Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

86 record


En bon anarchiste, le dessinateur Alan Moore a toujours
distillé les bases de sa philosophie là où il le pouvait, même
dans les publications de l’un de plus gros éditeurs américains,
DC Comics. Pas étonnant que sa saga Watchmen ait tant inspiré
les raves des années 80 et que Bomb The Bass ait rapidement
détourné son fameux badge « Smiley » pour en faire le signe
de ralliement d’une jeunesse qui faisait des doigts à la Dame
de fer. Grand amateur de comics et de manga, Nathan Micay,
avec Blue Spring, son premier album sous son nom, entend
réactualiser le potentiel populaire de la BD. Ce concept-
album (et premier disque « abouti »), le producteur l’a construit
« comme un story-board, avec tous les “chapitres” épinglés
sur le mur de [son] salon ». « Pendant mon adolescence, j’étais
complètement obsédé par Pink Floyd, nous raconte-t-il.
Contrairement à Led Zepplin, par exemple, ils m’embarquaient
dans une véritable histoire, pas juste une compilation
de morceaux. Aujourd’hui, James Holden ou Jon Hopkins
font un peu ça. J’ai voulu travailler dans ce sens. »


Lorsque Nathan présente le projet au boss du label LuckyMe,
et graphiste pour Warp, Dominic Flanagan, ce dernier lance
l’idée d’adjoindre une BD au disque. La paire avait déjà collaboré,
trois ans auparavant, sur une mixtape en hommage à Akira.
Le succès avait été au rendez-vous, et aujourd’hui l’esthétique
du manga culte et son esprit de rébellion sont de nouveau
adoptés. Cette fois, ils intégreront une thématique plus proche
de l’histoire de la dance music. « Nous avons imaginé que lors
de la fameuse rave de Castlemorton en 1992, laquelle a servi
de prétexte au gouvernement pour passer le liberticide Criminal
Justice Act, la jeunesse ne se serait pas laissée faire. Dans l’album,
cet événement devient alors le point de départ d’une révolution. »


album du moiS / monde


natHan micay


neo tecHno


Blue Spring s’écoute comme le documentaire audio
de cette révision utopique. Parcouru de sons de la nature,
des commentaires de reporters de l’époque, de prophéties,
il brille pourtant avant tout par son romantisme. Qu’elle soit
ambient ou dancefloor, la musique fait la part belle aux mélodies,
aux harmonies flamboyantes, avec une certaine dimension
psychédélique. Dépassant son travail de réappropriation
minimaliste de la trance à l’ancienne – on pense à Orbital,
Future Sound Of London –, Micay revêt l’habit de l’activiste.
« La musique électronique actuelle est de plus en plus politique,
mais le discours se limite souvent à la twittosphère. Pourtant,
le climat avec les autorités redevient de plus en plus tendu,
estime-t-il. Il est important de réveiller les consciences. Est-ce
que la musique électro va devenir une gigantesque industrie sans
cause, ou parviendrons-nous à trouver un équilibre avec l’esprit
de communauté des débuts? » En fin de course, les années
90 avaient vu les méga-raves de la frénésie acid house faire
faillite. Et aujourd’hui, à la fin des années 2010, l’engouement
actuel, ses innombrables festivals et ses cachets mirobolants
posent question. Nous dirigeons-nous vers un bis repetita?
Nathan Micay et son album tentent une forme d’exorcisme
préventif, louable tentative de réintroduire du politique dans
une musique dont ce fut longtemps l’une des grandes qualités.

Nathan Micay, Blue Spring, sortie le 3 mai sur LuckyMe

Par Christian Bernard-Cedervall Une obsession pour le manga Akira, un voyage dans


le temps, la révolution. Avec ces ingrédients, le premier
album du producteur canadien entreprend de réécrire
un bout de l’Histoire contemporaine. Et si, au lendemain
d’une rave cruciale des années 90, un soulèvement de la
jeunesse s’était substitué à la victoire des conservateurs?
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