Le Monde - 11.08.2019

(Joyce) #1
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DIMANCHE 11 ­ LUNDI 12 AOÛT 2019

ÉCONOMIE  &  ENTREPRISE


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Le dilemme chinois des groupes automobiles

Face à la crise du marché local, les constructeurs souffrent. PSA va supprimer la moitié de ses postes dans le pays


shanghaï ­ correspondance

P

our les constructeurs
étrangers, la crise est si
profonde que certains
s’interrogent : faut­il ou
non quitter la Chine? Après des
années de hausse insolente de­
puis 1990, le marché automobile
chinois a connu son premier re­
tournement en 2018 (− 2,8 %). Cer­
tains groupes, comme PSA Peu­
geot Citroën ou Ford, le subissent
plus que les autres. Les ventes de
la marque française, en recul de­
puis quatre ans, sont en chute li­
bre cette année (− 62 % au premier
semestre, alors que le marché lo­
cal a baissé de 12,4 % sur la même
période). Au point que l’entre­
prise française alliée à Dongfeng
se prépare à supprimer la moitié
de ses postes en Chine, soit 4 000
emplois, d’après l’agence Reuters.
De son côté, Ford a vu ses ventes
plonger de 27 % au cours des six
premiers mois. Les deux entrepri­
ses font les frais d’une concur­
rence accrue, alors que l’écono­
mie nationale décélère. Le japo­
nais Suzuki a quitté le pays en
septembre 2018, tandis que les co­
réens Kia et Hyundai ont fermé
des usines cette année.
PSA, néanmoins, se veut rassu­
rant : « Nous travaillons étroite­
ment avec nos partenaires chinois
pour résoudre les problèmes, mais
quelles que soient les difficultés
auxquelles nous faisons face en ce
moment, nous n’abandonnerons
jamais le pays », affirme Chao
Wang, directeur de la communi­
cation du groupe en Chine. Néan­
moins, à en croire une source ci­
tée par Reuters, le français n’écar­
terait pas l’idée de mettre fin au
partenariat vieux de vingt­sept
ans avec Dongfeng, voire de ces­
ser toute activité dans le pays.
La difficulté est qu’une usine
doit tourner à au moins 80 %
pour être rentable. Or celles de la
coentreprise de PSA avec Dong­
feng, qui produit les Citroën et
Peugeot, n’utilisent que 22 % de
leurs capacités, d’après l’associa­
tion officielle de l’industrie auto­
mobile chinoise. Pis, au premier
semestre, seules 102 DS ont été fa­
briquées par la coentreprise de
PSA et Changan (moins de 1 % de
ses capacités)... Résultat, PSA a
perdu plus de 300 millions
d’euros en Chine en 2018. Les sites
de Ford, également associé à
Changan, tourneraient quant à
eux à 11 % de leurs capacités.
Selon l’agence Reuters, qui a eu
accès à des documents internes,

la coentreprise devrait vendre
l’une de ses quatre lignes de pro­
duction et en fermer une autre.
Cette décision serait le fruit d’un
accord conclu en juillet entre Car­
los Tavares, président du direc­
toire de PSA, et Zhu Yanfeng, pré­
sident de Dongfeng.

Guerre des prix
La relation entre les deux parte­
naires est notoirement houleuse.
« La JV [joint­venture] à 50/50 ne
fonctionne pas actuellement. Lors­
que le comité exécutif décide, la dé­
cision doit s’appliquer. Ce n’est pas
le cas aujourd’hui », avait assené
Carlos Tavares en mars. Depuis, la
situation ne s’est pas améliorée,
et Dongfeng chercherait à vendre
sa participation de 12,2 % dans
PSA. Un projet qui ne remettrait
pas en cause la coentreprise entre
les deux marques, d’après Bloom­
berg, qui a révélé l’information en

début de semaine. Pour le chi­
nois, ce serait une bonne affaire,
la valeur de ses parts ayant plus
que doublé. Le constructeur hexa­
gonal a refusé de commenter
« une rumeur ».
En 2014, traversant une mau­
vaise passe, le groupe comptait
sur la Chine pour redresser la
barre. Son partenaire Dongfeng
entrait alors à son capital, une in­
jection de cash qui sauvait l’entre­
prise. Surtout, avec 734 000 véhi­
cules vendus, ce pays devenait
son deuxième marché après la
France, et promettait encore plus
avec son 1,4 milliard d’habitants
encore peu équipés en véhicules
et ses 9,9 % de croissance du mar­
ché automobile.
Par la suite, DPCA, la coentre­
prise avec Dongfeng, inaugurait
des lignes de production, comme
à Chengdu en 2016, et visait le
million de véhicules vendus à

court terme. Avec 64 169 véhicu­
les au premier semestre, PSA est
parti pour vendre 5,7 fois moins
de véhicules qu’il y a cinq ans.
Les causes du ralentissement
sont connues : baisse de la crois­
sance, au plus bas depuis trente
ans, fin du système de subven­
tions et nouvelles normes en ma­
tière d’émissions de dioxyde de
carbone (CO 2 ). Dans ces condi­
tions, les constructeurs se sont
mené une guerre des prix pour
préserver leurs parts de marché.
« Hyundai, Kia, PSA et Ford sont
coincés dans le milieu de gamme.
Dans les grandes villes, les mar­
ques allemandes lancent sans
cesse de nouveaux modèles, très
compétitifs. BMW offre des voitu­
res à partir de 150 000 yuans
[19 000 euros], dans les mêmes
prix que le haut de gamme de PSA
et Ford. Dans les petites villes
moins riches, les consommateurs

préfèrent les marques chinoises
plus compétitives, et qui progres­
sent en qualité, comme Geely », ex­
plique John Zeng, directeur de
LMC Automotive. De fait, c’est
dans l’entrée de gamme que les
ventes baissent le plus, alors
qu’elles progressent pour les vé­
hicules de luxe.
Alors, faut­il partir ou rester?
Pour les experts, « la Chine est le
marché le plus concurrentiel au

L’économie britannique s’est contractée au deuxième trimestre


Entre avril et juin, le produit intérieur brut du Royaume­Uni a reculé de 0,2 %, affecté par les incertitudes entourant le Brexit


L


e chiffre est mauvais, mais
ce n’est pas vraiment une
surprise. Au deuxième tri­
mestre, l’économie britannique
s’est contractée de 0,2 %, selon les
chiffres publiés vendredi 9 août
par l’Office national des statisti­
ques (ONS). Il s’agit du premier re­
cul enregistré depuis fin 2012. Un
peu plus forte qu’anticipée par les
économistes, cette dégradation
tranche avec les bons chiffres du
premier trimestre (+ 0,5 %). Alors
que le nouveau premier ministre,
Boris Johnson, se prépare à un
« no deal » le 31 octobre – à savoir
une sortie sans accord de l’Union
européenne (UE) –, les incertitu­
des entourant le Brexit conti­
nuent de peser sur l’économie.
Dans le détail, seuls les services
ont légèrement contribué au pro­
duit intérieur brut (PIB) : ils ont
progressé de 0,1 % entre avril et
juin, leur plus faible hausse de­

puis trois ans. En revanche, la pro­
duction industrielle s’est repliée
de 1,4 %, en partie pénalisée par
les tensions commerciales entre
Washington et Pékin et, surtout,
par la confusion liée au Brexit.
Au premier trimestre, alors que
la date initiale d’une possible sor­
tie de l’UE était fixée au 29 mars,
les entreprises ont accumulé
d’importants stocks, ce qui a arti­
ficiellement gonflé la croissance.
« En contrecoup, l’activité est re­
tombée sur les trois mois suivants,
lorsque le secteur privé a écoulé ces
stocks, explique Andrew Good­
win, de chez Oxford Economics, à
Londres. Le tableau est donc un
peu moins sombre que les chiffres
du PIB peuvent le laisser penser en
première lecture. »
De plus, plusieurs usines, no­
tamment automobiles, avaient
avancé leurs opérations de main­
tenance au mois d’avril plutôt

qu’à l’été. Prudentes, elles ont
baissé le rideau pendant quelques
semaines, afin d’éviter les désor­
ganisations engendrées par un
éventuel « no deal ». En consé­
quence, la production automo­
bile a plongé de plus de 20 % en
avril... avant de se ressaisir en mai.

Effet de « montagnes russes »
Voilà qui illustre le paradoxe dans
lequel se débat l’économie bri­
tannique. Plus de trois ans après
le référendum du 23 juin 2016 sur
la sortie de l’UE, le Brexit, dont la
date est encore incertaine, provo­
que des soubresauts dans l’éco­
nomie, mais ses effets restent re­
lativement contenus. Ainsi, la
consommation des ménages ré­
siste plutôt bien. « D’après nos
prévisions, celle­ci devrait pro­
gresser de 1,7 % cette année », es­
time M. Goodwin. Le pouvoir
d’achat des Britanniques se

maintient grâce à la bonne tenue
des salaires et à la faiblesse du
taux de chômage, tombé à 3,7 %
en avril, selon Eurostat, au plus
bas depuis 44 ans.
En revanche, le référendum de
2016 a eu un effet marqué sur la li­
vre sterling, qui a plongé de 1,
euro fin 2015 à 1,12 euro fin 2017,
renchérissant les prix des pro­
duits importés. Après une phase
de stabilisation en 2018, l’arrivée
de Boris Johnson au 10 Downing
Street fin juillet a de nouveau fait
chuter la devise, tombée autour
de 1,07 euro le 9 août.
Pour les entreprises, les incerti­
tudes se traduisent surtout par
un effet de « montagnes russes ».
Elles accumulent des stocks lors­
qu’une nouvelle échéance pour le
Brexit se profile, comme en mars,
puis les écoulent lorsque la date
est repoussée. Surtout, beaucoup
ont suspendu leurs grandes dé­

penses (renouvellement de maté­
riel, acquisition ou construction
d’usines) en attendant de savoir
quel scénario de sortie prévaudra.
En outre, une partie de leurs res­
sources financières – en particu­
lier celles des grands groupes – est
absorbée par la coûteuse réorgani­
sation des chaînes de production,
en préparation au rétablissement
des frontières. Résultat : après
avoir reculé de 0,4 % en 2018, l’in­
vestissement des entreprises s’est
de nouveau contracté de 0,5 % au
deuxième trimestre. Il devrait
baisser de 1,2 % sur l’ensemble de
l’année, avant de se reprendre lé­
gèrement en 2020, prévoit Oxford
Economics.
Du fait de ces aléas, les données
économiques ont été particuliè­
rement volatiles ces derniers tri­
mestres. « En conséquence, il est
plus complexe de prendre la vérita­
ble température de l’économie, ob­

serve Dan Hanson, économiste
spécialiste du pays chez Bloom­
berg Intelligence. Notre sentiment
est néanmoins que celle­ci marque
le pas depuis fin 2018, en raison des
incertitudes liées au Brexit et au
contexte international. »
Le 1er août, la Banque d’Angle­
terre a revu ses prévisions de
croissance à la baisse. Elle table dé­
sormais sur 1,3 % en 2019 et 2020,
contre 1,5 % et 1,6 % jusqu’ici. Au
cours de sa conférence de presse,
son gouverneur, Mark Carney, a
mis en garde contre les consé­
quences potentielles d’un « no
deal » : ralentissement de la crois­
sance, hausse de l’inflation et
nouveau plongeon de la livre.
L’institution a malgré tout main­
tenu son taux directeur à 0,75 %,
tout en estimant à une sur trois les
chances que le PIB britannique re­
cule au premier trimestre 2020.
marie charrel

L’usine Dongfeng Peugeot Citroën de Chengdu, dans la province chinoise du Sichuan, en septembre 2016. CHINA DAILY CDIC/REUTERS

Les ventes
de PSA Peugeot
Citroën dans
l’empire du
Milieu ont plongé
de 62 % au
premier semestre

monde. Mais elle va rester le pre­
mier de la planète. Bien sûr qu’il
faut rester, si vous avez une
chance. Suzuki a quitté le pays
en 2018, mais ils n’avaient jamais
vraiment percé », rappelle Jochen
Siebert, directeur du cabinet de
conseil JSC Automotive.
Pour autant, les Français ont en­
core des efforts à fournir s’ils veu­
lent se ressaisir. « D’abord, ils doi­
vent mettre un terme à leur coen­
treprise avec Changan [qui pro­
duit les DS], parce que cela ne
mène nulle part. Ce n’est pas facile,
car Changan est une entreprise
d’Etat, mais il faut le faire. En ce
moment, DS est une marque en­
dommagée ; elle n’a jamais mar­
ché. Ensuite, ils doivent viser une
montée en gamme : arrêter de ven­
dre les vieux modèles, surtout ceux
qui sont en dessous de 100 000
yuans », conclut l’expert.
simon leplâtre
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