Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

32 PAUSE


Samedi soir, minuit. Hugo, 21 ans, n’a pas beaucoup dormi
la nuit dernière. Peu importe, il est trop excité pour être
fatigué. L’étudiant en design graphique a fait le trajet depuis
Lyon avec son déguisement dans son sac, juste pour cette
soirée, la Kindergarten. Il est plutôt fier de son outfit,
de ses manches en fausse fourrure orange, de son maquillage
fuchsia et de la grosse pièce en mousse rose pâle accrochée
à son visage. Les passants encapuchonnés se retournent
sur lui et son déguisement de crabe mutant. Mais là où il va,
il passera presque inaperçu. Une fois franchi le ponton de Petit
Bain, bateau-boîte du sud de Paris, le monde pluvieux du dehors
a disparu. La péniche est peuplée de créatures aussi étranges
que lui. En traversant la foule jusqu’au fumoir, il a déjà croisé
une drag queen en gilet jaune, un trentenaire avec un doudou
à la main et un oreiller accroché sur la tête, un homme plus jeune
en bikini, collant résille et visage peint en bleu façon Avatar. Vite,
Hugo descend les marches jusqu’au sous-sol. Il ne veut surtout
pas rater les performances scéniques, le cœur de la soirée.


Au-dessus du dancefloor, deux danseurs déchirent
la combinaison intégrale d’un jeune homme, puis lui peignent
le corps en blanc. Une métaphore de la naissance, paraît-il.

Hugo danse comme un fou au son de l’acid techno, jubile quand
on complimente sa tenue. Il se sent chez lui. Ce monde-là, il l’a
découvert il y a un an, pendant une soirée queer lyonnaise.
Depuis, comme des centaines de jeunes en France, il s’est pris
de passion pour le club kid. À l’ère du show de télé-réalité RuPaul’s
Drag Race, la scène drag queen explose littéralement aux États-
Unis, en France et dans toute l’Europe. Certains amateurs
de ces soirées sont pris par l’envie de se grimer pour rendre
la fête plus folle, sans pour autant se travestir. C’est le principe
du club kid : dégommer les normes de genre et la bienséance
en se déguisant en tout et n’importe quoi. En animaux,
en objets, en concepts... Un seul mot d’ordre : la flamboyance.

Par Célia Laborie
Photos : Jean Ranobrac


En pleine explosion de la scène drag queen, voilà que le
« club kid » revient à la mode en France. Cette drôle de
pratique, qui consiste à se déguiser en tout et n’importe
quoi pour faire sensation en soirée, s’avère surtout
être un terrain d’émancipation extraordinaire pour la
communauté queer. Immersion aux fêtes Kindergarten,
terrain de jeu favori de ces enfants terribles.
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