26 |idées DIMANCHE 11 LUNDI 12 AOÛT 2019
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OLIVIER BONHOMME
ENTRETIEN
J
ocelyne Just est pédiatre, pneu
mologue et chef du service d’al
lergologie pédiatrique à l’hôpital
ArmandTrousseau, à Paris. Alors
que la France subissait un pre
mier épisode de canicule et de
pollution, elle publiait, dans Le Monde du
27 juin, avec l’appui de 150 médecins et
chercheurs, un appel à l’action contre la
pollution automobile.
Comment, en tant que médecin,
considérezvous la voiture?
La voiture, en ville, est de loin la première
source de pollution extérieure. Les scienti
fiques anglosaxons mettent en exergue
que c’est le trafic automobile qui est res
ponsable des problèmes, notamment res
piratoires, liés à la pollution. De nombreu
ses études observent l’incidence des mala
dies par rapport au fait que vous habitiez à
50, 100, 200 ou 500 mètres d’une voie à
fort trafic, et on trouve des corrélations très
significatives entre la distance domicile
axe routier et certaines pathologies. La
voiture, c’est l’ennemi.
L’automaticité de la circulation
différenciée, activée pour la première
fois fin juin, estelle efficace pour
protéger la santé?
C’est un début, mais ce n’est pas suffi
sant. La circulation différenciée reste une
mesure d’urgence uniquement pour s’at
taquer aux pics. Longtemps, on a pensé
que c’étaient les pics qui étaient nocifs. A
chaque épisode, on observe en effet une
augmentation du nombre d’hospitalisa
tions ou de consultations aux urgences.
Mais on a démontré par la suite que c’était
la pollution de fond qui était responsable
de la hausse des pathologies chroniques,
comme l’asthme, les allergies ou les mala
dies autoimmunes. C’est pourquoi il est
impératif de lutter contre la pollution de
fond à travers l’amplification de dispo
sitifs comme la zone à faibles émissions
qui vient d’être mise en place au niveau
de la métropole du Grand Paris, pour in
terdire progressivement les véhicules les
plus polluants.
La voiture estelle la seule source
de pollution en zone urbaine?
En ville, il n’y a pas beaucoup d’autres
sources de pollution. Il y a bien, de façon
anecdotique, les feux de cheminée l’hiver
ou les pollutions importées, comme les
épandages liés aux activités agricoles. La
pollution dépend aussi des conditions mé
téorologiques. L’hiver, quand le ciel est bas,
il y a comme une chape de plomb qui em
pêche les particules et les gaz toxiques
émis par les voitures thermiques de
s’échapper. Et l’été, si le temps est très enso
leillé, les oxydes d’azote issus du trafic rou
tier contribuent à la fabrication de l’ozone.
On estime que la voiture est à l’origine de
50 % à plus de 60 % de la pollution de l’air
dans les grandes agglomérations, en fonc
tion des polluants que l’on considère.
Le métro aussi est pollué. Pourtant,
aucun élu ne propose de l’interdire...
C’est vrai qu’il y a une pollution impor
tante dans le métro, avec des niveaux qui
peuvent atteindre ceux que l’on respire en
période de pics. Mais, en dehors des per
sonnes qui y travaillent et pour qui on
pourrait considérer l’exposition à la pollu
tion comme un risque professionnel, on ne
passe pas douze heures par jour dans le mé
tro. Les usagers y restent au maximum une
heure. C’est préoccupant, certes. Et les pou
voirs publics doivent prendre des mesures
pour améliorer en priorité la ventilation.
Mais de là à dire qu’il ne faut plus prendre le
métro ou le RER car l’air y serait encore plus
mauvais qu’à l’extérieur, non! Cela reste le
mode de déplacement le plus civique, car
contrairement à la voiture, on ne pollue pas
les autres quand on prend le métro ou le
RER. Moi, je le prends tous les jours.
En quoi les enfants sontils
particulièrement sensibles au trafic?
La physiologie de l’enfant est définie par
la croissance et l’immaturité des organes.
Les enfants ont donc des organes plus sen
sibles à la pollution. De par leur petite
taille, ils vont concentrer plus de pol
luants, d’autant qu’ils respirent plus vite et
inhalent donc plus de polluants.
Longtemps, comme on ne s’intéressait
qu’aux effets des pics de pollution, on pen
sait que les effets se limitaient aux patho
logies respiratoires. Puis des études ont
montré que la pollution pouvait entraîner
un dysfonctionnement immunitaire et
être responsable, par exemple, de nouvel
les allergies. A Paris, je vois de plus en plus
d’enfants allergiques aux pollens et à
certains fruits.
On a aussi montré que le polluant
pouvait agir sur notre génétique, en modi
fiant l’expression des gènes, c’est ce qu’on
appelle l’épigénétique. En mesurant, grâce
à des capteurs de pollution, l’exposition de
femmes enceintes au trafic automobile,
on a vu que chez les mères les plus expo
sées, l’expression de certains gènes était
corrélée à l’apparition d’asthme chez leurs
enfants.
Habiter plus ou moins loin d’une voie à
fort trafic a également des effets sur le mi
crobiome. Le microbiome, ce sont des bac
téries qui nous colonisent et permettent à
notre système immunitaire de nous dé
fendre contre des infections, un corps
étranger. La pollution l’appauvrit, provo
quant un dysfonctionnement immuni
taire. Une équipe de scientifiques a ainsi
montré que vivre près d’un axe routier
dense augmentait le risque de diabète par
modification du microbiome intestinal.
On est loin des premières études qui ne
s’intéressaient qu’au système respiratoire.
Depuis quand saiton que la voiture,
en dehors de l’accidentologie,
représente un risque pour la santé
humaine?
On le sait depuis les années 1980. A l’épo
que déjà, mon chef de service, le professeur
Alain Grimfeld, ancien président du Co
mité consultatif national d’éthique, parlait
déjà des répercussions sur la santé de la
pollution automobile. A cette époque, on
connaissait clairement le lien entre les pics
de pollution liés à la voiture et les exacerba
tions de l’asthme. Et les études étaient con
cordantes dans tous les pays du monde.
En France, les premières alertes
scientifiques sur la dangerosité du
diesel remontent à 1983 et au rapport
du professeur Roussel sur l’« impact
médical des pollutions d’origine
automobile ». Remis au gouvernement
Mauroy, il préconisait de freiner la
diesélisation du parc automobile,
invoquant des risques cancérogènes.
Pourtant, la France a fait le choix
contraire...
Les choix politiques n’ont pas été faits
dans le bon sens. D’abord parce qu’on s’est
heurté à des lobbys de l’automobile puis
sants. Aussi parce que nos dirigeants ont
longtemps estimé que l’économie devait
primer sur l’environnement. On m’a sou
vent dit : « Il vaut mieux qu’il y ait moins
de smicards. » On ne peut pas dire : « Ce qui
compte ce sont les emplois d’aujourd’hui
et on verra plus tard pour nos enfants. »
On ne peut pas être cynique à ce pointlà.
Peutêtre que la communauté scientifi
que a aussi été timorée sur le sujet. Le lien
entre la pollution liée au trafic et les mala
dies était encore contesté, car les études
montrant les effets nocifs de la pollution
sur la santé étaient limitées aux pics de
pollution. Et il faut toujours être prudent
sur le plan scientifique, attendre d’avoir
plusieurs publications qui vont dans le
même sens pour éviter les biais. Mais,
aujourd’hui, on ne peut plus dire qu’il faut
attendre : la pollution automobile n’est pas
responsable de tout, bien sûr, mais elle
doit être prise en compte pour expliquer
l’explosion des maladies chroniques. On
parle aujourd’hui d’exposome combinant
polluants, bactéries, alimentation...
Malgré tout, on entend encore des peti
tes voix, chez certains industriels ou politi
ques, parler de diesel « propre ». Mais le
diesel propre, ça n’existe pas. Le diesel,
c’est une source d’émission de particules
extrêmement importante. Il n’y a pas de
diesel qui soit bon. Il faut le bannir.
Paris envisage d’interdire
les véhicules diesel en 2024
et les essences d’ici à 2030...
Si on pouvait aller plus vite, ce serait en
core mieux. Il faut inciter sur le plan fiscal à
ne plus acheter de diesel. Il faut informer la
population sur le danger sur la santé que
représentent le diesel et l’essence pour eux
mêmes et surtout pour leurs enfants. Et
qu’euxmêmes n’attendent pas que les po
litiques leur imposent des mesures pour
agir. Qu’ils se disent : je suis un citoyen
responsable, je suis un parent ou un grand
parent responsable et je veux sauvegarder
l’avenir de mes enfants. Et qu’estce que je
fais à mon échelle individuelle et pour faire
pression sur les politiques pour que les
choses changent et avancent plus vite?
Il y a un débat sur l’avenir du
périphérique. Certains candidats à
la Mairie de Paris veulent le détruire,
d’autres simplement l’aménager.
Quelle est votre vision?
Autour du périphérique, il y a des crè
ches, des écoles, des parcs sportifs. Pour
tous ces jeunes publics, c’est une source de
pollution énorme. Le détruire du jour au
lendemain, je ne sais pas si c’est possible.
Ça pourrait même déplacer le problème à
l’intérieur de Paris. Cela doit être évalué
par des professionnels capables de modéli
ser le trafic. Il faudrait déjà prendre des
mesures fortes susceptibles d’atténuer les
effets du périphérique : limiter la vitesse à
50 km/h, faire des voies spécifiques pour
le covoiturage et les véhicules propres.
L’avenir de la voiture est à l’électrique.
Tous les problèmes serontils réglés
pour autant?
Je ne crois pas. Ce sera mieux, mais ça ne
suffira pas. Il faut développer les alternati
ves à la voiture individuelle. Cela passe par
le covoiturage, les parkings en dehors des
villes, l’amélioration des transports en
commun qu’il faut rendre plus fiables et
plus attrayants. Il faut aussi sécuriser da
vantage les pistes cyclables pour permet
tre au plus grand nombre de choisir ce
mode de déplacement car l’activité physi
que, c’est bon pour la santé.
Quel est votre usage de la voiture?
J’ai une voiture, une hybride, mais elle
est souvent dans mon parking. J’ai cette
chance de pouvoir aller à pied à l’hôpital.
Quand j’ai des réunions en dehors, je
prends le métro, rarement le bus parce que
souvent on l’attend beaucoup. Je réserve
l’usage de la voiture à mes déplacements
dans des endroits mal desservis par les
transports en commun. Mais j’envisage de
la vendre et de passer à la location si j’en ai
besoin pour de longs trajets sans transport
en commun possible.
propos recueillis par
stéphane mandard
FIN
ON ESTIME QUE
LA VOITURE EST
À L’ORIGINE DE
50 % À PLUS DE 60 %
DE LA POLLUTION
DE L’AIR DANS
LES GRANDES
AGGLOMÉRATIONS
Jocelyne Just « Il faut développer les
alternatives à la voiture individuelle »
EN VOITURE 6 | 6 Comment le rapport de l’humanité
à l’automobile atil évolué dans l’histoire? Pour la pédiatre
et pneumologue, qui souligne les effets nocifs de
l’automobile sur la santé, notamment sur celle des enfants,
la voiture constitue désormais « l’ennemi » des citadins
L’ÉTÉ DES IDÉES