Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

18 PLAY


Née à Rabat au Maroc dans les années 90 et installée
en France depuis 2010, ثيلڭGlitter٥٥ est de cette
génération de DJ pour qui la double culture est un
carburant inépuisable. Rencontre avec celle pour qui
l’avenir s’annonce radieux comme le soleil de l’Atlas.

Par Simon Clair
Stylisme : Garlone Jadoul
Photo : Lucie Hugary


ثيلڭ GLITTER٥٥ :


DISQUES DE PAILLETTES


STYLES


C’est un nom d’artiste qui est un vrai calvaire pour les logiciels
de traitement de texte. Mais ça, ثيلڭGlitter٥٥ s’en fiche un
peu. Car même s’il fait avant tout référence à sa collection de
chaussettes à paillettes, ce pseudonyme va un peu plus loin.
Les deux petits symboles qui le composent renvoient en effet
au nombre 55, c’est-à-dire à l’expression « Khamssa wkhmiss »
qui, au Maroc, sert à déjouer le mauvais œil. Et c’est peu
dire que ce gri-gri sémantique a parfaitement fonctionné.
Depuis son passage aux Transmusicales de Rennes, à la fin
de l’année 2018, ثيلڭGlitter٥٥ est en effet passée à toute
vitesse des petits clubs anonymes aux immenses scènes de
festival, entamant sur les chapeaux de roues une carrière
où tout semble lui réussir. Il faut y voir un signe du destin.
« Même si je dois bien avouer que tout ça m’a un peu fait peur
au début. Mais bon, il fallait se lancer », sourit l’intéressée.


Manar Fegrouch – de son vrai nom – est née à Rabat en 1994.
Dans la maison familiale, ses parents écoutent énormément de
musique et toute la journée résonnent des airs de chaâbi, de rock
fusion, de raï, de musique classique arabe ou même de variété
française. De son côté, à six ans, Manar entre au Conservatoire de
la Gendarmerie royale où elle apprend pendant plusieurs années
le solfège, étudie un peu la guitare et surtout le chant, affûtant une
voix tout en finesse qu’elle ne dévoile qu’en de rares occasions. En
parallèle, la DJ en devenir commence à développer une véritable
boulimie musicale : « Au début de l’adolescence, avec mes amis,
on passait notre temps à s’envoyer de la musique sur MSN et à
se faire des playlist que l’on passait ensuite pendant nos soirées.
À cette période, j’écoutais surtout du rock anglais. » Mais après
ses premières soirées en club au Maroc, c’est finalement sur la
musique électronique qu’elle flashe définitivement. Petit à petit,
l’envie de mixer se fait de plus en plus pressante. En 2010, la
décision est prise de quitter le Maroc pour rejoindre la France
où l’offre de festivals et de soirées de ce genre est plus complète.
Dans un premier temps, c’est à Amiens qu’atterrit Manar pour
suivre des études d’économie, avant de filer finalement à Lille
pour se réorienter vers une formation culturelle. C’est là-bas,
dans le cadre du Pzzle Festival pour lequel elle travaille, qu’elle
se retrouve propulsée un peu malgré elle derrière les platines
le temps d’un warm-up. ثيلڭGlitter٥٥ vient de naître.


Au fil de ses premiers DJ sets en France, Manar commence à
se forger un style bien précis : « Progressivement, j’ai ressenti
l’envie de mêler la musique traditionnelle arabe et la musique
électronique, raconte-t-elle. Après tout, le chaâbi peut être une
musique de club. On voit bien que le genre se démocratise en
ce moment, avec, par exemple, Dar Disku en Angleterre qui ne
joue que ça, ou le projet Habibi Funk qui tourne en ne passant
que ce genre de musique traditionnelle. Avec le temps, je me
suis dit que j’avais envie de défendre cette musique avec laquelle
j’ai grandi. » Et visiblement, le public a aussi envie de l’écouter.
D’autant qu’avec des figures telles que la Palestinienne Sama’
ou la Tunisienne Deena Abdelwahed, le monde arabe est plus
excitant que jamais en matière de musiques électroniques.
« Il se passe de plus en plus de choses là-bas, reprend-elle.
Rien qu’au Maroc, il y a maintenant le Moga Festival à
Essaouira, l’Oasis Festival ou l’Atlas Electronic à Marrakech.
Tout ça permet de mettre en lumière la scène locale. Deena
Abdelwahed est par exemple une fierté pour le Maghreb et
elle s’affirme maintenant à l’échelle internationale. Être à côté
de Derrick May ou Lil Louis à l’affiche d’un festival, c’est plus
gratifiant qu’au milieu d’un line-up dédié uniquement au monde
arabe. » Pour mettre en avant ces artistes auxquels elle croit, elle
croit, ثيلڭGlitter٥٥ organise désormais des soirées baptisées
FISSA. Soucieuse de ne pas se perdre dans les étiquettes, elle
se contente de décrire ce qui s’y joue comme « de la musique
pour outsiders ». Et certainement pas pour le mauvais œil.

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