28 | 0123 VENDREDI 9 AOÛT 2019
E
n Espagne, les libéraux de Ciudada
nos (Cs) et les conservateurs du Parti
populaire (PP) ont scellé un nouvel
accord de coalition, mardi 6 août, qui va
leur permettre de prendre le pouvoir dans
la région de Madrid, où les socialistes
étaient pourtant arrivés largement en tête
lors des élections locales du 26 mai.
Pour cela, ils ont dû négocier, directe
ment pour le PP, indirectement pour Cs,
avec le parti d’extrême droite Vox, afin qu’il
leur apporte son soutien, indispensable
pour compléter leur majorité. Après l’Anda
lousie, la mairie de Madrid et la région de
Murcie, une nouvelle digue a sauté et les
« trois droites » répètent un scénario qui
semble avoir vocation à s’étendre partout
où cela est possible.
Même en revoyant fortement à la baisse
ses exigences, l’extrême droite espagnole a
ainsi obtenu un poids politique et une fe
nêtre médiatique qui dépassent largement
ses résultats aux élections (10 % aux législa
tives et 6 % aux européennes). Elle dispo
sera d’une tribune pour défendre ses prio
rités : son combat contre le féminisme, les
droits LGBT, l’avortement, l’immigration et
l’islam, son nationalisme irrédentiste ou
encore son projet de recentralisation radi
cale de l’Espagne. En se dotant d’un tel allié,
le PP et Ciudadanos contribuent à normali
ser le discours de l’extrême droite et à en
minimiser les conséquences.
L’Espagne, longtemps épargnée par la
montée de l’extrême droite en Europe,
aurait dû lui faire barrage. Au lieu de cela,
aucun cordon sanitaire n’a été mis en
place. Ciudadanos, qui se présentait
comme un parti centriste capable de s’en
tendre aussi bien avec la droite qu’avec la
gauche, a opéré, par opportunisme, un vi
rage à droite avec l’idée de supplanter le PP.
Et les conservateurs, qui ont subi plusieurs
débâcles électorales, ont privilégié la possi
bilité de garder le pouvoir malgré leurs
mauvais résultats.
Le royaume subit les effets de la fragmen
tation d’un système politique qui reposait
jusquelà sur un bipartisme entre conser
vateurs et socialistes. Celuici s’est effondré
avec l’apparition de Podemos, de Ciudada
nos et de Vox. Et l’Espagne semble incapa
ble de gérer cette nouvelle donne politique
où cinq partis récoltent chacun plus de
10 % des voix. On le voit à Madrid, où la
droite dépend d’une petite formation d’ex
trême droite. Mais aussi en Navarre, où les
socialistes ont pris le pouvoir en s’ap
puyant sur la coalition de la gauche indé
pendantiste basque Bildu, dont une partie
est issue de l’ancienne mouvance proche
du groupe terroriste ETA.
A l’échelle nationale, Pedro Sanchez, que
le PP et Cs ont choisi de diaboliser, n’a pas
réussi à former une majorité parlementaire
après les élections législatives du 28 avril,
qu’il a pourtant remportées avec une large
avance sur le deuxième parti, le PP. Il est in
capable de s’entendre avec le parti de la
gauche radicale Podemos, du fait d’une
« méfiance réciproque », comme il l’a re
connu mercredi 7 août. Et Ciudadanos, qui
aurait pu rejoindre sa majorité, lui refuse la
main qu’il lui avait pourtant tendue
en 2016 en l’accusant de « trahir » l’Espagne.
De nouvelles élections législatives, les
quatrièmes en cinq ans, sont à craindre. Le
message envoyé aux Espagnols serait ter
rible. Il vaudrait mieux que les dirigeants
politiques laissent de côté leurs vieilles
rancœurs et leurs intérêts partisans pour
rechercher une solution qui permette au
royaume de sortir de l’impasse qui, depuis
2016, le paralyse.
ESPAGNE : LA
DROITE CHOISIT
L’EXTRÊME
DROITE
Frédéric Simard
Insectes
et moustiques,
pas d’amalgames!
Le spécialiste des maladies infectieuses
rappelle que si un grand nombre d’insectes
sont aujourd’hui en danger d’extinction,
d’autres profitent des transformations
de l’environnement pour proliférer
L
es insectes, si nombreux et
pourtant si fragiles, sont
aujourd’hui en danger. Plus
précisément, les popula
tions d’insectes décroissent de
façon globale à un rythme record
et plus de 40 % des espèces sont
aujourd’hui directement mena
cées d’extinction à court terme.
S’il est primordial de tout mettre
en œuvre pour préserver ce qui
peut encore l’être de cette
richesse naturelle que constitue
la biodiversité entomologique, il
est tout aussi important de souli
gner une autre tendance, conco
mitante et contemporaine à cette
extinction massive : certains
insectes, eux, ne se sont jamais
aussi bien portés!
Si la majorité des espèces d’in
sectes souffrent des transforma
tions profondes que l’homme in
flige à la planète au point d’être
menacées d’extinction ou déjà
éteintes, d’autres profitent de no
tre développement, s’adaptent et
prolifèrent dans ces nouveaux en
vironnements que nous aména
geons, naguère pour notre survie
et aujourd’hui plus pour notre sé
curité et notre confort, en vérita
bles passagers clandestins de no
tre évolution.
Malheureusement, ces insectes
qui nous accompagnent le font
souvent à nos dépens : ravageurs
de nos cultures ou de nos infras
tructures, parasites de nos éleva
ges ou vecteurs de maladies telles
que le paludisme, la dengue ou le
virus Zika... Ils sont nombreux à
bénéficier de la déforestation, de
l’évolution de nos pratiques agri
coles, de l’urbanisation et de la
mondialisation des échanges, et
ils exercent un poids considéra
ble sur la santé, le bienêtre des
populations et l’économie mon
diale. Ne baissons pas la garde, ne
faisons pas l’amalgame.
Des actions simples
L’expansion récente, globale et ra
pide du moustiquetigre, vecteur
des virus de la dengue et du
chikungunya, en est un exemple
emblématique. Originaire d’Asie,
l’insecte a envahi l’ensemble des
continents à partir des années
1980, aidé en cela par l’explosion
du commerce international de
marchandises. Il est présent en
Amérique, en Europe, en Afrique
centrale et dans toute l’Asie. Par
tout, il a fait la preuve de sa capa
cité à être à l’origine d’épidémies.
Introduit en 2004 en France
continentale, il est présent dans
51 départements et continue son
expansion. Adapté à l’environne
ment urbain, où il trouve pléthore
de petites collections d’eau propi
ces au développement de ses lar
ves et d’hommes à piquer lors
qu’il parvient au stade adulte, il
colonise les villes, les banlieues,
les villages : là où l’homme est ins
tallé, plus de compétiteurs, plus
de prédateurs, la voie est libre!
Dans les environnements où
l’empreinte de l’homme est
moins nette, la biodiversité
locale agit comme un rempart à
l’envahisseur. Qu’il s’agisse des
grandes métropoles ou des
zones plus périphériques, des pé
rimètres agricoles ou industriels,
seule une poignée d’espèces de
moustique parmi les 3 500 réfé
rencées dans le monde sont
capables de s’y développer et d’y
pulluler. Toutes sont suscepti
bles de transmettre des mala
dies, et la grande majorité sont
résistantes à la quasitotalité des
produits insecticides disponibles
sur le marché.
Ces moustiques domestiques,
intimement liés à l’homme,
n’ont plus grandchose de com
mun avec leurs homologues sau
vages, avec qui ils n’échangent
plus de gènes depuis bien long
temps. Ils piquent essentielle
ment l’homme, à qui ils sont sus
ceptibles de transmettre des
maladies. C’est une biodiversité
artificielle, une « biodivercité »
que nous avons contribué à sélec
tionner dans notre sillage et qu’il
nous appartient de maîtriser,
proprement, spécifiquement, et
de manière durable pour préser
ver la santé des populations ac
tuelles et futures, dans nos villes
et nos campagnes, tout en pré
servant la nature qui les entoure.
Le défi est de taille, mais pas
insurmontable. La recherche et
les pouvoirs publics sont mobili
sés pour proposer des outils et
des stratégies innovantes pour
une gestion éclairée et intégrée du
risque sanitaire lié aux mousti
ques. Et chacun peut faire en sorte
de protéger sa santé et celle de ses
proches en limitant la pullulation
des moustiques dans son envi
ronnement immédiat par des
actions simples : gestion de l’eau
et des déchets, par exemple.
Et chacun peut agir pour l’envi
ronnement en bannissant l’utili
sation de tout insecticide chimi
que, dont la manipulation doit
être réservée aux professionnels.
Dans les environnements natu
rels, on privilégiera notamment
les outils de protection indivi
duelle (moustiquaires, vête
ments amples, répulsifs). Mais
où que cela se passe, si un mous
tique vous a choisi pour son pi
quenique, car c’est bien de cela
qu’il s’agit, armez sans scrupule
votre bras et écrasez cet indélicat
sans aucune arrièrepensée : en
un tournemain vous accompli
rez ainsi un geste pour la pla
nète, pour votre confort, pour
votre santé... alors ne vous gâ
chez pas ce plaisir estival, écla
tezvous, éclatezles !
Frédéric Simard est
directeur de recherche
à l’Institut de recherche
pour le développement
SI UN MOUSTIQUE
VOUS A CHOISI
POUR SON PIQUE-
NIQUE, ÉCRASEZ
CET INDÉLICAT
SANS AUCUNE
ARRIÈRE-PENSÉE
ANALYSE
I
l y a des meurtres qui sont des
faits divers, il y en a d’autres qui
changent la donne politique
d’un pays. Le meurtre de la
jeune Alexandra, kidnappée, violée
et tuée en Roumanie le 25 juillet, fait
partie de ces derniers. Depuis, des
milliers de Roumains se rassemblent
tous les weekends devant le minis
tère de l’intérieur, une bougie à la
main. Ils protestent contre l’incom
pétence des autorités qui n’ont pas su
empêcher ce meurtre, et ils deman
dent la démission du gouvernement.
« Nous n’avons jamais eu autant
d’idiots au pouvoir, a déclaré Tudor
Comsa, un manifestant de Bucarest.
Le népotisme, l’incompétence et la
corruption mènent au crime. Le gou
vernement doit partir, il n’a rien à voir
avec l’Europe et avec la vie qu’on veut
avoir en Roumanie. »
Rappel des faits. Mercredi
24 juillet, 9 h 30, à Dobrosloveni,
village situé dans le sud de la Rou
manie. Alexandra, 15 ans, fait de
l’autostop pour se rendre dans la
ville de Caracal, située à huit kilomè
tres de chez elle. Un voyage dont elle
ne reviendra pas. Gheorghe Dinca,
un mécanicien de 65 ans, lui propose
de monter dans sa voiture. Quelques
minutes plus tard, il arrête son véhi
cule dans un champ, frappe la jeune
fille, la ligote et l’emmène chez lui,
où il la viole à plusieurs reprises.
Quelques heures plus tard, ses
parents déposent une plainte à la po
lice pour disparition de mineure.
Mais la police ne réagit pas.
Le jeudi matin 25 juillet, Alexandra
profite d’un moment d’inattention
de son bourreau, récupère son porta
ble et appelle le numéro d’urgence
- Trois fois. Elle raconte son his
toire aux policiers, qui ne semblent
pas pressés d’agir. « Il arrive, il arrive »,
s’écrietelle avant que la communi
cation s’interrompe.
La police décide d’envoyer une
équipe, qui localise l’endroit décrit
par la jeune fille après avoir tourné
en rond une journée entière. Et c’est
là que la folie administrative entre en
jeu. Garés à proximité de la maison
du tueur, les policiers attendent l’or
dre d’intervenir, mais le feu vert des
responsables n’arrive que le lende
main matin.
Pendant que les policiers atten
daient, Gheorghe Dinca était en train
de découper le corps d’Alexandra,
mettait ses os dans de l’acide et brû
lait sa chair afin d’effacer les traces de
son crime. Il savait y faire car il avait
kidnappé une autre jeune fille en
avril, l’avait séquestrée et violée chez
lui pendant trois mois avant de s’en
débarrasser de la même façon.
Ce n’est que le vendredi matin
26 juillet, lorsqu’ils prennent d’assaut
la maison du criminel, que les poli
ciers réalisent l’ampleur de la tragédie
dont ils s’étaient rendus complices
par leur inaction. La maison du crimi
nel est située au fond d’une cour de
3 000 m^2 digne d’un blockbuster
d’horreur. Les enquêteurs suspectent
que d’autres cadavres y sont enfouis
sous du béton. Le meurtre d’Alexan
dra risque d’être un épisode d’une
longue série d’horreurs.
« DAME DE FER »
Viorica Dancila, la première ministre
socialedémocrate, a décidé de jouer
les « dames de fer » et a révoqué d’un
seul coup les chefs des polices locale
et nationale, le directeur du service
des télécommunications qui gère les
appels d’urgence, ainsi que les minis
tres de l’intérieur et de l’enseigne
ment. Mme Dancila est en mauvaise
posture. Candidate à l’élection prési
dentielle qui aura lieu en novembre,
elle doit affronter l’actuel président
libéral Klaus Iohannis, qui brigue un
second mandat. Selon un sondage
rendu public le 6 août par l’institut
IMAS, ce dernier recueille 41,7 % des
intentions de vote, tandis que
Mme Dancila peine à rassembler 7,5 %
des électeurs.
L’affaire Alexandra est un désastre
pour les sociauxdémocrates qui
contrôlent le gouvernement et ont
la majorité au Parlement. Elle révèle
la faiblesse des institutions judiciai
res, qui inquiète les Roumains sortis
manifester contre le gouvernement.
Le népotisme et la corruption ont at
teint leur apogée depuis l’arrivée au
pouvoir du Parti socialdémocrate
(PSD) en décembre 2016. Pour sau
ver la face de plusieurs hommes po
litiques poursuivis pour corruption,
dont l’ancien chef du PSD Liviu
Dragnea, le gouvernement et la ma
jorité parlementaire ont lancé une
offensive contre la justice. Les pou
voirs des procureurs et des magis
trats ont été limités, et les postes
clés des institutions policières et ju
diciaires ont été attribués aux frères,
sœurs, cousins et neveux des diri
geants du PSD.
La mort d’Alexandra est le révéla
teur d’un échec de la classe politique
roumaine. Le cri d’Alexandra retentit
dans la conscience des Roumains,
qui continuent de manifester contre
une classe politique coupée de la réa
lité. Ils se sont solidarisés avec les
jeunes procureurs du Parquet natio
nal anticorruption, qui ont mené
une sorte d’opération « mains pro
pres » destinée à « nettoyer » la classe
politique. Ces dernières années, ils
ont envoyé derrière les barreaux des
centaines de députés, sénateurs, mi
nistres, maires et autres personnali
tés politiques. Laura Codruta Kövesi,
la « Cerbère de la justice », qui a dirigé
cette opération, s’est fait remarquer à
Bruxelles, et c’est elle qui prendra la
direction du futur parquet européen.
A la suite des manifestations qui se
couent la Roumanie depuis le meur
tre d’Alexandra, le président Iohan
nis, dans l’opposition, est sorti de sa
réserve. « Le gouvernement est mora
lement responsable de cette tragédie,
atil déclaré le 28 juillet. Ses représen
tants ont violé les lois pénales. Si le
gouvernement refuse de modifier les
lois pénales, je constituerai une nou
velle majorité à la première occasion.
Nous avons besoin d’un gouverne
ment qui renforce les institutions de
l’Etat et défende les Roumains, comme
c’est le cas pour tout citoyen euro
péen. » La bataille d’Alexandra pour sa
vie a échoué, mais la bataille politi
que ne fait que commencer.
mirel bran
(bucarest, correspondance)
En Roumanie, le meurtre de la jeune Alexandra
change la donne politique
L’AFFAIRE EST
UN DÉSASTRE POUR
LES SOCIAUX
DÉMOCRATES,
QUI CONTRÔLENT
LE GOUVERNEMENT
ET ONT
LA MAJORITÉ
AU PARLEMENT
DEPUIS LE 25 JUILLET,
DES MILLIERS
DE ROUMAINS
SE RASSEMBLENT
LES WEEKENDS
DEVANT LE MINISTÈRE
DE L’INTÉRIEUR, UNE
BOUGIE À LA MAIN