Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

record 79


Aviez-vous tout de même un peu de recul
pendant l’enregistrement?


On a tout fait nous même : les prises de son sur bande
magnétique, le mixage, etc. Et à chaque nouvelle chanson dans
la boîte, il faut avouer qu’on était assez surpris du résultat. C’était
assez différent des répétitions et bien meilleur que ce qu’on
imaginait. Du coup, on a passé encore plus de temps sur une sorte
de pré-post production, ajoutant des couches et des couches
de sons, de traitements et d’effets, pleins de petits détails
ponctuels pour briser la monotonie. On était très fiers, en fait.
C’était vraiment le jour et la nuit par rapport à Vo n. Ce n’est
pas un hasard si c’est le seul de nos vieux disques dont on joue
encore des chansons. Non pas parce qu’il est populaire, mais
parce qu’on y trouve encore de l’inspiration, vingt ans plus tard.


Quelles étaient les attentes autour de vous?


La scène musicale islandaise de l’époque était, comment dire...
Si tu faisais un concert quelque part, il y avait une dizaine
d’autres groupes qui jouaient au même concert. Dans le public,
il n’y avait donc que les autres groupes, ou presque! On jouait
tous les uns pour les autres. Tout le monde était très potes, mais
en termes de « fans », c’était très limité. Quand on a commencé
à jouer les premières versions des chansons d’Ágætis Byrjun,
on a tout de même commencé à s’attirer un petit public. C’est
aussi ça qui nous a motivés à tant miser sur l’enregistrement :
il y avait un peu d’anticipation. Mais de là à dire qu’on
s’attendait à trouver un public au-delà de Reykjavík...


Et pourtant.

C’est arrivé très vite et ça nous a plongés dans une sorte
de confusion totale. On enchaînait les réunions avec les labels,
les avocats, etc. C’était presque plus de boulot que l’enregistrement,
et certainement pas plus marrant. Heureusement, on a rapidement
enchaîné les concerts, ce qui nous a permis de ne pas perdre
le fil de l’aventure. Vu le format des morceaux, chaque concert
nous donnait l’occasion de creuser un peu plus la matière,
parfois radicalement, de ne jamais nous retrouver dans
la posture du groupe qui est là pour dérouler sa tracklist.

Esthétiquement, l’album semble en quête d’une « beauté
à tout prix ». Un postulat assez inhabituel à l’époque.

C’est vrai que c’est un album qu’on pourrait qualifier de « joli ».
Par rapport à nos autres disques, il y a beaucoup plus l’idée
de la recherche d’une beauté « esthétique ». Je ne dirais pas qu’il
est naïf, mais il y a une forme de candeur, on n’y trouve pas de traces
de noirceur. C’est d’ailleurs assez étonnant, car nous sommes
toujours à la recherche de contrastes. On écoutait beaucoup
de musiques différentes, comme Led Zeppelin ou Spiritualized,
Neil Young, les Smashing Pumpkins, etc. On avait tous
des opinions très fortes, souvent contradictoires. On a passé
pas mal de temps en amont à conceptualiser ce qu’on voulait
faire, à chercher un chemin original entre toutes ces influences,
histoire d’imaginer quelque chose que ces artistes auraient
loupé. Encore aujourd’hui, quand on écoute le reste de notre
discographie, Ágætis Byrjun reste singulier. Je ne suis pas sûr qu’on
pourrait encore faire quelque chose d’aussi... innocent?
Free download pdf