Trax N°223 – Été 2019

(C. Jardin) #1

94 record


« Un jour, je parlais au téléphone avec ma proprio.
Dans la discussion, comme ça, je lui demande de combien de mois
était mon préavis, si jamais j’en venais à quitter mon appartement.
Elle me dit que si je voulais partir le mois prochain, c’était bon.
J’ai répondu : “OK, banco !”, mais en raccrochant, je me suis dit
“merde”. Je n’avais rien prévu. En fait, je commençais à faire un rejet
de Paris. C’était une manière assez casse-cou de me bouger. »


maxi du moiS / france


coSmo vitelli


coup de tête


Pendant plus de 15 ans, Benjamin, alias Cosmo Vitelli, a fait
bouger Paris. Par sa musique, ses soirées, son label, les artistes
qu’il a produits, il fut un acteur majeur de la scène francilienne.
Pourquoi la quitter, alors? La gentrification de la capitale, la hausse
des loyers, l’économie précaire des artistes... Le temps qui passe,
aussi. « Tu peux avoir fait quelque chose d’hyper abouti à vingt
balais et te chercher pendant quinze ans après. L’expérience
compte peu, ça peut même être très inhibant, nous explique-
t-il. Ta vie, ton environnement, c’est ça le plus important.
Mon rapport à la musique n’est pas si spontané, je me suis rendu
compte que je m’étais enfermé dans une zone de confort. Il faut
être courageux pour être producteur, aujourd’hui. C’est moins
gratifiant que d’être DJ : un mois après la sortie de ton disque,
tout le monde est passé à autre chose. Dans une ville comme
Paris où l’image est primordiale, c’est une souffrance. »

Une histoire d’amour qui se termine, c’est de nouveaux réflexes
à trouver. Devenir un artiste expat’, c’est aussi réapprendre
à ne plus exister dans le regard des autres. « Il y a tellement
d’artistes et de clubs à Berlin que ça fait dégonfler l’ego.
Tu recommences à zéro, mais c’est sain de devoir prouver que l’on
a encore quelque chose à dire. » Cosmo remet le son au centre.
Il sort du studio, va danser, joue bénévolement, redécouvre
la dimension sociale de la musique. Patiemment, Berlin l’apprivoise.
Et ça finit par payer. Après deux précédents maxis honnêtes,
cette première sortie pour Malka Tuti (Khidja, Die Orangen)
est le disque qui lui ressemble le plus. Une musique irrégulière,
oscillant entre électrique et électronique – le krautrock n’est
jamais loin –, vénéneuse et psyché, hors format. « J’ai voulu
jouer sur une dimension un peu factice, de mise en scène,
en donnant un aspect live à une musique qui ne l’est pas du tout.
Mon boulot de producteur, c’est de redonner un sens
à tous ces sons, sans que ce soit laborieux. » Avec des plages
minutieuses qui sonnent comme un groupe garage haranguant
une Haçienda sous kéta, Cosmo Vitelli semble enfin avoir
retrouvé le fil d’une démarche aussi ludique que passionnée.
Une promesse à confirmer avec de prochaines sorties chez
Malka Tuti et sur les Disques de la Mort d’Ivan Smagghe.

Cosmo Vitelli, Holiday In Panikstrasse Part 1,
sortie le 31 mai chez Malka Tuti.

Par Christian Bernard-Cedervall Pendant le long trou noir de la nuit parisienne, Cosmo


Vitelli fut l’un des rares phares pour les clubbers avides
de sons ésotériques, ou plus généralement de ce qui
se faisait de pertinent. Cette nuit s’est réveillée, mais
Cosmo l’a quittée. Pour Berlin et pour se réinventer.
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