Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

78 record


À une époque où le rock se ringardise – tout le monde se met alors
à écouter « un peu de tout » – , c’est d’Islande que va venir l’un
de ses derniers grands disques depuis Nirvana, un peu avant
Elephant (2003) des White Stripes. Si Von, premier (et modeste)
effort de Sigur Rós, est paru en 1997 dans le sillage du post-
rock de Labradford et de la folk psyché industrielle de Current
93, leur deuxième album est lui un pavé dans la marre. Ágætis
Byrjun est à l’image du pays qui l’a vu naître : une nature
si désolée qu’elle ne propose aucun cadre, un espace permettant
la plus grande des libertés, celle d’oser le hors-piste le plus
original. Vingt ans plus tard, on célèbre en grande pompe
ces arrangements de cordes, cette voie élégiaque, cette guitare
jouée à l’archet, une singularité rock-but-not-rock. Flashback
avec Georg Hólm, bassiste du groupe et dernier membre actif
aux côtés du guitariste et principal chanteur Jón Þór Birgisson.


Trax : Tout le monde ou presque vous à découvert avec
Ágætis Byrjun. Ce n’est pourtant pas votre premier disque.


Georg Hólm : C’est techniquement notre deuxième album



  • même le troisième si l’on compte l’album de remixes –,
    mais à bien des égards, c’est véritablement un premier album.
    Sur Vo n, on était juste une bande de potes qui s’amusaient
    dans le studio rudimentaire d’un copain. Même si on l’aime
    encore beaucoup, c’était plus le reflet de nos influences
    que de ce qu’on cherchait à exprimer personnellement.


la Seconde naiSSance


de Sigur roS


Par Christian Bernard-Cedervall En 1999 sortait Ágætis Byrjun. Avec ses chansons


qui s’étirent en longueur, chantées en islandais,
parées de sonorités aux antipodes des canons
esthétiques d’alors : cet album n’est pas vraiment
taillé pour le succès. Il allait pourtant saisir le coeur
et l’imagination de toute une génération. Vingt ans
et une magnifique réédition plus tard, Georg Hólm,
l’un de ses orfèvres, revient sur sa création.

derrière le diSQue


Avec cette réédition, c’est en quelque sorte
l’anniversaire de votre naissance?

Pour ainsi dire, oui. Vingt ans après une telle aventure, ça nous
semblait pertinent de célébrer l’anniversaire de la sortie avec
une édition assez spéciale. C’était important de marquer le coup,
évaluer d’où l’on est partis et révéler l’ensemble du contexte
de l’époque. Il y a donc un live enregistré le jour de la sortie,
avec des chansons de l’album jouées dans des versions assez
éloignées de ce qu’elles sont devenues. Il y également beaucoup
de démos et d’inédits, des choses qu’on ne pensait jamais
sortir, mais qu’on n’avait pas pour autant jetées à la poubelle.
Il a juste fallu un peu de temps pour accepter de les « lâcher ».

Au moment d’enregistrer l’album, étiez-vous
conscients d’avoir de l’or entre les mains?

Je me rappelle que contrairement à notre précédent
enregistrement, on a compris durant les répétitions qu’on
tenait un truc spécial, et qu’il ne fallait pas se louper. Du coup,
on a loué un vrai studio d’enregistrement professionnel,
ce qui se faisait de mieux alors en Islande : du matos dernier
cri, la meilleure console de mixage disponible et aussi plein
de trucs vintage vraiment intéressants. Ce n’était pas facile,
parce qu’on avait tous un boulot, on bossait littéralement pour
avoir les moyens d’enregistrer. Chaque journée supplémentaire
était une victoire. Chaque minute comptait. On sortait
du taf le soir pour aller au studio et on le quittait comme
des zombies vers 7 heures du matin pour retourner bosser,
sans vraiment avoir dormi. Ça restait amusant et excitant,
mais c’était avant tout une sorte de mission qu’on s’imposait.
Vu toutes les contraintes, on s’obligeait à être plus ambitieux
à chaque session, histoire que ces sacrifices ne soient pas vains.
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