VSD N°2141 – Août 2019

(Brent) #1

LA DEMEURE


DU POETE


Victor Hugo


Après deux ans de travaux, Hauteville House, la maison
où l’artiste a vécu en exil, à Guernesey, a été rouverte au
public. Venez visiter l’épitaphe architecturale de l’auteur de
“Notre-Dame”. Un temple patchwork à sa démesure.
PAR YVES QUITTÉ PHOTOS CYRIL BITTON POUR VSD

U


ne masure » de 1 200 m^2 ,
comme l’écrivait Victor
Hugo, située au 38 Haute-
ville, à Saint-Pierre-Port,
payée 24 000 francs le
16 mai 1856 grâce aux droits
d’auteur des Contemplations. Elle sera
sa forteresse, le temps d’un exil de 14 ans.
Après avoir séjourné à Bruxelles, à Jersey
puis au 20 Haute ville, future demeure
de Juliette Drouet. Le poète devient pour
la première fois landlord, propriétaire, et
n’est, en tant que tel, plus expulsable par
la reine Victoria. Il a 54 ans.
Sa maison devient son obsession.
Quand il n’écrit pas, entre 6 heures et
midi, le dramaturge s’improvise maître
d’œuvre, architecte, ébéniste, tapissier,
sculpteur et peintre ! Littéralement
envoûté, comme le seront ses visiteurs,
dont Alexandre Dumas en 1857.
Au- delà du chantier permanent,
Victor Hugo conçoit une œuvre à part
entière, lyrique et grandiloquente.
Comme lui. « Un véritable autographe
de trois étages, un poème en plusieurs
chambres », elon le premier de ses fils, s

Charles, qui ajoute : « Il a le goût du
démesuré, du colossal. »
L’auteur de Ruy Blas imagine chaque
pièce comme un décor théma tique avec
force messages morbides, énigmes
philosophiques et symboles littéraires,
religieux et républicains en latin. Pas
un mètre carré de ce lieu mémoriel où
il n’ait apposé sa patte et sa signature.
Les cheminées, telles des cathédrales
de bois sculpté, les faïences, les tapisse-
ries, les damas, les feutres, les brocatelles
ou les céramiques de Delft arborent des
« V » et « H » en veux-tu, en voilà !
Visant toujours des « buts élevés » et la
lumière, le poète devient architecte.
Ainsi veut-il illuminer ce clair-obscur
à la Rembrandt en aménageant deux
jardins d’hiver, où il cultive de la vigne,
et un lookout, au troisième, son antre.
Un étage monacal, où il dort et travaille
face à la mer, face à la France. Seulement
ces « cristal rooms », instables et sans
fondations, résistent mal au climat et
aux infiltrations. En 1872, lors de son
retour sur l’île, juste pour un an, Hugo
rejoue au maître d’œuvre. Après l l l

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