et stratégiques (IRIS) et spécialiste des
questions pétrolières. Plusieurs acteurs
du Bassin permien ont annoncé ces der-
nières semaines qu’ils prévoyaient une
production en hausse pour l’an pro-
chain, mais avec une croissance moins
fulgurante. n
Le pétrole de schiste américain
suscite des interrogations
MATIÈRES PREMIÈRES La fractura-
tion hydraulique nécessite des dépenses
importantes, mais la rentabilité tarde
à venir. Les investisseurs s’impatientent
Téléphones
multicartes SIM,
batteries qui
tiennent un mois:
tout est développé
pour satisfaire la
clientèle africaine
RACHEL RICHTERICH
t @RRichterich
Au pays du plein-emploi, les Suisses sont
toujours plus nombreux à cumuler les jobs.
Au total, ceux que l’on appelle les multi-ac-
tifs sont près de 400 000, soit 8,7%
de la population active, contre une
part de 4% en 1991, écrit la presse
dominicale, qui s’est procuré les
derniers chiffres de l’Office fédéral
de la statistique (OFS). C’est deux fois plus
que la moyenne européenne. Pour cer-
tains, c’est une option, celle d’exercer deux
métiers différents pour contrer la lassi-
tude. Mais pour beaucoup, c’est une néces-
sité, afin de joindre les deux bouts, comme
dans le cas de cette mère de 35 ans, femme
de chambre le jour et serveuse dans un
fast-food le soir, que décrit le Sonntags-
Blick.
L’OFS ne détaille pas les critères condui-
sant un nombre croissant de travailleurs à
cumuler les activités, mais un point sonne
l’alerte: un quart de ces multi-actifs tra-
vaille déjà à plein temps, selon le dernier
rapport sur la multi-activité (chiffres de
2017). On imagine mal ces travailleurs
embrayer pour le plaisir ou pour assouvir
une curiosité débordante sur un deuxième
bloc horaire, après une journée de 8 heures
de travail.
La tendance au multi-emploi semble lever
le voile sur une précarisation du marché
du travail toujours plus marquée en Suisse.
A ce phénomène s’ajoute la croissance du
travail à temps partiel, qui concerne plus
d’un tiers des actifs. Des données à lire en
regard des statistiques sur le potentiel de
forces de travail, qui montrent que 830 000
personnes seraient prêtes à travailler
davantage; parmi elles, 231 000 chômeurs
et 356 000 personnes en sous-emploi, ainsi
que 240 000 actifs qui constituent la
«réserve inexprimée de travail», autrement
dit toutes les personnes à la recherche d’un
emploi mais pas disponibles dans
les deux semaines, car liées à un
préavis envers un employeur, par
exemple. Ou toutes celles qui ne
cherchent pas, mais seraient «tech-
niquement» libres. Ce, sur fond de hausse
de la pauvreté, frappant plus de 8% de la
population, contre 6,5% il y a cinq ans.
Les femmes davantage touchées
A noter que ces situations touchent
davantage les femmes que les hommes, qui
assument encore l’essentiel des tâches liées
à la garde des enfants et réduisent ou
cessent leur activité professionnelle, mon-
trant au passage l’urgence de mettre en
place des dispositifs permettant de mieux
concilier travail et vie privée.
Autant de données qui contrebalancent
une fois de plus la situation idyllique
décrite par les statistiques officielles du
chômage, publiées chaque mois par le
Secrétariat d’Etat à l’économie. Cette illu-
sion de plein-emploi contribue à masquer
une réalité plus dure et la nécessité de
prendre des mesures pour y remédier. n
STATISTIQUES En Suisse, le nombre de
personnes cumulant plusieurs emplois est
en hausse continue depuis dix ans. Une
tendance qui souligne une fois de plus les
faiblesses d’un marché du travail fausse-
ment présenté comme idyllique par les
statistiques officielles du chômage
Le cumul des jobs révèle
une précarisation de l’emploi
ANALYSE
Economie 9
LUNDI 19 AOÛT 2019 LE TEMPS
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