Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

Créatures pop


Car donner naissance à des créatures agenres, ni garçon
ni fille, c’est le but de beaucoup de ces clubbeurs. Depuis
le fumoir de Petit Bain, cocktail à la main, Hugo s’explique :
« Quand je me déguise, je ne ressens pas le besoin d’exprimer
une féminité ou une masculinité. Je veux m’affranchir
des normes de genre qui nous contraignent déjà beaucoup trop
au quotidien! J’ai envie de développer une créature au-delà
de ces problématiques, au-delà même d’une nature humaine.
Une fois que j’ai pris cette nouvelle identité, je me sens libéré
de toute barrière sociale, capable d’être à 100 % qui j’aspire
à être. » Parti totalement novice, Hugo a appris à coudre
et à se maquiller. Il récupère des vêtements chez Emmaüs,
emprunte des tissus, des perles et du carton dans les stocks
de son école de design. Petit à petit, il a développé ce style
qui semble tout droit sorti d’un aquarium futuriste. « Depuis
que je suis tout petit, je suis fasciné par le monde marin,
je trouve ça à la fois beau et mystérieux, inquiétant... Ce soir,
on ne sait pas trop en quelle espèce je suis déguisé, et c’est
voulu. L’idée, c’est d’imaginer une créature biochimique
qui serait née suite à la pollution des océans. Imagine un crabe
ou une pieuvre qui se serait approché trop près de déchets
nucléaires! » Oui, vous avez bien compris. Avec son maquillage
orangé, Hugo porte un message écologiste : il s’engage pour
la protection de la biodiversité des océans. Et à chaque
Kindergarten, il trépigne à l’idée d’expliquer le sens
de son costume et de découvrir les club kids confirmés qu’il
suit sur Instagram. Comme s’il se rendait au vernissage d’une
exposition où les œuvres déambulent et dansent toute une nuit



  • avant de disparaître sous les lingettes démaquillantes.


Les visages qu’on croise ici sont parfois enfantins, parfois
sexy ou dérangeants. Klaus, qui gère les événements
et les performances, vient de descendre de scène, laissant
la place à d’autres fêtards téméraires. L’étudiant en arts
plastiques porte ce soir une grosse perruque façon Marie-
Antoinette et un ras-le-cou serti de tétines ; des ballons
de baudruche multicolores sont accrochés autour de sa taille.
Créatures pop et inquiétantes, ses déguisements sont
toujours des représentations de son état intérieur. « Je suis
passé par une période très sombre, où je me déguisais
avec des masques en fil de fer, des anneaux, des coques
énormes, des vêtements militaires... Mon shopping pour
les soirées, je le faisais au rayon quincaillerie de Leroy Merlin!
Aujourd’hui je suis un peu plus joyeux, mais j’ai toujours
eu un problème avec ma propre masculinité, et l’exacerber
dans mes déguisements, c’est une façon de me sentir mieux
avec. Ça me permet de prendre de la distance, de mieux
comprendre mon état émotionnel. » David, une lentille
blanche sur l’œil droit et une large fraise en tulle jaune
autour du cou, interrompt sa conversation avec une amie
drag queen pour renchérir : « Mes costumes sont souvent
une incarnation de mon moi intérieur. Ces temps-ci,
je me sentais instable émotionnellement, je m’énervais
pour rien. Alors je me suis déguisé en éclair. »

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