Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

88 record


Inutile de présenter Jean-Benoît Dunckel, son art de la
mélodie et son exemplaire parcours d’orfèvre pop avec Air.
Mais sa rencontre avec Jonathan Fitoussi mérite quelques
éclaircissements. Connu pour des disques ambient/
drone/expérimentaux chez Versatile et ailleurs, ce dernier
est plus familier d’une culture noise à la Sonic Youth
que des excentricités de Brian Wilson et ses Beach Boys.
Contribuant depuis des années à jeter des ponts entre la culture
électronique et la musique expérimentale du GRM (son
boulot chez Mego Editions et son label Transversales),
Jonathan est de ces musiciens à la fois exigeants et capables
de comprendre la démarche punk Do It Yourself de la musique
électronique. C’est la greffe de cet univers qui n’a pas peur
de se salir avec celui plus délicat d’une des têtes pensantes
de AIR qui est l’enjeu de cette étonnante rencontre.
« L’artiste contemporain Xavier Veilhan avait construit
un studio d’enregistrement pour la Biennale de Venise en 2017.
Un projet incroyable, à visiter, mais surtout destiné à provoquer
des collaborations dans le meilleur contexte possible. Peu d’entre
elles ont réellement duré, mais avec JB, on s’est bien entendus,
ce qui n’était pas si évident que ça au départ », nous raconte
Jonathan. De retour à Paris, ils décident de ne pas en rester
là et décident de poursuivre l’expérience afin de mieux découvrir
où leurs styles musicaux respectifs peuvent se rejoindre.


album du moiS / france


Jb dunckel


JonatHan fitouSSi


la détente


« JB était en train de racheter le studio de Air pour l’occuper tout
seul, et à mesure que Nicolas Godin (l’autre moitié de Air, ndlr)
récupérait ses instruments, il y rapatriait des machines qu’il n’avait
pas utilisées depuis des années. Durant cette période de remise
en question, j’ai débarqué avec des synthés qu’il n’avait pas et j’en
ai aussi découvert chez lui certains que je n’avais jamais vus. C’était
une grosse réunion de geeks! » Dans un premier temps, il s’agit
de définir un univers commun et de s’apprivoiser culturellement
au fil de nombreuses séances d’écoute de disques, dont beaucoup
de Krautrock, de Brian Eno ou de musique concrète.
« Je n’ai pas la même aisance mélodique que JB, ni sa science
de l’harmonie. Ma démarche de compositeur et de producteur
l’a parfois un peu surpris. Il voulait aussi quelque chose
de plus indé, élégant. Vu que le projet ne s’est pas fait dans
l’urgence, nous avons eu le temps de digérer et de nous
approprier le résultat, décrit Jonathan. Par exemple, la dernière
plage drone, « Monolake », est au départ une idée qui venait
plutôt de moi. Ce genre de morceau est un peu moins dans
la culture de JB. Ça lui a pris quelques mois pour se dire qu’il
trouvait ça super. Attention, il n’était pas contre au départ!
Mais il n’était pas encore complètement en confiance. »
Quel amateur de synthétiseurs analogiques n’apprécierait pas l’idée
de jouer la même note sur une douzaine de machines différentes
et d’enregistrer le tout sur des pistes séparées pour le simple plaisir
du son ? Si Mirages évoque parfois les harmonies de Air, l’album
y apporte néanmoins une âpreté nouvelle. Et en fermant les yeux,
il est possible d’entendre une grosse session jam entre Roedelius,
Jean-Claude Vannier et Charlemagne Palestine au GRM.

Jonathan Fitoussi & JB Dunckel, Mirages,
sorti le 14 mai sur The Vinyl Factory

Par Christian Bernard-Cedervall Quand le geek de AIR rencontre un gourou moderne


des synthés analogiques, c’est deux cultures
mitoyennes qui se retrouvent en collocation.
Pour un bail qu’on espère de longue durée.
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