Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

92 record


Avant de débarquer à Berlin il y a quelques années, James
Barrett a été le champion local de la techno d’Auckland
en Nouvelle-Zélande. Une scène isolée, voire carrément
en retard sur son temps. « Là-bas, ça arrive de temps en temps
de voir mixer Omar S ou des gens comme ça. Mais en général,
ça n’attire pas plus de 150 ou 200 personnes. Le public veux voir
des groupes rock, indie ou de la drum and bass commerciale,
décrit James. Alors, autant dire que quand on faisait venir Perc
ou Ansome, on pouvait à peine compter sur 80 personnes.
On n’avait pourtant aucune concurrence! » En partant de rien,
le producteur va promouvoir dans son coin une scène indus,
diffusant sur Soundcloud ses productions jusqu’à se faire
remarquer par les labels et artistes pionniers du genre qu’il
invite à venir dès qu’il le peut. « Plus jeune, j’étais un vrai nerd
de musique. Je faisais du hip hop, j’étais batteur dans des groupes
punk hardcore, tout en étant très branché bass music et dubstep.
Puis j’ai découvert la house et une techno assez sombre. Ce lien
entre mon passé punk et mon amour naissant pour la dance
music, c’était ce que j’avais toujours cherché sans le savoir. »
Si dans un premier temps il réussit à fédérer quelques curieux,
le caractère transgressif de cette musique se marie peu avec
la culture essentiellement conservatrice d’Auckland, où les gens
se foutent des nouvelles tendances. À tel point que l’exil
lui semble être la meilleure perspective. « On n’a jamais vraiment
réussi à créer une scène, sauf si une scène, c’est trois ou quatre
personnes... On était vraiment trop à contre-courant. Alors oui,
Berlin était la solution logique. J’y avais plein de connaissances
et économiquement, ça faisait sens. Mais maintenant que j’y
suis, je me heurte à un paradoxe : la techno indus est presque
la norme. Ça n’a rien de transgressif. Les soirées sont remplies
de clubbeurs habillés en noir, presque en uniforme. »


album du moiS / france


keepSakeS


effetS


SecondaireS


Comme elle l’a toujours fait, la musique de James
Barrett commence donc à chercher ailleurs, en marge
de ce nouveau paradigme. « Modern Anxious Vernacular »
ralentit par exemple significativement le tempo de sa zone
de confort, introduisant des mélodies toujours sauvages,
mais qui ne cherchent plus à décapiter l’auditeur. « J’ai
l’impression que la scène est actuellement proche du point
de rupture où tout sonne pareil, regrette-t-il. Les gens
semblent davantage vouloir faire l’expérience d’un Berlin
fantasmé, plus que le simple fait de vraiment faire la fête. »
Si la musique de Keepsakes est toujours la bande-son
idéale des entrepôts désaffectés, elle se réconcilie avec
le groove, témoignant d’un musicien qui trouve désormais
plus d’inspiration au Panorama Bar qu’au Berghain, quitte
à braquer son public, trop souvent à la recherche d’une
expression musicale quasi nihiliste. « J’ai bien conscience
que je prends un risque, mais je veux remettre la musique
au centre de ce que je fais, moins me soucier du business
et du booking, assume-t-il. Notre scène est trop fermée
sur elle-même, il y a trop de disques qui sortent, trop de DJ's.
C’est de moins en moins viable. Ça devient une compétition,
mais pas vraiment sur le plan créatif. Avec cet EP, je me suis
dit « fuck it ». Autant faire ce que j’aime vraiment! »

Keepsakes, Modern Anxious Vernacular, sorti le 3 mai 2019 sur Haven

Par Christian Bernard-Cedervall Fer de lance d’une techno industrielle sans merci,


symptôme d’une époque trouble, Keepsakes amorce
un virage inattendu avec son nouveau maxi : fidèle
à son ADN brutal, une musicalité nouvelle émerge
pourtant, signalant un artiste plus versatile que prévu.
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