Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

80 record


Il se singularise également par une attention
toute particulière au design sonore.


Au-delà de l’aspect « composition », on voulait aussi intégrer
une dimension « producteur », jouer avec les sons et l’ordinateur,
plus que les synthés. La production électronique nous a toujours
intéressés : couper des éléments, les jouer à l’envers, les ralentir,
et les réintroduire dans la chanson, presque comme des parasites.
En plus d’être amusant, ça casse la routine et multiplie
les pistes. On a par exemple passé des heures à s’enregistrer
en train d’arracher de l’herbe pour faire un beat. Ailleurs,
sur une track avec une batterie très présente, on est allés dans
une imprimerie pour enregistrer les bruits des machines et mixer
le tout ensemble, afin d’obtenir un son moins identifiable.
On n’ajoutait pas ça à la fin, histoire « d’améliorer », c’était
un véritable choix créatif. Nous voulions troubler la perception
des sons classiques d’un groupe de rock, partout où c’était
possible. Cette démarche nous offrait souvent l’idée de départ
des morceaux, au point que les instruments et machines
défectueuses furent souvent la source d’inspiration principale.


Mais vous demeurez un groupe vocal.


L’écriture des paroles est l’aspect le plus laborieux de notre
processus. On bosse dessus comme des fous et ça arrive presque
toujours en dernier. On écoute la musique qu’on a enregistrée
en se demandant ce qu'elle évoque, et on écrit en fonction de ça.


Au-delà de la nature de votre son, ce coffret spécial
pour l’anniversaire de l’album témoigne aussi
d’un attachement à « l’objet » dans la musique.

Même si 95 % des gens utilisent le streaming, personnellement
je suis encore très attaché à cette connexion physique
avec un objet, surtout s’il est beau. Quand j’ai vu le coffret
de la réédition pour la première fois, il y a une semaine,
j’étais presque ému. Comme vous l’avez remarqué,
j’aime me plonger dans les détails, et un tel objet t’offre
la possibilité d’exprimer une multitude de choix sur le papier,
la couleur, le type d’impression... OK, ce n’est pas hyper
démocratique niveau prix, mais le plus important, c’est
de continuer de proposer des choses différentes.

la dématérialisation est pourtant devenue
l’une de vos sources d’inspiration.

On bosse depuis huit ans avec la start-up Magic Leap
sur un projet de réalité augmentée qui permet notamment
de proposer une expérience audiovisuelle et subjective de notre
musique, unique à chaque écoute. C’est très stimulant, mais
c’est aussi une sorte de boucle : pour nous, la musique est elle-
même une forme de réalité augmentée, un embellissement
de notre expérience du réel, au sens le plus abstrait. On célèbre
aujourd’hui un disque dont les premières notes ont été émises
il y a vingt ans, et qui, par le biais de la physique et des ondes
radio, se propagent encore, éternellement. Elles rencontrent
aujourd’hui l’émission de nouvelles versions de ce signal.
Dans dix ans, avec les nouvelles technologies, des versions
d’une autre nature s’y mêleront encore, hors de notre
contrôle. C’est ce challenge qui nous enchante le plus.

Sigur Rós, Ágætis Byrjun, réédition 20e anniversaire
sortie le 21 juin chez ADA/WARNER.

« On sortait du taf
le soir pour aller
au studio et on le
quittait comme des zombies
vers 7 heures du matin
pour retourner bosser »
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