Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

26 PLAY


Le label basé à Madrid jette des ponts entre les histoires
et l’Histoire, les folklores locaux et la revendication
queer contemporaine. Une vision sans œillères
que l’on retrouve également dans ses bandes-sons
qui traversent les genres et les générations.

Par Alice Pfeiffer


PALOMO SPAIN


LE REGARD MODE DE...


Des hommes en robe victorienne, en jupe et chemisier
à froufrou ; des nœuds lavallières XXL ; un coupe-vent entre
sportswear et Ancien Régime ; des costumes intégralement
en maille réalisés en collaboration avec la marque de lingerie
Andres Sarda. Voilà la collection que présentait le label
d’avant-garde Palomo Spain pendant la semaine de la mode
de New York en février 2019. Une confrontation des histoires
et de l’Histoire, un amour de la culture et une vision
fièrement, furieusement queer qui font le succès actuel
de cette marque fondée par Alejandro Gómez Palomo.


Malle aux trésors


Le créateur espagnol, qui a grandi fasciné par la mode
et John Galliano, a développé très tôt une passion pour
toutes les fêtes traditionnelles espagnoles, les tenues d’église,
de carnaval et des théâtres locaux. Passé par le London
College of Fashion en 2015, il lance sa marque peu de temps
après, dans un marché de la mode masculine bouillonnant,
quoique souvent hétéronormé. Et comme un pavé dans
la marre, il croise des cultures empreintes de revendications
genrées et politiques, dans une quête sans frontières de beauté
et de justesse. Sa collection précédente, qu’il décrit comme
un cabinet de curiosité, prenait place au Musée national
des sciences naturelles de Madrid. Elle imaginait le parcours
d’une muse qui accumule trouvailles et trésors au fil de ses
péripéties : des volants et des capes à franges aux couleurs
vives de l’Andalousie, des kurtas, ces vêtements traditionnels
indiens ornés de boutons perlés, des sandales type gladiateur
inspirées par la Grèce antique. Le tout détourné et revu avec
une candeur presque provocatrice et ultra-contemporaine :
de la peau qui transparaît sous les tissus, des dénudés osés,
une sensualité cachée là où on ne penserait pas la trouver.
Sa vision lui a valu d’être shortlisté pour le prestigieux LVMH
Prize de 2017, et d’arriver cette même année à la 33e position
au Dazed100, le classement des cent personnalités
qui marqueront l’année du magazine Dazed & Confused.
« Palomo doit être salué pour le message qu’il nous chante.


Ses castings sont toujours diversifiés et il comprennent
systématiquement des modèles masculins ouvertement gay,
à une époque où être un mannequin out peut encore vous faire
perdre des jobs, commente Nick Remsen de Vogue US. Dans
le monde de Palomo, cette liberté, cette ouverture et cet amour
se mêlent profondément avec une sorte de charme irrésistible. »

De Michael Nyman à Rosalía


Chez Palomo Spain, la musique participe évidemment
à cet exercice visionnaire. Dans son studio, quand il conçoit
ses collections, le créateur écoute de tout. Cela va du flamenco
et des musiques espagnoles anciennes à leur réinterprétation
actuelle par Rosalía, notamment, en passant par les petites pièces
de piano de Chilly Gonzales, le dance punk de Reptile Youth,
le minimalisme d’Alva Noto ou encore l’électronique inclassable
de Leifur James. « Des inspirations depuis toujours pour leur
puissance », décrit-il. Cette approche transversale, il l’applique
de façon similaire à la musique de ses shows. Début 2019, pour
accompagner son défilé new-yorkais, « inspiré par une envie
de rencontre entre les Ballets russes et l’avant-garde espagnole »,
Alejandro Gómez Palomo s’est par exemple amusé à enchaîner
« Musique à grande vitesse » (1993) du compositeur anglais
Michael Nyman suivi de  « Waters of Nazareth » de Justice.
Il s’explique : « Nous voulions communiquer un dynamisme
et une contemporanéité auprès du public, instaurer de façon
puissante une vraie émotion au milieu d’une journée à vive allure. »
Pour la plupart de ses présentations, les bandes-sons sont assurées
par Chico-Tropico, un collectif électro-psyché aux sonorités
tropicales venues d’Amérique latine. Les folklores contemporains
et traditionnels se mélangent dans son imaginaire pour un résultat
curieusement poétique. « J’aime mélanger la musique classique
à l’électro, tout naturellement, souligne-t-il. Tout est question
d’équilibre. » Trouver de la poésie dans le contemporain
et de l’irrévérence dans le passé, le tout avec des revendications :
voilà le pari de taille que s’est lancé Palomo Spain et qu’il
relève comme il choisit sa playlist : en écoutant son instinct.
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