Afrique Magazine N°395-396 – Août-Septembre 2019

(Marcin) #1

PARCOURS


20 AFRIQUE MAGAZINE I 395-396 – AOÛT-SEPTEMBRE 2019

ensibiliser, révéler, alerter, tels sont les maîtres-mots qui animent Seif Kousmate au nom
de la liberté d’informer. Avec son œil vif, cet autodidacte sillonne le continent. « Je considère
la photo comme un médium susceptible d’insuffler un changement universel, qui montre
la souffrance des sans-voix pour améliorer notre compréhension commune de l’humanité »,
précise-t-il. Né à Essaouira en 1988, aîné d’une fratrie de quatre, Seif tue le temps entre
les cours et la plage, tout en s’occupant de ses frères et sœurs : « J’étais très sensible à mon
environnement, je débordais d’imagination. » Après des études d’ingénierie à La Rochelle,
il se passionne pour le huitième art, car il est de la lignée de ceux qui éveillent les consciences.
Profondément touché en 2014 par le sort d’un migrant subsaharien en errance sur la route
reliant Tanger à Tétouan, il décide de suivre la traversée périlleuse de ces invisibles lors de son premier reportage
en 2017. « Ce que l’on voit à travers les photos n’est rien, comparé à la réalité. J’ai vécu plusieurs semaines avec ces
hommes au cœur du mont Gourougou [situé au nord du pays, ndlr], chassés dès l’aube par les militaires qui mettent
le feu à leurs abris de fortune. Ils se nourrissent de pattes de poulets, du peu qu’ils trouvent, et on ne les considère
que selon un matricule ou un flux migratoire. Pour moi, chacun d’entre eux a une histoire », confie-t-il en pianotant
sur son ordinateur pour nous présenter les protagonistes de ses puissantes séries. C’est le portrait d’un migrant
muni de crochets, dont il se sert pour grimper aux clôtures, qui frappe par sa force. Il a traversé clandestinement
la frontière entre l’Algérie et la Mauritanie. Son but? « Atteindre l’Europe au prix de sa vie », souligne Seif Kousmaté.
En proie à un véritable questionnement, il met ensuite le cap sur la Mauritanie en 2018. Après une
préparation de plusieurs mois, soutenu par des activistes, il y dénonce l’esclavage traditionnel, encore tabou.
« J’ai grandi au Maroc, en ignorant totalement qu’une frange de la population vivait à l’état d’esclaves dans
un pays proche du mien. J’y ai rencontré des hommes, des femmes et des enfants très fragilisés qui vivent
dans des bidonvilles éloignés de Nouakchott. Certains s’affranchissent de leurs maîtres, mais la plupart sont
condamnés à ne jamais être libres. Le fait que je leur parle en arabe, que je m’intéresse à leur sort les a touchés. »
L’impact de ses images a conquis de prestigieux journaux aux quatre coins du monde : ses séries sont
publiées dans Newsweek, The Guardian, El País ou encore Libération. En 2017, il a consacré un reportage à
la réalité rude des villages enclavés de l’Atlas, en pointant la problématique du réchauffement climatique :
« Les villageois m’ont raconté leur quotidien avec pudeur, l’attente des pluies, les récoltes difficiles. » L’année
suivante, il a été sélectionné au Joop Swart Masterclass et au 6x6 Africa Global Talent Program par World Press
Photo, concours de référence du photojournalisme. Son travail sera exposé durant le festival In Cadaqués,
en Espagne, en septembre prochain, et il se rendra bientôt entre le Mali, l’Europe et le Maroc, grâce à une
bourse de National Geographic Society, pour une nouvelle exploration sur la condition humaine. ■

Seif Kousmate


C’EST À UNE NOUVELLE GÉNÉRATION
de photojournalistes militants qu’il appartient. Ses images

rendent hommage aux invisibles du continent et disent sa forte


inclination pour l’humain. Il exposera à la Fondation pour la
photographie, à Tanger,du 17 août au 30 septembre prochains.
par Fouzia Marouf
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