Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

68 PAUSE


ne porte pas encore ce nom, le zeitgeist a un goût de révolution
à Stanford, du côté de Palo Alto. « Il y avait une contre-
culture très dynamique, plante John Markoff, auteur
de What the Dormouse Said : How the Sixties Counterculture Shaped
the Personal Computer Industry, le livre référence sur l’influence
des psychédéliques dans l’histoire de l’informatique. Il y avait
la drogue, mais aussi la musique, la politique et un puissant
mouvement pacifiste. » Des deux côtés du campus de l’université
de Stanford, des scientifiques expérimentent. Les uns, avec
la technologie naissante – les ordinateurs ne sont encore
que d’énormes machines dont ingénieurs et étudiants
se partagent le temps de calcul. Les autres, dans le domaine
en plein essor de la recherche psychédélique thérapeutique.


En plus de leur berceau géographique, ces deux communautés
partagent la conviction du pouvoir transformateur de leur
objet d’étude, notamment sur l’intelligence humaine. Dans
son laboratoire, l’Augmentation Research Center, Doug Engelbart,
inventeur de la souris, des hyperliens et de l’ARPANET
(l’ancêtre d’Internet), explore son concept d’« augmentation
de l’intelligence humaine » à travers l’ordinateur, les réseaux
informatiques et les expériences de design de groupe. Côté
psychonautes, des groupes s’affranchissent des conditions strictes
des tests thérapeutiques. C’est le cas notamment de Al Hubbard,
surnommé le « Johnny Appleseed du LSD », du nom d’un
botaniste et pépiniériste américain, célèbre pour avoir administré
la molécule à plusieurs centaines de personnalités haut placées.
« Il voulait déterminer si le LSD pouvait améliorer la créativité »,
rappelle John Markoff. Hubbard convoque artistes, scientifiques
et ingénieurs à ses expériences. Parmi eux, Doug Engelbart.


Cette aventureuse décennie a laissé son empreinte
dans ce qui deviendra la Silicon Valley, de l’expérience
du LSD par Steve Jobs – l’une des « plus formatrices de [sa]
vie », dira-t-il à Burning Man – jusqu’aux actuels « microdosing
fridays » des entrepreneurs en quête d’idées innovantes. L’Internet
des débuts était d’ailleurs une formidable utopie tout droit
issue de la contre-culture : libre et ouvert, sans frontière, sans
hiérarchie, gratuit et fondé sur le partage. « Au nom de l’avenir,
je vous demande, à vous qui êtes du passé, de nous laisser
tranquilles », écrit dans la Déclaration d’indépendance du cyberespace
(1996) John Perry Barlow, pionnier d’Internet et parolier
du groupe de rock psychédélique Grateful Dead. Avant
de conclure : « Nous allons créer une civilisation de l’esprit dans
le cyberespace. Puisse-t-elle être plus humaine et plus juste
que le monde que vos gouvernements ont créé. » Faire table
rase? Un des effets de l’acide, rappelle Michael Pollan dans
How To Change Your Mind, est de dissoudre les frontières entre
réalité et fiction, les notions de hiérarchies, l’ego et de donner
l’impression qu’il est possible de tout recommencer à zéro.

Nineties, l’ère des zippies


Sous-culture d’une contre-culture, le cyberdélisme
est un mouvement de niche assez mal documenté. À Londres,
au début des années 90, un groupe de cyberpionniers essaie
pourtant de le rendre plus concret et IRL. Fraser Clark, fondateur
du magazine indépendant Encyclopedia Psychedelica (EPi), milite
pour un retour de l’esprit hippie sous une forme plus moderne.
Ainsi naissent les zippies, fusion entre le flower power du summer
of love américain de 1967 et les ravers britanniques de 1988. 
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