Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

PLAY 5


ÉDITO


Il y a quelques semaines, je me suis mis à regarder la série
Abstract : The Art of Design de Netflix. Dans le premier épisode,
l’illustrateur Christoph Niemann, auteur de nombreuses
couvertures du New Yorker, nous parle du cœur. Plus précisément,
de la bonne façon de le dessiner pour qu’il soit interprété
comme symbole de l’amour. Ce juste équilibre pictural, il
le place au centre d’une échelle allant d’un abstrait carré
rouge à un rendu hyper-réaliste de l’organe, valves et artères
dégoulinantes en prime. Le résultat est évidemment celui-ci : ♥


Se fier à une échelle, c’est pourtant mesurer. Et donc normer,
accepter... ou rejeter. En 2000, l’artiste house français
Demon sortait le clip de « You Are My High ». Un gros plan
de plusieurs minutes sur le baiser de deux adolescents. Tout
universel qu’il soit, ce symbole-là n’entrait pas dans la norme.
Pas en le montrant ainsi, qu’importe que les protagonistes
fussent majeurs, consentants, blancs et hétéros. Des
associations porteront plainte auprès du CSA. La vidéo sera
censurée sur M6. Elle deviendra bien évidemment culte.


BISOU


La couverture de ce numéro rend hommage à ce petit acte de
bravoure. Elle reprend la photo, prise par Jurgen Ostarhild, qui
a inspiré le clip de Demon. Plus qu’un flashback nostalgique
(20 ans, déjà !), il s’agit de titiller, une nouvelle fois, le « juste
équilibre » de l’amour. Dans ces pages, nous parlons des safe
spaces (p.38), ces dancefloors qui se mobilisent pour exclure
les oppresseurs afin que d’autres puissent vivre leur identité
et leur sexualité librement. Que dit la popularisation d’une
telle démarche au sujet de nos normes amoureuses? Qu’elles
méritent d’être bousculées, déconstruites, repensées. Pour les
redéfinir ensuite? Pas forcément, répondent les Club Kids
(p.30). Leurs costumes et métamorphoses flamboyantes ouvrent
grand la porte des fantasmes et envisagent un dépassement
des genres, voire de l’humanité. Des perspectives qu’explorent
aussi les artistes réuni·e·s dans notre portfolio, p.56.

« Transhumanisme », « genderfuck », « polyamour »... Les termes
pour penser l’amour de demain ne se situent assurément pas au
centre de l’échelle. Espérons que leur richesse puisse, elle aussi,
être un jour acceptée et formulée avec une telle simplicité : ♥

Lucien Rieul, rédacteur en chef
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